"La nécropole de Meir était encore à peu près vierge ; lorsqu'elle fut signalée au Service des antiquités, dès mon arrivée, j'y fis pratiquer des fouilles et les trois campagnes qui viennent d'y être suivies ont été fécondes en résultats", relate dans les "Actes du Dixième Congrès International des Orientalistes, Session de Genève, 1894", Jacques de Morgan qui est alors à la tête du Service des Antiquités.
Située sur la rive ouest du Nil, en Moyenne-Égypte, Meir est le nom "moderne" de l'une des nécropoles de l'ancienne "Kis" - Cusae, aujourd'hui, el-Qusiya - gouvernorat d'Assiout - chef-lieu du quatorzième nome. C'est dans les flancs de ses collines que furent inhumés des gouverneurs et des fonctionnaires de l'Ancien et du Moyen Empire.
Située sur la rive ouest du Nil, en Moyenne-Egypte, Meir est le nom "moderne" de l'une des nécropoles de l'ancienne "Kis". Photo de Stefan Geens, sur Flickr |
Les premières fouilles diligentées par le Service des Antiquités se déroulèrent en 1892 - 1893 et 1894. Les deux premières années livrèrent de belles découvertes ; et, c'est en 1894, sous la direction de l'inspecteur Mohamed Effendi Dohéîr, que fut dégagée la tombe de Niankhpepi.
Datée du règne de Pepi Ier (VIe dynastie), elle sera référencée A1. Il s'agit de la demeure d'éternité d'un grand du royaume : "Niankhpepi, dit le Noir, était à la tête de la Haute-Égypte, chancelier du roi de Basse-Égypte, ami unique, respecté du Grand Dieu, prêtre ritualiste et grand prêtre" (Francesco Tiradritti, "Les merveilles du musée égyptien du Caire").
Son hypogée livrera notamment de très belles statuettes en bois de serviteurs déposées dans le puits de l'une des chambres. Parmi elles, se trouve celle de ce "porteur" : saisissante de vie et charmante dans ses détails, elle se distingue, selon Francesco Tiradritti, "par son modelé et la beauté de son chromatisme".
Haute d'à peine plus de 36 cm, elle est en bois peint et représente un homme à la peau sombre dans l'attitude de la marche, dont les pieds nus reposent sur un socle. Chargé de transporter deux précieux "bagages" appartenant à son maître, il semble très affairé à accomplir sa tâche. Il ne nous faut qu'un minimum d'imagination pour le voir avancer et tracer sa route, attentif à mener en lieu sûr, et en temps voulu, la charge qui lui est confiée.
"Le petit homme qui marche en regardant devant soi d'un air si satisfait, est un des domestiques particuliers du mort" précise Eugène Grébaut dans "Le Musée égyptien. Recueil de monuments et de notices sur les fouilles d'Egypte".
Il porte ajoute-t-il "une perruque à mèches courtes et carrées, étagées en rangs pressés et dont la retombée lui cache les oreilles". Son visage rond, est, comme l'ensemble de sa carnation, traité en rouge sombre tirant vers le brun. Ses yeux en amande, cernés de kohl, sont très grands ; leur pupille noire se détache sur un blanc de l'œil qui a conservé toute sa clarté. Les sourcils sont noirs également. Le nez est épaté, les lèvres épaisses.
Il est vêtu d'un simple pagne blanc, étroit, qui lui ceint la taille et s'arrête au-dessus du genou.
Son bras droit est plié à angle droit et sur son avant-bras, repose bien à plat un charmant petit panier rectangulaire en osier coloré muni d'une fine poignée. Eugène Grébaut en fait la description suivante : "Il a l'avant-bras droit replié contre la poitrine, et un petit coffret à bijoux octogonal y est posé, dont les panneaux, peints en damiers alternativement rouge, noir, vert sombre, jaune verdâtre, semblent décorés à l'imitation des paniers de paille multicolore; une large poignée est implantée au milieu du couvercle."
