Une journée en Égypte avec… Émile Alliaud (1839-1906), homme de lettres et conférencier qui signait en littérature Émile Daullia
"S'il est, entre toutes, une contrée célèbre, intéressante, mystérieuse, c'est l'Égypte, contrée trop longtemps négligée des touristes.
Berceau de la civilisation, dès la plus haute antiquité, aujourd'hui, centre commercial et agricole important, la vieille terre des Pharaons, fouillée et rénovée par le monde des savants, réserve de nos jours plus d'une surprise à ses visiteurs.
Dans ses villes riantes et animées, le voyageur est heureux de retrouver le luxe et le confort qui lui sont chers, ayant son attention éveillée, à chaque pas, par mille sujets divers. L'agriculteur, en foulant aux pieds le sol de sa merveilleuse vallée, en observe l'admirable fécondité. L'artiste, en parcourant ses villages et bourgs pittoresques, enfouis au sein de la verdure des oasis qui bordent les rives du Nil, éprouve de véritables joies esthétiques. L'archéologue enfin, en présence des ruines grandioses de ses temples et tombeaux mis (au) jour, ne peut s'arracher à leur contemplation méditative.
L'Égypte, terre classique des souvenirs, est aussi le pays des contrastes. Suivant les zones, c'est tout à la fois la contrée la plus fertile et la plus stérile, la plus verdoyante et la plus aride, la plus plate et la plus accidentée, la plus populeuse et la plus déserte, la plus vivante et la plus morte, la plus desséchée et la plus inondée. Son père nourricier, le Nil, est le grand magicien, opérant tous ces miracles dans son sein, grâce à des débordements périodiques, qui fertilisent le sol partout où il a déposé son limon. Et, de toutes ces oppositions, engendrées par un climat sec et brûlant, agissant sur un sol sablonneux et d'alluvions, ressort comme une anomalie singulière, qui déroute l'étranger et excite son étonnement.
Quoi qu'il en soit, cette contrée, avec son étrange caractère d'originalité, nous apparaît douée d'un charme particulier, qui peut ne pas séduire tout le monde, mais est loin d'être banal. (...)
Pour visiter l'Égypte avec fruit et avoir une idée d'ensemble du pays, il faudrait pouvoir consacrer à cette visite, sinon des années, au moins une saison entière. Mais pour qui est pressé, quelques jours à la rigueur suffisent ; si l'on veut se contenter d'un aperçu superficiel des choses, et à condition de voyager, à toute vapeur, exclusivement en chemin de fer. (...)
Deux ou trois compagnons de voyage, parents ou amis et de commerce agréable, n'est-ce pas ce que l'on pourrait souhaiter de mieux ? Ajouterai-je que j'ai eu cette rare bonne fortune, et que grâce à des amis dévoués, qui m'ont aplani toutes difficultés, je n'ai rapporté de cette lointaine excursion en terre des Pharaons que de charmants souvenirs ?"
(extrait de Souvenirs d'Égypte)
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Une journée en Égypte avec… Louise Colet (1810-1876), poétesse et écrivaine française qui, lors de l'inauguration du canal de Suez en 1869, est envoyée en Égypte par le journal progressiste "Le Siècle" pour suivre l'événement. Elle note ses observations et ses réflexions sur l'art, la religion, le mode de vie des Égyptiens dans un livre qui ne paraîtra qu'après sa mort, en 1879.
"J'entends dire autour de moi que ce merveilleux paysage a le défaut d'être monotone : toujours des montagnes dénudées ! toujours des palmiers montant dans l'azur ! toujours des bisons ou des brebis paissant alentour des pauvres tourbis (*) d'où un minaret jaillit dans un ciel sans nuage ! Pas un horizon inattendu et varié ! Les navires marchent des heures entières et l'aspect des deux rives ne change pas.
Ceux qui parlent ainsi oublient les effets magiques de la lumière égyptienne. Lorsque le soleil qui décline darde ses premières pourpres sur la rive occidentale, on croirait qu'un sang jeune et rose s'infuse à travers l'immense étendue. Il jaillit comme un incendie au fond de l'éther bleu qu'il embrase, il colore de sa flamme jusqu'à la blafarde aridité du désert ; chaque caillou brille comme un rubis, chaque grain de sable devient une étincelle ; l'eau trouble du Nil se clarifie et semble bleue comme celle d'un lac de la Suisse.
Ce jour-là, en voyant le premier soleil couchant de la Haute-Égypte, je restai en extase et comme attendrie d'admiration et d'amour. La terre vivait et tressaillait à cette heure. Du brin d'herbe aux monts titaniques, tout participait à l'immense palpitation de son rayonnement.
Oui, la terre vit ; elle a une âme qui, tour à tour, se communique aux nôtres et se les assimile sans les anéantir. Nous contribuons à sa fécondation, à sa beauté, à ses enfantements immortels !"
(*) hameaux construits en limon du Nil(extrait de Les pays lumineux : voyage en Orient, 1879)
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Une journée en Égypte avec… Maurice Maeterlinck (1862 - 1949), écrivain francophone belge, prix Nobel de littérature en 1911
"Aucune photographie, aucun tableau, aucune description ne peut donner une idée exacte de leurs monuments [à propos des anciens Égyptiens]. Il faut les voir sur place, au milieu du paysage où ils sont nés, sous le ciel immuable qui les éclaire encore comme il les éclairait il y a quatre ou cinq mille ans, au bord du fleuve unique qui n'a pas changé d'aspect, enveloppés des siècles qui ne les ont presque pas ébranlés.
De même pour leur art. Dans les longues galeries des musées, dans les reproductions les plus fidèles des albums les plus soignés, il nous semble assez souvent incompréhensible, monotone, rabâcheur, vain et puéril. Ici, non loin des eaux du Nil ou parmi les sables ou les falaises du désert, sur les murs qu'il a couverts, non point de ses rêves, car l'art égyptien ne rêve guère, mais de ses documents, depuis l'aurore de l'histoire, il révèle enfin sa véritable signification.
Nous constatons d'abord que l'artiste égyptien est tantôt une sorte de greffier officiel, chargé d'enregistrer pour l'éternité les victoires, les conquêtes et les actes religieux d'un grand règne, tantôt, plus humblement, une espèce de scribe ou d'imagier réaliste et familier, qui doit reproduire sur les parois de la maison des morts, en lignes simplifiées mais le plus fidèlement possible, les meubles, les outils, les occupations de l'existence quotidienne, afin qu'ils s'animent, repeuplent et continuent la vie de l'autre côté du tombeau, comme si le défunt ne l'avait pas interrompue. Sa mission est avant tout utilitaire. On ne demande rien à son imagination. Il n'a qu'à copier, en les schématisant, parce qu'il est incapable de les représenter dans leur ensemble, les batailles, les triomphes, les cérémonies religieuses qu'il a pu voir, et les moissonneurs, les cuisiniers, les pêcheurs, les menuisiers, les animaux et les arbres qu'il regarde chaque jour. La beauté et le style sont venus, sans être invités, gratuitement et par surcroît."
(extrait de En Égypte, 1928)
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