mardi 23 janvier 2018

22 janvier 1989 : merveilleuse découverte au temple de Louqsor !

Premier groupe de statues de la cachette. Au premier plan, la statue d'Iounyt, et derrière, celle couchée d'Aménophis III sur le traîneau.
Tout au fond, à droite, celle d'Horemheb agenouillé, et, à gauche, la statue couchée du dieu Atoum trônant,
les deux appartenant au même groupe statuaire - cliché S. Higazy
Photo et légende publiées dans "La découverte de la cachette des statues du temple de Louxor",  Mohamed el-Saghir, Verlag Philipp von Zabern, 1991

Si l'on se souvient que, le 26 décembre 1903, Georges Legrain découvrit, dans le temple de Karnak une grande fosse de laquelle seront extraites plus de 750 statues, il y a lieu de rappeler la merveilleuse découverte qui fut faite, au temple de Louqsor, 86 ans plus tard.

Afin de mieux la resituer, il convient de retracer rapidement - très rapidement - la longue histoire de l'édifice.
Le temple de Louqsor - "Le premier temple de Louxor, celui que le roi Amenôthès a fait construire, n'avait pas de pylône…
Plus tard, quand Ramsès II, le Sésostris des Grecs, voulut continuer l'œuvre de ses prédécesseurs, il choisit un terrain plus solide,
et il construisit une grande cour précédée d'un pylône, devant lequel il dressa deux obélisques" (Gaston Maspero) 

"La plus grande partie de la construction de l’Ipet-Resyt (ou Opet du Sud) revient à Amenhotep III et plus précisément à son architecte, Amenhotep fils de Hapou, dont la notoriété était telle, qu’on en fit par la suite un dieu. C’est à lui que l’on doit le plan du temple qui se déploie du sud vers le nord, depuis le sanctuaire jusqu’à l’accès de la grande et longue colonnade. Attenant au sanctuaire, se succèdent un vestibule à deux rangées de six colonnes, puis un sanctuaire pour la barque d’Amon, une chambre des offrandes, et une chapelle bordée à l’ouest de reposoirs pour les barques d’Amon-Min, de Mout et de Khonsou"...  Puis, Ramsès II "ajouta une belle cour bordée de portiques à colonnes florales et de colosses à son nom, puis un pylône sur le parvis duquel furent également dressés six autres colosses du roi. Enfin, deux obélisques vinrent orner cette magistrale façade, dont les reliefs racontent la fameuse bataille de Qadech menée par le roi en l’an 5" rappelle Christian Leblanc dans ses "Regards croisés sur la civilisation égyptienne".

Après de longues années dédiées au dieu Amon, le temple fut partiellement abandonné, avant d'être en partie réaménagé  à la Basse Époque … Puis, les troupes romaines en firent un camp fortifié et transformèrent le sanctuaire en lieu de culte pour leurs empereurs. Les coptes l'occupèrent également : des églises furent installées dans son enceinte. Au XIIIe siècle, la mosquée Abou el Hagag fut érigée sur les ruines de l'une d'elles… 

C'est un temple enfoui "à moitié étouffé sous la terre, et les colonnes engravées jusqu'à la hauteur de 3 mètres ou 3m50" que découvriront les soldats et savants de Bonaparte, puis les premiers égyptologues.

Le temple de Louqsor en 1875


En 1881, Gaston Maspero en commencera le déblaiement. Georges Daressy, Georges Legrain continueront les travaux. Les Français laisseront ensuite la place, et de grands noms de l'égyptologie égyptienne s'y succéderont : Ahmed Fakhry, Labib Habachi, Zakaria Goneim, Mohammed Abd el-Qader Mohammed, Hassan S. K. Bakry, Mahmoud Abd el-Razik… 

Tout arriva de façon totalement fortuite, début 1989, alors que Mohammed El-Saghir était responsable du secteur et que ses ouvriers faisaient des "sondages de routine" dans la cour péristyle d'Amenhotep III.
Cour péristyle d'Aménophis III dans le temple de Louqsor.
Ouvriers et curieux entourent la fosse de la cachette dans l'angle nord-ouest de la cour - cliché U. Mangold
Photo et légende publiées dans "La découverte de la cachette des statues du temple de Louxor", Mohamed el-Saghir, Verlag Philipp von Zabern, 1991


Le raïs Farouq raconta ainsi comment débuta, le 22 janvier, l'histoire de la découverte : "En travaillant avec la mission égyptienne dirigée par le Dr Mohammed El-Saghir dans le temple de Louxor pour nettoyer le sol, j'ai été surpris de constater que la couleur du sol avait soudain complètement changé. En creusant à une profondeur d'environ 80 cm, j’ai trouvé une pierre de granit rose. Même si les autres ouvriers se moquaient de moi, car pour eux la pierre n’avait aucune valeur, j’ai contacté immédiatement le Dr Mohammed El-Saghir, chef de la mission, pour qu’il vienne le plus tôt possible. Je lui ai expliqué la situation et lui ai demandé l’aide de 15 travailleurs, juste pour soulever la lourde pierre… Il s'agissait en fait de la base d’une statue. Je suis alors descendu et, en creusant, j’ai trouvé une partie d'une main tenant la 'clé de vie'. J’ai alors continué à creuser et ai finalement mis au jour la statue tout entière : il s’agissait de la statue d’Aménophis III."

