mardi 16 janvier 2018

Amandine Marshall : L'enfant et la mort en Égypte ancienne"


Avec l'ouvrage "L'enfant et la mort en Égypte ancienne" qui paraît cette semaine, l'égyptologue Amandine Marshall termine la "trilogie" qu'elle avait débutée en 2014, à l'issue de ses travaux de doctorat. Après avoir traité "Être un enfant en Égypte ancienne", puis "Maternité et petite enfance en Égypte ancienne", elle nous apporte son expertise avisée sur la mort et l'au-delà des enfants…

Avec cette somme de 520 pages, agrémentée d'un cahier photos de 50 illustrations, elle s'affirme - et se confirme -, comme une "référence" sur l'enfance dans l'Égypte ancienne. Elle prouve que, loin d’être un sujet secondaire ou superficiel, ce thème, fondamental, méritait d'être largement exploré et étudié. 

Égypte actualités : Après les moments heureux de la maternité, de la petite enfance et de l'enfance, vous vous penchez sur la mort de l'enfant : un sujet plus douloureux à traiter… La perte d'un enfant est une douleur insupportable : en était-il déjà de même dans l'antiquité ? 

Amandine Marshall : À une époque où l’on estime qu’au minimum 20 % des enfants décédaient avant l’âge d’un an et que 30 % d’entre eux n’atteignaient pas leur cinquième anniversaire, il était nécessaire d’adopter ce que l’on appelle des stratégies de deuil et un certain détachement vis-à-vis de la vie de chacun. C’est aussi une question de survie, car il faut bien imaginer qu’en Égypte ancienne, outre les enfants, la mort fauchait également de multiples adultes dans la fleur de l’âge. La mort était partout, n’épargnait aucune famille, de celle du modeste paysan à celle de l’entourage du pharaon. Dans un tel contexte, pour éviter de sombrer dans une folie bien compréhensible et à une époque où la population ne pouvait recevoir aucune aide de la part de psychologues et psychiatres, il fallait nécessairement s’endurcir pour mieux survivre. Cela ne veut pas dire que les parents n’aimaient pas leurs enfants, cela veut dire qu’ils les aimaient d’une manière différente de la nôtre, car ils mesuraient la fragilité de leur existence, et plus encore celle des plus jeunes. Tant qu’ils n’avaient pas dépassé un certain cap - environ 3/4 ans -, il est évident que les nourrissons et enfants en bas âge n’étaient pas considérés de la même manière que leurs aînés : cela se traduit, dans l’iconographie, par leur absence généralisée des groupes familiaux, et, d’un point de vue funéraire, par des traitements ou choix un peu plus distincts que ceux observés pour les enfants plus âgés. On peut donc penser que l’investissement affectif des adultes dans leur progéniture était réfréné, lui aussi, jusqu’à ce que les proches de l’enfant pensent qu’il avait plus de chances de s’en sortir et d’atteindre l’âge adulte.
Inhumation d'enfant - Tombe 278 - Tourah

ÉA : Pouvez-vous nous donner des précisions sur les bases principales de votre étude. Tout d'abord l'âge des enfants. Les fœtus sont-ils également concernés ? Avez-vous travaillé sur des nécropoles situées dans toute l'Égypte ? Et sur quelle (s) période (s) plus particulièrement ?

