Le 12 février 1990 est une date décisive dans la construction de ce qui sera la "Bibliotheca Alexandrina". Ce jour-là, à Assouan, sur invitation de l'Égypte, et sous le haut patronage de l'Unesco, se tient une commission internationale chargée d'une collecte de fonds pour le projet "Renaissance de l'ancienne bibliothèque d'Alexandrie". Ce projet recueille un fervent enthousiasme ; une trentaine de têtes couronnées ou de chefs d'État ont fait le déplacement. Des personnalités prestigieuses se côtoient pour reconstruire ce temple de la connaissance et s'accordent sur le fait que : "sur le site des palaces des Ptolémées, la nouvelle Bibliothèque Alexandrina donnera une expression moderne à une entreprise antique. Une splendide conception de bâtiment contemporain a été adoptée après un concours international d’architectes." Les fonds afflueront de 50 pays et de différents mécènes et les travaux pourront débuter…
Ce sont plus de 2 hectares qui seront dévolus à l'implantation du bâtiment, dans le Shatby Selsela en bord de mer, là où était censée se dresser l’ancienne bibliothèque.
Les travaux dureront près de 10 ans, donnant naissance à une construction totalement exceptionnelle, d'une esthétique aboutie et d'un originalité telle qu'il est reconnaissable entre tous !
La Bibliotheca Alexandrina - située en bord de mer, là où était censée se dresser l’ancienne bibliothèque a été inaugurée le 16 octobre 2002 |
Et le creusement des fondations révèlera également de belles découvertes. En effet, le sous-sol de la cité, fondée par Alexandre le Grand en 331 avant J.-C., conserve des réminiscences de son passé deux fois millénaire … Ainsi, n'est-il pas rare que, lors de travaux de terrassement notamment, des vestiges de ces temps anciens soient mis au jour. Toute activité doit alors être stoppée afin que les archéologues puissent intervenir "en urgence", que des relevés soient faits, et que la découverte soit documentée in situ, étudiée, préservée et sauvegardée.
C'est précisément ce scénario qui s'est déroulé en 1993, lors de la découverte de la "mosaïque du chien" : "Lorsque les couches archéologiques originales ont commencé à apparaître, les travaux ont été interrompus et des fouilles ont commencé en coopération avec l'expert suédois Mitchelan Rodvitch dans la zone orientale adjacente à l'hôpital voisin, où des centaines d'anses d'amphores ont été découvertes. Sous le mur de l'hôpital, à une profondeur de plus de deux mètres, un sol en mosaïque que nous appelons "la mosaïque du chien" a été découvert encore à sa place et en partie détruit."
Trouvée dans ce qui fut le quartier des palais lagides, elle est de format carré, chaque côté mesurant 3,25 mètres. En son centre se trouve un superbe médaillon représentant un chien assis devant un pot renversé, motif qui lui a donné son nom. D'un réalisme époustouflant et d'une précision qui l'est tout autant, elle témoigne non seulement du luxe des demeures d'alors, mais aussi de la dextérité et de la maîtrise des artistes qui l'ont réalisée.
Elle est conçue selon une technique très particulière mise en œuvre par les ateliers alexandrins : "dès la première moitié ou du milieu du deuxième siècle avant notre ère". Il s'agit du procédé appelé "opus vermiculatum", qui utilise : "des tesselles faites de minuscules cubes de pierre, allant de un à quatre millimètres", ce qui permet de conjuguer : "la pleine variété de nuances et de couleurs d'une peinture".
La scène est vivante et touchante. Le chien est représenté de trois quarts ; assis sur ses pattes arrière, il prend appui sur celles de devant. Son pelage à poils courts est de plusieurs couleurs. Le corps marron clair comporte des taches plus sombres, assez larges. Le poitrail, les pattes avant, la queue sont blancs. Sa gueule est déclinée dans un camaïeu de tons fauves, alors qu'une étroite bande blanche s'étire du museau au sommet du front. Les oreilles pointues et dressées sont également de couleur fauve. Les yeux sont très bien rendus, avec une légère fraction apparente du blanc d'œil et un trait plus soutenu accentuant leur pourtour. Il porte un collier rouge bordé d'une fine bordure or. Tout dans ce chien, des ergots à la pointe des oreilles, du rendu du pelage à l'expression du regard, révèle un sens extrêmement aigu de l'observation.
Même s'il nous semble "familier", sa race s'avère toutefois difficile à déterminer avec précision. "Figuré à côté d’un vase en métal précieux, le chien de la mosaïque semble être plutôt un chien de chasse qu’un chien de berger : son maître consacrait ses loisirs à l’occupation noble de la chasse, non pas au labeur des pâtres."
Il est parfois "affilié" à la race des "podengos", un chien de garenne portugais qui serait probablement descendant de ceux : "importés dans la péninsule Ibérique par les Phéniciens et les Romains".
Cependant, après quelques sommaires recherches, il semble qu'il pourrait tout aussi s'apparenter à un ratonero boldegoro andaluz.
À côté de lui gît un pot renversé. Ventru, fait probablement de bronze - ou d'or ?- il est pourvu d'un très large col. "Le vase est muni d’une anse dont la couleur fait penser à celle du bois et qui est fixée sur l’épaule et sur le haut du col par deux languettes métalliques rivetées au vase sur la face en pan coupé du col dont l’embouchure s’évase du côté opposé ; son fond est peut-être plat. Il entre dans la catégorie générique de l’œnochoé, vase à contenir et à verser le vin, à laquelle le rattachent sa panse arrondie et son anse unique verticale.”