Et ce n'était que le début. D'autres statues gisaient tout à côté… Mohammed El-Saghir supervisera la découverte et en rendra compte de façon fort détaillée et précise dans son ouvrage "La découverte de la cachette des statues du temple de Louxor", publié chez Philipp von Zabern en 1991.
Nettoyage de la statue d'Aménophis III - cliché U. Mangold
Photo et légende publiées dans "La découverte de la cachette des statues du temple de Louxor", Mohamed el-Saghir, Verlag Philipp von Zabern, 1991

Deux mois seront nécessaires pour extraire : "vingt-six extraordinaires statues de divinités et de rois. Toutes placées dans une 'cachette' creusée le long du portique ouest, elles avaient été rassemblées là dans l'antiquité, probablement au tout début du Ve siècle de notre ère, lorsque les troupes romaines transformèrent le sanctuaire pour le culte impérial."

Les conditions d'extraction furent très difficiles car la fosse, qui avait une profondeur pouvant atteindre jusqu'à 3 m, était remplie d'eau et de boue.

Mais : "peu à peu, sortirent de terre une statue de la déesse Iounyt, d'Amon protégeant le pharaon Horemheb, d'Hathor, d'Amon et de sa parèdre Mout, d'Atoum recevant une offrande de vin du roi Horemheb, ainsi que plusieurs sphinx dont l'un, en albâtre, représentait Toutankhamon coiffé du némès et du pschent. La 'cachette' révéla encore d'autres sculptures remarquables, comme celles de Taouret, d'Horus, d'Amon-Rê-Kamoutef reproduit sous l'aspect d'un cobra dressé sur un socle inscrit au protocole de Taharqa, et une statue acéphale de la divine adoratrice Amenirdis Ière de la XXVe dynastie."
Emballage des statues pour l'extraction 
Photo et légende publiées "La découverte de la cachette des statues du temple de Louxor", Mohamed el-Saghir,Verlag Philipp von Zabern, 1991


Le 9 février, le ministre de la culture Farouk Hosny et les principaux responsables des Antiquités Egyptiennes vinrent sur place. Puis, le lendemain, 10 février, ce sera au tour du Président Moubarak de retour d'Assouan, de constater l'importance de la découverte... 

La sage et importante décision sera alors prise de ne pas les transférer vers le musée égyptien de la place Tahrir au Caire, mais de les conserver dans l'ancienne Thèbes. 

Ainsi après avoir été extraites avec la plus extrême précaution, elles furent transportées "au magasin d'Abou el-Goud où elles furent mesurées, nettoyées et restaurées".

Le Gouvernement mit ensuite à disposition "des moyens substantiels" afin que, dans le Musée de Louqsor, - qui avait été inauguré en 1975 par les présidents Sadate et Giscard d'Estaing - "une pièce fut réservée pour l'exposition de ces découvertes capitales". 
Salle du musée de Louqsor ("Gallery A") consacrée à l'exposition des statues de la cachette du temple de Louqsor

Cette salle ("Gallery A") se trouve à droite en entrant dans le bâtiment. La muséographie en est particulièrement réussie : elle respecte et met en lumière - et en valeur - de façon presque intime, les œuvres, laissant même, entre chacune d'elles, un espace de "recueillement". 

C'est ainsi que l'on peut notamment admirer : la grande et majestueuse statue de quartzite d'Amenophis III sur son traîneau ; une statue en diorite d'Hathor au visage d'une douceur mystérieuse ; la statue de granit gris d'Iounyt, déesse de la Thébaïde ; le groupe statuaire de diorite d'Atoum et Horemheb ; un sphinx d'albâtre de Toutankhamon…
Quelques statues de la cachette du temple de Louqsor exposées au Musée de Louqsor ("Gallery A") 

Ce sont autant de merveilles de l'art égyptien qui furent restituées grâce au merveilleux travail des égyptologues !

marie grillot

sources :
Albert Gayet, Le temple de Louxor. 1er fascicule, Constructions d'Aménophis III, cour d'Aménophis, salle hypostyle, salles des offertoires, salle du lever et sanctuaire de Mout, Ernest Leroux Editeur, Paris, 1894
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k511081n
Gaston Maspero, Bibliothèque égyptologique contenant les œuvres des égyptologues français dispersées dans divers recueils et qui n'ont pas encore été réunies jusqu'à ce jour - Tome Huitième -, Etudes de mythologie et d'archéologie égyptiennes, IV, Ernest Leroux Editeur, Paris, 1900
http://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/maspero1900bd4/0333
Pierre Lacau, Le plan du temple de Louxor, Mémoires de l'Institut national de France, tome 43, 2e partie, 1951. pp. 77-92
https://doi.org/10.3406/minf.1951.1009
https://www.persee.fr/doc/minf_0398-3609_1951_num_43_2_1009
Mohamed el-Saghir, La découverte de la cachette des statues du temple de Louxor", Verlag Philipp von Zabern, 1991
Décès du découvreur de la cachette du temple de Louqsor, Article sur le raïs Farouq
https://alwafd.org/المحافظـات/704097-وفاة-مكتشف-خبيئة-معبد-الأقصر
Christian Leblanc, La mémoire de Thèbes, L'Harmattan, 2015
Christian Leblanc, Regards croisés sur la civilisation égyptienne, Pages choisies d’archéologie et d’histoire, L'Harmattan, 29/08/2024 - 486 pages
https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/regards-croises-sur-la-civilisation-egyptienne/76432



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire