samedi 27 janvier 2018

Thoutmosis Ier, de Karnak à Turin

Statue de Thoutmosis Ier - XVIIIe dynastie - granodiorite 
Découverte en 1818 dans le Temple d'Amon à Karnak par Jean-Jacques Rifaud
arrivée au Museo Egizio de Turin en 1824 par l'acquisition de la Collection Drovetti - C.1374 - Photo Florence Maruéjol

La diligence de Lyon a mis plusieurs jours pour rejoindre Turin, de quoi mettre à rude épreuve l'impatience de Jean-François Champollion ! 

Il vient dans la cité piémontaise découvrir les trésors égyptiens, acquis le 24 janvier 1824, pour 400.000 lires, par sa Majesté le roi de Piémont-Sardaigne. Il s'agit là de la première collection "Drovetti", rassemblée par le Consul de France en poste en Egypte et pour laquelle il s'est proposé de rédiger le catalogue "descriptif et raisonné". Sa demande, adressée par courrier le 15 février 1824 au chevalier Lodovico Costa, secrétaire d'Etat sarde, a été acceptée selon les termes qu'il avait lui-même proposés "Je rédigerai votre catalogue de manière satisfaisante, j'ose l'espérer. Son impression ne serait pas une dépense pour votre gouvernement, puisque ce catalogue serait recherché partout : je ne demanderais pour cela qu'une indemnité de mes frais de voyage et de séjour..."
Exposition de la collection Drovetti au musée de Turin peu après son arrivée 
 Dessin au crayon et aquarelle de Marco Nicolosino réalisé vers 1832

"Jour après jour des chars et de lourds fardiers d'artillerie, tirés pars des bœufs, transportèrent des dépôts de Gênes et de Livourne à Turin des centaines de caisses d'antiquités" (La moisson des dieux, Jean-Jacques Fiechter). La "Drovettiana", riche de 8273 objets, est installée dans le beau palais dessiné au XVIIe siècle par Guarino Guarini, transformé en Académie des sciences. Dans le courrier qu'il adresse à son frère Jacques-Joseph, le 14 juin, Jean-François laisse transparaître son émerveillement et sa passion... "Dès le 9, je fis mon entrée dans le Musée égyptien, et, depuis ce jour, j'y ai passé la plus grande partie de mon temps. Tu es, sans doute, fort impatient d'en avoir des nouvelles. Je te dirai en une phrase du pays : questo è cosa stupenda ; je ne m'attendais pas à pareille richesse. Je trouvai la cour garnie de colosses en granit rose et en basalte vert…"
Statue de Thoutmosis Ier - XVIIIe dynastie - granodiorite 
Découverte en 1818 dans le Temple d'Amon à Karnak par Jean-Jacques Rifaud
arrivée au Museo Egizio de Turin en 1824 par l'acquisition de la Collection Drovetti - C.1374 - Photo Armando Buzzi

Sur l'une des sculptures, Jean-François déchiffre le nom de Thoutmosis ler (1494-1482 avant J.-C), troisième souverain de la XVIIIe dynastie. Sculptée dans une granodiorite - roche proche du granite dans laquelle : "le quartz et l'orthose sont abondants"-, elle mesure plus d'1,80 m et pèse plus de 2000 kg.

Pharaon est représenté  assis sur son trône. Coiffé du némès à uraeus, son visage est d'une symétrie parfaite, d'une perfection figée, impassible. Son torse nu, est de proportions parfaites. Il est seulement vêtu du shendyt, le pagne royal, attaché par une ceinture sur laquelle est inscrit un texte court, traduit par "Seigneur du culte". 

Ses bras sont serrés le long du corps. Sa main gauche repose, à plat sur sa cuisse gauche alors que sa main droite, posée sur sa cuisse droite serre entre ses doigts une étoffe pliée. "Le tissu représenté sous cette forme est utilisé en écriture hiéroglyphique pour exprimer le son s, acronyme de seneb, "qu'il puisse rester en bonne santé", formule traditionnelle qui suit le nom du souverain" précise Federico Poole dans le Catalogue du Museo Egizio.
Statue de Thoutmosis Ier - XVIIIe dynastie - granodiorite 
Découverte en 1818 dans le Temple d'Amon à Karnak par Jean-Jacques Rifaud
arrivée au Museo Egizio de Turin en 1824 par l'acquisition de la Collection Drovetti - C.1374 - Photo Armando Buzzi

