Crédit photos : Florence Tran - Bonne Pioche |
C'est à Florence Tran que nous devons le merveilleux et incroyable film qui nous a plongés au cœur de la mission ScanPyramids : "Kheops, mystérieuses découvertes" ! Florence est une jeune et talentueuse réalisatrice, plusieurs fois primée pour ses documentaires. Cette grande voyageuse a souvent posé sa caméra en Égypte. On lui doit notamment "Kheops révélé", au cours duquel l'architecte Jean-Pierre Houdin présente sa vision du chantier de la construction de la grande pyramide. Dans "Une arme de choix", elle recueille les témoignages de jeunes cinéastes égyptiens - hommes et femmes - qui confient leur perception d'une société en transition au cours de la révolution du 25 Janvier. Dans "Le Lac Nasser, l'eau au cœur du désert", elle aborde le nouvel écosystème induit par la création de cette immense étendue d'eau artificielle.
Depuis deux ans, caméra au poing, elle suit, avec son équipe, la mission ScanPyramids. De Paris au Caire, de Nagoya à l'Université de Laval (Québec), de Guizeh à Dashour, des bureaux de recherches aux couloirs étroits des pyramides, des conférences de presse aux moments de doute ou d'espoir, Florence restitue l'ambiance d'une mission de recherche qui utilise les moyens du XXIème siècle pour décrypter les techniques de construction d'un monument qui nous éblouit autant qu'il nous questionne…
Un amical merci à Florence d'avoir accepté de répondre à nos questions.
Égyptophile : Après une projection en avant-première de votre film le 22 novembre dans les locaux de France Télévision, "Kheops, mystérieuses découvertes" a rassemblé 1,4 million de spectateurs sur France 5 le mardi 28 novembre 2017 : que ressentez-vous ?
Florence Tran : Je suis heureuse que le film touche une audience aussi large et que nous ayons pu initier le public à cette technique particulière qu'est la muographie et la physique des particules. Nous avons vraiment besoin de plus de films scientifiques grand public. C'était donc une chance unique de pouvoir suivre la mission ScanPyramids, de rendre compte de cette approche transdisciplinaire de cette alliance entre les technologies du futur mise au service de la résolution de l'un des mystères les plus anciens.
Muographie - pyramide de Kheops - Crédit photo : Bonne Pioche |
Ce qui m'étonne particulièrement c'est que nous ayons réussi à ce que le public, même jeune, reste accroché pendant 90', que les fins connaisseurs de la mission et de la pyramide de Kheops ont aussi aimé et que les scientifiques de la mission étaient aussi heureux et étonnés du résultat, malgré toutes les "simplifications" que nous avons dû faire pour rendre leur travail accessible. Pas simple en général de rassembler autant de publics très différents avec des attentes qui peuvent être très éloignées.
Ég : Des équipes internationales travaillent dans le cadre de "ScanPyramids", mission d'une technicité inégalée jusqu'alors. HIP, initiateur et coordinateur du projet, Nagoya University, KEK Japan, l'Université de Laval au Québec, la faculté des ingénieurs du Caire , le CEA, etc, … : comment restituer justement la place et le rôle de chacun ?
FT : L'institut HIP, Mehdi Tayoubi et Hany Helal ont su coordonner toutes ces équipes scientifiques, les aider à dialoguer entre elles quand c'était nécessaire et les protéger aussi des difficultés sur le terrain. Donc chaque équipe était autonome dans son travail scientifique mais toutes ont dû aussi être à l'écoute les unes des autres, confronter leurs résultats, accepter les critiques, vérifier tous les biais éventuels, surmonter les irritations des égos des uns et des autres, faire preuve de beaucoup de patience et de ténacité. Chacun a dû lâcher du lest et c'est un processus qui a été assez initiatique pour tous je pense. Au final la réussite de ScanPyramids ne tient qu'à cet immense travail d'équipe. S'il n'y avait pas eu cette solidarité entre eux, la mission aurait échoué.
Ég : Pour travailler avec ces scientifiques de très au niveau, pour bien restituer leur travail, il vous faut apprendre, comprendre les techniques mises en œuvre, comme les infrarouges, les muons, etc. Non seulement cela demande beaucoup d'attention, mais également une aptitude à ensuite les "vulgariser" et les rendre accessibles… : un exercice difficile ?
FT : Oui cela n'a pas été simple, mais j'ai été aidée dans ce processus par les monteurs, les producteurs et les responsables de la "case" Science Grand Format. Ils avaient plus de recul que moi à un certain moment. Donc j'ai aussi écouté et dialogué avec eux. Si eux ne comprenaient pas, c'est qu'il fallait changer quelque chose. Ce n'est pas le type de film que l'on écrit seule dans son coin, c'est aussi un gros travail d'écoute.
Ég : Vous avez su admirablement conjuguer images "réelles" et virtuelles : c'est certainement en cela que réside l'originalité de votre film. Il dévoile la mise en œuvre des techniques les plus sophistiquées et les plus pointues pour tenter de comprendre les prouesses techniques de la construction de la grande pyramide et la présence éventuelle d'espaces jusqu'alors non identifiés. Une fois encore, un exercice difficile ?