Le médaillon central est entouré d'une jolie frise à motifs blanc et noir, sur fond gris, bordée d'un cercle plus épais de couleur rouge sombre. Ainsi la scène est-elle : "entourée par une moulure circulaire figurée en trompe-l’œil dont la teinte imite celle du marbre ou de la pierre avec un étroit bandeau de couleur rouge qui sépare la zone intérieure décorée d’un motif en guillochis de la zone extérieure, plus large, ornée de protomes de lions dont le rendu imite la vue en perspective sur une moulure incurvée". Des six têtes de lions, seules trois demeurent.
Un chien, un pot, des milliers de minuscules petits cubes de pierre - principalement de couleur noir, jaune et blanc - l'adresse, la sensibilité et la subtilité d'un - ou de plusieurs artistes -, et voilà un véritable tableau, une véritable œuvre d'art ! "L'angle du portrait du chien est aux trois quarts, et la partie avant reflète la lumière, tandis que le reste du corps est à l'ombre. La gradation de l'ombrage sur le pot en bronze retourné montre la lumière réfléchie sur la partie centrale, tandis que les côtés sont progressivement plus sombres. L'artiste a en effet été capable d'exprimer une grande profondeur dans un milieu 'dur' et cette mosaïque est un témoignage de la sophistication des ateliers de mosaïque et de l'art dans l'Alexandrie ancienne."
Et la question demeure sur le sens de cette scène. Comment décrypter l'attitude du chien ? Comment lire son regard? Est-il sage, attentif, interrogatif, penaud ? A-t-il renversé le pot, a-t-il été témoin de la scène ou constate-t-il les faits ? À chacun d'écrire cette histoire…
La mosaïque a été déposée par les Services archéologiques d'Alexandrie au début 1994. En 1997 - 1998, elle a été nettoyée et restaurée dans l'atelier de Shallalat à Alexandrie. Cette délicate opération a été menée sous la responsabilité de l'atelier de restauration des mosaïques du musée d'Arles (France).
Enregistrée sous le numéro d'inventaire 32044, elle est exposée au musée de la Bibliothèque d'Alexandrie sous la référence BAAM 0859.
marie grillot
sources :
Mosaïque représentant un chien assis
http://antiquities.bibalex.org/Collection/Detail.aspx?lang=fr&a=859
Anne-Marie Guimier-Sorbets, Alexandrie : Les mosaïques hellénistiques découvertes sur le terrain de la nouvelle Bibliotheca Alexandrina, Revue Archéologique, Nouvelle Série, Fasc. 2 (1998), pp. 263-290
http://www.jstor.org/stable/41738063?seq=1#page_scan_tab_contents
Anne-Marie Guimier-Sorbets, Les Mosaïques d’Alexandrie : Nouvelles découvertes, recherches récentes, Apparati musivi antichi nell'area del Mediterraneo: Conservazione programmata e recupero: Contributi analitici alla carta del rischio: Atti del I Convegno internazionale di studi La materia e i segni della storia, Piazza Armerina 9-13 aprile 2003, Quaderni di Palazzo Montalbo 4 (Palermo: Centro regionale per la progettazione e il restauro, 2004, 38-48.
Zahi Hawass, ed., Bibliotheca Alexandrina: The Archaeology Museum, Cairo, The Supreme Council of Antiquities, 2002, 53
https://books.google.fr/books?id=QyAA3xFx9aIC&pg=PA53&lpg=PA53&dq=greek+mosaic+with+a+dog+alexandria&source=bl&ots=E8aAjMmBin&sig=d_Y6Djdpaj-PanbYWh5UtKdyUQA&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjI_NbF0tDYAhUqJsAKHbINCrsQ6AEIXjAN#v=onepage&q=greek%20mosaic%20with%20a%20dog%20alexandria&f=false
François Queyrel, Le chien au conge d'Alexandrie, Etudes et Travaux 25, (Mélanges Kiss), 2012, p. 320-337,
https://www.academia.edu/2367468/François_Queyrel_Le_chien_au_conge_dAlexandrie_dans_Etudes_et_Travaux_25_2012_Mélanges_Kiss_p._320-337
Katherine M. D. Dunbabin, Mosaics of the Greek and Roman World, Cambridge University Press, 2001
https://books.google.fr/books?id=U7Uu_Dq8oY4C&pg=PA26&dq=greek+mosaic+with+a+dog+alexandria&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwji2Mqs2NDYAhWBLsAKHR9aCzUQ6AEIMTAB#v=onepage&q=mosaics&f=false
Judith McKenzie, The Architecture of Alexandria and Egypt, C. 300 B.C. to A.D. 700, Volume 63, Yale University Press, 2007
https://books.google.fr/books?id=KFNCaZEZKYAC&pg=PA69&lpg=PA69&dq=greek+mosaic+with+a+dog+alexandria&source=bl&ots=7zt--prG2n&sig=mqqJaWJ5qQ8Lf4oprkjWzEjjXd4&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjrhPb92dDYAhUhKsAKHTbmDmk4ChDoAQhAMAQ#v=onepage&q=greek%20mosaic%20with%20a%20dog%20alexandria&f=false
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