Les jambes, aux genoux marqués, sont puissantes. Ses pieds "foulent les neuf arcs, incisés sur le plat du socle, affirmant ainsi la suprématie de l'Égypte sur tous les peuples étrangers qui lui étaient limitrophes, conformément à une représentation symbolique qui remontait à l'Ancien Empire". 
Statue de Thoutmosis Ier - XVIIIe dynastie - granodiorite 
Découverte en 1818 dans le Temple d'Amon à Karnak par Jean-Jacques Rifaud
arrivée au Museo Egizio de Turin en 1824 par l'acquisition de la Collection Drovetti - C.1374 - Photo Armando Buzzi

Les montants du trône portent des inscriptions et des cartouches. Cette statue pose de nombreuses questions quant à son "attribution". Pour Federico Poole (Catalogue du Museo Egizio) : "La recherche contemporaine a permis de démontrer que les inscriptions sur la statue portant le nom de Thoutmosis Ier avaient été incisées sur l'entaille d'origine. On peut donc légitimement douter que le sujet originel figuré sur cette statue soit ce pharaon. Il s'agirait vraisemblablement d'un de ses successeurs, la reine Hatchepsout, qui se faisait aussi représenter avec des vêtements masculins (sur des statues de style nettement différent au demeurant) ou, plus probablement du frère de cette dernière, Thoutmosis ll"…

Près du pied droit, se lit le commencement d'une inscription "Dct par J", inscription complétée dans la partie supérieure du côté droit du trône "Dct. par Jj. Rifaud sculpteur a thèbes 1818". 
Statue de Thoutmosis Ier - XVIIIe dynastie - granodiorite 
Découverte en 1818 dans le Temple d'Amon à Karnak par Jean-Jacques Rifaud
arrivée au Museo Egizio de Turin en 1824 par l'acquisition de la Collection Drovetti - C.1374 - Photo Armando Buzzi

La découverte de cette statue revient en effet au marseillais Jean-Jacques Rifaud qui, dès 1817, débuta des fouilles à Karnak pour le compte du consul de France en Egypte, Bernardino Drovetti.

"La liste des trouvailles de Rifaud à Thèbes durant les années 1817-1818 est impossible à dresser" constate Jean-Jacques Fiechter dans "La Moisson des Dieux"!

SI la première collection "Drovetti" a enrichi le musée de Turin la seconde, sur les conseils avisés et réitérés de Jean-François Champollion, sera acquise par la France quelques années plus tard.

marie grillot

sources :
Jean-François Champollion, Lettres à M. le Duc de Blacas d’Aulps relatives au Musée Royal Egyptien de Turin, première lettre - monuments historiques, Turin, Juillet, 1824, Firmin Didot, 1824 (pp. 1-92).
https://fr.wikisource.org/wiki/Lettres_à_M_le_duc_de_Blacas_d’Aups,_première_lettre/1
Musée de Turin
https://collezioni.museoegizio.it/eMP/eMuseumPlus?service=direct/1/ResultLightboxView/result.t1.collection_lightbox.$TspTitleImageLink.link&sp=10&sp=Scollection&sp=SfieldValue&sp=0&sp=0&sp=3&sp=Slightbox_3x4&sp=0&sp=Sdetail&sp=0&sp=F&sp=T&sp=0
Museo Egizio, Fondazione Museo delle Antichità Egizie di Torino, Franco Cosimo Panini Editore, 2016
Trésors d'Art du museo Egizio, Eleni Vassilika, Allemandi & Co
Guide museo Egizio, éditions Franco Cosimo Panini
Le musée égyptien Turin, Federico Garolla Editore
Catalogue du Museo Egizio (édition décembre 2016) - "Champollion, la 'Galerie des rois' et l'art égyptien, Federico Poole
L’art égyptien au Musée de Turin, Ernest Scamuzzi, Hachette, 1966
La moisson des dieux - La grande aventure de l'égyptologie, Jean-Jacques Fiechter
Tableau de l'Egypte, de la Nubie et des lieux circonvoisins, ou Itinéraire à l'usage des voyageurs qui visitent ces contrées, Jean-Jacques Rifaud, Treuttel et Würtz (Paris), 1830 
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5577739k
Topographical bibliography of ancient egyptian hieroglyphic texts, reliefs, and paintings – II -  Theban Temples by the late Bertha Porter and Rosalind L.B. Moss, Hon. D. Litt. (Oxon.),F.S.A.. assisted by Ethel W. Burney, second edition revised and augmented, Oxford at the Clarendon Press, 1972 
http://www.griffith.ox.ac.uk/topbib/pdf/pm2.pdf

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