FT : La 3D du film a été faite en grande partie par Pierre Gable et l'équipe d'Emissive (qui font aussi partie de la mission). Je tiens vraiment à rendre hommage à Pierre Gable pour son travail formidable. Je pense que c'est l'un des meilleurs connaisseurs de l'architecture de la pyramide de Kheops aujourd'hui, tellement il l'a modélisée sous toutes les coutures. On a l'habitude de travailler ensemble mais là, pour ce film, j'ai été avec lui encore plus exigeante. Parfois nous étions vraiment fatigués de refaire une énième "passe" sur les plans 3D. Il fallait arriver à quelque chose de précis architecturalement et scientifiquement parlant mais aussi avec beaucoup de poésie et d'élégance. Je tenais beaucoup à cet aspect un peu magique et lumineux pour les plans 3D.
Ég : Vous nous offrez des prises de vues magnifiques de la grande pyramide, vous la survolez, vous entrez dans son intimité : que ressentez-vous face à ce monument d'éternité qui ne laisse pas si facilement dévoiler ses secrets ?
FT : Je dois avouer que plus je passe de temps dans ces pyramides, moins je les comprends. Comme au premier jour où je les ai vues (c'était en 2002) je suis sidérée par la démesure de l'entreprise. Je me demande "mais quelle foi incroyable les a motivés pour construire une telle montagne de pierre ?" J'aimerais me transporter dans le temps et voir comment ils ont fait. En fait je suis fascinée par la façon dont les anciens Égyptiens percevaient le monde, leurs rituels, leur religion, cette obsession pour le monde de l'au-delà et cette quête effrénée d'immortalité. J'aimerais faire un film sur la question un jour. Là ce n'était pas le sujet, mais il y aurait beaucoup à dire…
Après je pense que ma relation avec l'Égypte et les pyramides est de l'ordre du sortilège.Il y a un vieux dicton égyptien qui dit "une personne qui boit et goûte ne serait-ce qu'une seule fois à l'eau du Nil, cette personne, aussi loin qu'elle parte ou qu'elle voyage, cette personne reviendra toujours sur les bords du Nil." Je me demande si ce n'est pas le cas aussi pour les personnes qui s'approchent de trop près des pyramides, s'il n'y a pas une force magnétique, qui vous ramène toujours à elles. Il faut faire attention, ça peut-être dangereux... Ça peut vous prendre beaucoup de temps dans l'espace d'une vie, c'est extrêmement chronophage. Donc il faut s'éloigner d'elles et faire d'autres choses aussi !
Ég : Les circonstances du tournage ont-elles été difficiles ? particulières ? Avez-vous pu filmer TOUT ce que vous souhaitiez COMME vous le souhaitiez … et la question que nous nous posons tous, peut-on espérer voir une suite ?
FT : Évidemment je n'ai pas pu tout filmer ni tout raconter. Oui les tournages ont été parfois difficiles. Comme j'ai vécu 3 ans en Égypte, j'ai la chance de bien connaître le terrain, d'avoir une équipe de tournage égyptienne sur place en qui je peux faire confiance, qui m'a protégée de bien des situations compliquées. Les tournages ont été à géométrie variable, parfois j'avais une grosse équipe, parfois j'étais seule, parfois mon équipe égyptienne assurait le suivi sur place, parfois un cameraman français nous rejoignait, parfois c'était l'équipe japonaise qui faisait le suivi et pour l'escalade nous étions là, tous ensemble...
Florence Tran avec le Dr Morishima dans l'encoche arête N-E de la pyramide de Kheops |
Il y a eu un gros travail de coordination entre l'équipe japonaise et l'équipe franco-égyptienne, car nous avions aussi des tournages en France et au Japon. Avec évidemment des habitudes de travail et de styles différents, mais cela s'est très bien passé de ce côté-là. La collaboration a été assez fluide. Nous étions tous d'accord pour respecter au maximum le travail des scientifiques, ne pas être trop invasifs, ne pas les déranger trop. Il fallait d'abord que la mission se passe au mieux ! C'était la priorité ! On était solidaires avec eux, face à l'adversité ! Nous espérons tous qu'il y ait une suite mais là, à l'heure qu'il est, ce n'est plus une question scientifique, c'est une question politique et médiatique. La logique voudrait que la mission puisse continuer et qu'une équipe internationale menée par des Égyptiens puisse passer à l'étape suivante : percer un trou de 3 cm de diamètre et envoyer un minuscule robot faire une reconnaissance dans la cavité détectée derrière les chevrons.
Combien de temps cela va t-il prendre ? C'est une décision politique qui n'appartient qu'aux responsables égyptiens.
Si cela se passe, il faut aussi lever des fonds pour la suite... Il faut savoir que beaucoup de personnes ont travaillé en partenariat de façon bénévole, sans compter leur temps, par passion, par fidélité à ce projet qui a été initié il y a plus de 5 ans. Ce n'est pas du tout une mission qui roule sur l'or, bien au contraire. Et cela rend leur travail à tous d'autant plus honorable.
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