AM : Durant dix années, j’ai constitué un corpus documentaire anthropo-archéologique constitué de 3712 sépultures contenant les restes de 56 fœtus et de 4593 enfants et s’échelonnant de l’époque prédynastique* à la fin du Nouvel Empire (soit d’environ 4500 à 1080 avant notre ère). Eu égard à la période considérée, l’échantillonnage est particulièrement maigre et résulte principalement du phénomène taphonomique touchant les os d’enfants ; de la non-conservation d’un grand nombre de tombes d’enfants creusées en surface et donc peu profondes ; du désintérêt d’une grande partie de la communauté égyptologique jusqu’à récemment - bien que notre milieu concerne quelques irréductibles qui pratiquent la rétention d’informations que, pourtant, ils ne publieront jamais -, désintérêt qui se traduit par l’absence d’étude et/ou de publications des sépultures enfantines et par le refus de collaborer en me permettant d’accéder à une documentation qu’eux-mêmes n’exploiteront pas ; de l’absence d’anthropologues des missions de fouilles jusqu’à une époque récente, un tort dommageable surtout dans le cas d’inhumations intra-muros de périnataux ; et enfin, de problèmes de datation lorsque la tombe ne recelait aucun mobilier funéraire, ce qui est très fréquent.
Ces nombreuses lacunes et ce désintérêt patent de la part de certains égyptologues ont occasionné une difficulté, pour les fouilleurs ou pour moi-même, de définir clairement la tranche d’âge du sujet à son décès. J’ai ainsi recensé 56 fœtus ; 1 fœtus ou périnatal ; 2 fœtus, périnatal ou enfant en bas âge ; 20 périnataux ou enfants en bas âge ; 234 périnataux ; 1.319 enfants en bas âge ; 692 enfants plus âgés (environ 4/5 ans - environ 10/11 ans) et pas moins de 2.325 enfants pour lesquels la tranche d’âge n’a pas été mentionnée dans la source publiée.
Le corpus documentaire comporte des tombes localisées sur 115 sites répartis sur l’ensemble du territoire égyptien.
Hormis ce corpus anthropo-archéologique, quelques textes et mentions épigraphiques sont venus compléter ma base documentaire.

* Or 15 tombes datant du Néolithique (env. 5800 – 4500 avant notre ère).
 Inhumation d'enfants - Tombe 171 - Gerzeh

ÉA : Les enfants avaient-ils leur propre tombe, ou étaient-ils inhumés avec les membres de leur famille ?

AM : S’il est très difficile, sinon impossible, d’obtenir une vue claire du statut et du traitement du corps des enfants défunts du fait du mince échantillonnage collecté, en revanche, certaines tendances nettes peuvent répondre à cette interrogation. En effet, contrairement à ce que l’on peut parfois lire dans la littérature égyptologique, la plupart des enfants du corpus enregistré furent inhumés seuls (à savoir 2.972 sujets sur 4.268 individus pour lesquels la nature de l’inhumation a pu être établie, soit près de 70 % des sujets de mon étude). Or on parle là d’enfants qui furent, pour la plupart, enterrés dans des fosses sommaires, c’est-à-dire dans le type de fosse qui s’est le plus mal conservé au fil du temps et qui a le moins intéressé les égyptologues. C’est donc dire la sous-évaluation de ces inhumations dans mon corpus, et qui pourtant, s’élèvent à 70 %. En ce qui concerne les tombes d’adultes ayant accueilli un ou plusieurs enfants, les cas de figure sont doubles et, de ce fait, à interpréter différemment selon le contexte. Il y a les tombes dans lesquelles un ou plusieurs enfants furent inhumés en compagnie d’adulte(s), dans la même pièce qu’eux, parfois même, en contact physique très étroit (ex. gestuelle tactile/corps dans le même cercueil). Et il y a les tombes où un espace distinct (ex. niche, chambre funéraire) fut aménagé pour recevoir le corps de l’enfant. Si celui-ci était bien intégré au caveau familial, en revanche, il était placé à l’écart de(s) adulte(s).
 Inhumation d'enfant - Tombe 2303 – Naga el-Deir

ÉA : Leur petit corps bénéficiait-il du même rituel de momification que celui des adultes ? Partaient-ils dans l'au-delà accompagné d'un mobilier funéraire ? 