Le serviteur porte également un "sac à dos" blanc qui semble peser lourd et dont la sangle, de la même couleur, est non seulement passée autour de son cou mais également arrimée à son avant-bras gauche, plié vers l'arrière afin de le soutenir. La facture de ce sac à dos est une pure merveille et, là encore, Eugène Grébaut en relève avec précision tous les détails : "On lui voit sur le dos, une sorte de sac ovale, de coupe oblongue et plate, un peu plus large par en bas que par en haut, et muni de deux grosses pointes en bois qui servaient à le ficher en terre. Il est en cuir blanc, mais le contour des côtés étroits est cerné d'un trait rouge et rempli d'un réseau simulant un filet. La partie supérieure de l'un des côtés longs, arrondie aux angles, se rabat sur l'autre comme celle de nos portefeuilles. Un tapis rectangulaire, à petites taches rougeâtres sur fond blanc, et à bordure imitant le dessin de la peau de panthère, est étendu sur le tout, et l'un de ses bouts, passé entre le cuir et la peau de l'homme, amortit le frottement pendant la marche. Une courroie blanche, large et longue, en étoffe ou en cuir, est attachée aux deux extrémités du côté qui s'applique au dos. L'homme l'a mise à son cou par-dessus l'épaule droite, puis il a relevé la valise à droite, jusqu'à ce qu'elle lui remontât dans la nuque à la façon du sac de nos soldats. Il a ensuite croisé les deux extrémités de la courroie l'une sur l'autre au côté gauche, et, dans l'anse ainsi obtenue, il a enfoncé jusqu'à moitié le bras gauche replié au coude ; la pression de ce bras, qui tend à descendre, serre la valise au dos, et la main appuyée à plat sur elle l'empêche de trop balloter."
Cette statue de plus de 4200 ans est non seulement d'une facture soignée, mais également d'une originalité incontestable conjuguée à un réalisme parfaitement étudié. Elle témoigne ainsi du sens de l'observation et du haut degré de maîtrise des artisans de l'époque et constitue, sans conteste, "un petit chef-d'oeuvre de cette statuaire domestique".
Elle a été enregistrée au Journal des Entrées du Musée du Caire sous la référence JE 30810 et au Catalogue Général sous le n° CG 241.
marie grillot
sources :
Eugène Grébaut, Le Musée égyptien. Recueil de monuments et de notices sur les fouilles d'Egypte, IFAO, Le Caire, 1890-1900 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5808100r
Mohamed Saleh, Hourig Sourouzian, Catalogue officiel du Musée Egyptien du Caire, Verlag Philippe, von Zabern, 1997
Francesco Tiradritti, Trésors d'Egypte - Les merveilles du musée égyptien du Caire, Gründ, 1999
Guide National Geographic, Les Trésors de l'Egypte ancienne au musée égyptien du Caire, 2004
Borchardt Ludwig, Catalogue général des antiquités égyptiennes du musée du Caire - Statuen und Statuetten von Königen und Privatleuten im Museum von Kairo, Nr. 1-1294, Berlin Reichsdruckerei, 1911 https://archive.org/details/statuenundstatue53borc
Jacques de Morgan, Actes du Dixième Congrès International des Orientalistes, Session de Genève, 1894, Brill Archive, 1895, https://books.google.fr/books?id=JcoUAAAAIAAJ&pg=PA21&lpg=PA21&dq=fouilles+françaises+de+MEIR+1894&source=bl&ots=asTMXND-7G&sig=VCgrPCMIP3nAPAGEwsSTXerJF5g&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjVteKK1rnYAhVBJcAKHd3FAzkQ6AEIKDAA#v=onepage&q=ANKH&f=false
Bertha Porter and Rosalind l. B. Moss, Topographical bibliography of ancient egyptian hieroglyphic texts, reliefs, and paintings IV. Lower and Middle Egypt (Delta and Cairo to Asyut), F.S.A., Griffith Institute, Ashmolean Museum Oxford, First published 1934, by the Clarendon Press Oxford, Re-issued by the Griffith Institute, 1968 - P&M n° 4 p247
http://www.griffith.ox.ac.uk/topbib.HTML
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