AM : Avant la Basse Époque, extrêmement peu d’enfants furent momifiés et mes recherches dans ce domaine ont permis de mettre en lumière que des moyens financiers limités n’étaient pas à l’origine du refus des parents de conserver son corps artificiellement pour l’éternité.
En ce qui concerne le mobilier funéraire des enfants, il est plus difficile de dégager une tendance plus nette dans le choix des Anciens de déposer ou non auprès de l’enfant un ou plusieurs biens. En effet, j’ai recensé 2202 tombes comportant du mobilier funéraire contre 3113 sépultures n’en contenant aucun. Les données lacunaires, particulièrement importantes, s’élèvent à 1536 tombes. Toutefois, des études plus fines sur le sujet ont montré que des tendances nettes étaient illusoires sur le sujet. D’une part, car on relève des différences significatives dans le choix de déposer ou non des effets dans les sépultures selon le statut des sujets inhumés - fœtus ou enfants - ou leur tranche d’âge, et d’autre part, car certains cimetières ont révélé des tendances générales d’absence ou de faible importance de mobilier funéraire concernant toutes les classes d’âge ; d’autres ont montré que les enfants furent pourvus, en même quantité, de biens funéraires similaires à ceux des adultes. Enfin, dans quelques cas comme à Gerzeh, Minchat Abou Omar, Armant et au fort d’Hiérakonpolis, il a été établi que les tombes les plus riches de des nécropoles prédynastiques de ces sites appartenaient toutes à des enfants.
L’un des résultats majeurs de mon étude a été de mettre en lumière le fait que l’absence de mobilier funéraire ne devait plus être considérée comme une indifférence affective à l’égard de l’enfant ou le résultat de moyens financiers limités.

ÉA : Les représentations d'enfants semblent plutôt rares dans l'iconographie funéraire de l'ancienne Égypte : comment l'expliquez-vous ?

AM : Que ce soit sur les parois des tombes, sur les ex-voto funéraires ou sur les vignettes des Livres des Morts, les scènes dans lesquelles les enfants apparaissent se situent toujours dans la vie quotidienne ou témoignent d’hommages des vivants aux défunts ou aux dieux. Les enfants sont clairement absents des scènes évoquant l’Au-delà, mais si l’on y regarde de plus près, cela ne doit pas réellement nous étonner. En Égypte ancienne, l’image des plus jeunes véhiculait des motivations bien précises : la représentation d’un enfant réel avait vocation à montrer que le défunt avait un héritier qui pourrait prendre sa relève, s’occuper de lui dans ses vieux jours et organiser son culte funéraire. Elle proclamait également que le défunt, s’il était à la tête d’une famille nombreuse, avait atteint l’un des critères de réussite sociale tels que prônés par les Sagesses égyptiennes. Les autres figurations d’enfants, beaucoup plus ponctuelles, montrent des individus anonymes qui ne jouent qu’un rôle secondaire et anecdotique. Quant à la figuration des enfants symboliques et donc anonymes, elle était destinée à susciter une naissance ou à protéger un enfant. Les enfants n’étaient donc pas figurés dans un but affectif mais pour une raison sociale précise. Il n’est pas étonnant, dans ce contexte, qu’ils n’aient jamais été figurés dans l’autre monde. Il faut donc se tourner vers d’autres sources documentaires pour appréhender la place que les enfants avaient dans l’Au-delà car, dans le contexte actuel, l’absence de représentation ne constitue en rien une preuve de l’absence des plus jeunes au royaume des morts.

En dépit de la thématique assez sombre sur un sujet qui ne peut que nous toucher, l’ouvrage propose une étude passionnante sur un sujet inédit et décline le rapport des adultes à l’enfant défunt à travers de multiples choix et pratiques. Pour aboutir à la conclusion que “par delà la mort, l’enfant égyptien n’était pas un défunt comme les autres”.

Propos recueillis par marie grillot





L'enfant et la mort en Égypte ancienne, 520 pages, 50 ill. 50 €. ISBN : 9791069917484.

VENDU EN SOUSCRIPTION jusqu’au 31 janvier au prix de 45 € (frais de port offerts pour l'Union Européenne – livre vendu à 50 € sans frais de port supplémentaire pour le reste du monde et sans limite de temps).

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