Une journée en Égypte avec… Raimond-Jean-Baptiste de Verninac de Saint-Maur (1794-1873), ministre de la Marine français ayant commandé l’expédition chargée de transporter en France un obélisque du temple de Louxor, offert à Louis-Philippe par Méhémet Ali
Le Caire - date et auteur de la photo non mentionnés |
"Le peu de séjour que le 'Luxor' fit au Caire ne permit pas de parcourir en détail cette ville célèbre dont les voyageurs ont dit trop de bien et de mal, selon la saison où ils l'ont visitée et le motif particulier de leur voyage. Les uns, frappés de la beauté du site, de la riche végétation de la campagne, de l'opulence des palais et de la somptuosité naturelle des jardins qui l'entourent, en font une ville des 'Mille et une Nuits' ; les autres, obligés par le genre particulier de leurs recherches de pénétrer dans les quartiers habités par le bas peuple, rebutés de la malpropreté des rues, de la misère qui s'y présente sous toutes les formes, n'ont vu dans cette capitale qu'un amas de maisons mal bâties, renfermant le tableau complet de toutes les souffrances éparses sur l'Égypte. Envisagée sous des aspects différents, le Caire peut faire naître ces exagérations : la vérité se trouve dans la modification que se donnent l'une à l'autre ces opinions réunies. (...)
Du point le plus élevé de la citadelle se déroule autour de vous un vaste horizon. Vous voyez à vos pieds une ville immense renfermant plus de trois cents mosquées, dont chacune est surmontée de minarets admirables de richesse et de grâce ; à droite les tombeaux des califes, monuments précieux de l'architecture arabe ; à gauche le vieux Caire sur les débris de Fostat ; en avant une plaine couverte de verdure ; plus loin Boulac et son port rempli de barques, ensuite le Nil et ses îles verdoyantes ; au-delà, un peu vers la gauche, le vaste emplacement de Memphis, que couvre une forêt de dattiers, et un peu vers la droite, le champ plus vaste encore où se livra la bataille des Pyramides, qu'on aperçoit sur les bords du désert. On entre dans le Caire par plusieurs portes, dont quelques-unes sont belles de simplicité. L'intérieur renferme plusieurs édifices, des mosquées surtout, dignes d'admiration : c'est notre architecture gothique, avec encore plus de hardiesse, de grâce et de légèreté. On regrette que la barbarie ait détruit, ou laissé détruire, en partie, ces produits merveilleux des arts et de la civilisation des Arabes. Ce qui en reste indique ce qu'on a perdu, et suffit pour laisser deviner quelle ville fut le Caire avant que la découverte du cap de Bonne-Espérance et la conquête des Ottomans lui eussent enlevé le commerce du monde."
(extrait de "Voyage du Luxor en Égypte : entrepris par ordre du roi pour transporter de Thèbes à Paris l'un des obélisques de Sésostris", 1835)
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Une journée en Égypte avec… Charles-Frédéric-Alexandre André de Carcy (1814-1889), aristocrate lorrain, ancien élève de Saint-Cyr et ancien chef d'escadron d'État-major.
illustration J.P Sebah : Egypte - Philaé - Le Temple Nectanebo |
"L'Égypte nous a donné une disposition d'esprit qui doit être la même chez beaucoup des visiteurs de cette contrée. Les uns s'en tiennent aux seules impressions, déjà vives, de la curiosité ; d'autres suivent les aspirations plus sérieuses vers lesquelles on se sent doucement entraîné.
Le projet d'un voyage en Égypte nous avait séduits, comme étant un peu en dehors des voyages ordinaires. Notre but était de juger par nous-mêmes des charmes si vantés du climat et de voir des merveilles classiques remontant à des époques si reculées, qu'on peut en calculer à peine la haute antiquité. Nous désirions encore observer la civilisation orientale, dont nous supposions, avec raison, la marche plus accentuée et plus rapide en Égypte que dans les autres pays musulmans. Ces désirs, successivement satisfaits, ont fait place à d'autres que nous n'avions pas soupçonnés.
Les mystérieux monuments de l'Égypte présentent des problèmes dont la solution est attractive.
La curiosité matérielle satisfaite, la curiosité intellectuelle et morale s' éveille ; on a conscience, - nous parlons pour nous, - de son inaptitude à comprendre les grands rébus historiques et religieux qui se rencontrent à chaque pas. Se laisse-t-on aller à en commencer l'étude, on est aussitôt saisi par un extrême intérêt ; on s'entraîne à soulever chaque jour davantage les voiles qui cachaient à l'esprit une appréciation plus juste de la civilisation primitive du pays des Pharaons. (...)
En Égypte, le côté artistique et poétique existe partout dans la nature. Le grand peintre est le soleil ; ses œuvres sont ces scènes inimitables, sans cesse variées, composées avec cette lumière splendide qui dore les clairs, perce les ombres les plus accusées et inonde d'harmonie l'ensemble de ses tableaux.
En vivant au milieu de ces beaux effets, ils élèvent la pensée, ils attirent l'esprit vers les recherches sérieuses et historiques que les ruines monumentales invitent à entreprendre. On sent, devant le spectacle des gigantesques efforts de l'humanité, que les yeux ne sont pas seuls émerveillés, que les aspirations philosophiques de notre âme sont elles-mêmes puissamment excitées.
L'Égypte devient un immense livre que l'on veut pouvoir lire, une charte que l'on cherche à déchiffrer. On quitte alors ce pays en gardant le désir d'approfondir une science qui, lorsqu'on est éloigné, paraît encore augmenter d'attrait .
Nous avons mieux compris à notre départ ce que M. Mariette nous avait dit à notre arrivée, sur l'espèce de passion d'égyptologie qui s'étant peu à peu emparée de lui n'avait fait qu'augmenter avec la durée de son séjour.“
(extrait de "De Paris en Égypte : souvenirs de voyage, 1874")
Une journée en Égypte avec… Antoine Barthélémy Clot-Bey (5 novembre 1793 - 28 août 1868), médecin français ayant travaillé en Égypte
Touristes au temple de Louqsor |
"Impressions des voyageurs.
Les impressions que l’Égypte laisse dans l’esprit des touristes sont diverses, et varient suivant les caractères des voyageurs.
Les uns arrivent sur les bords du Nil avec des idées préconçues ; ils s’imaginent trouver en Égypte, avec le confortable européen et les avantages matériels que procure la civilisation, outre des antiquités curieuses, des mœurs empreintes d’un caractère original, dans l’observation desquelles ils se promettent de piquantes jouissances. Mais, dès qu’ils sont convaincus que le pays des pyramides, des sphinx et des obélisques n’a aucune de ces commodités qui rendent en Europe les voyages si faciles ; lorsqu’ils savent que l'on ne peut aller aux pyramides en chemin de fer et qu’aucune route royale, départementale ou vicinale ne relie à Alexandrie ou au Caire les magnifiques ruines de Karnac et de Louqsor, alors leur désappointement change tout à coup en amères récriminations, en une antipathie outrée, les préventions favorables qui les berçaient à leur arrivée en Égypte ; bientôt toute chose se transforme en mal à leurs yeux. Peu leur importe que le ciel soit beau, que ses teintes soient admirablement pures, si le soleil est brûlant, la chaleur insupportable. Songeraient-ils à jouir de la sérénité des nuits, qui enivre de jouissances le corps et l’âme, lorsque, en revanche, des vents, qui font tourbillonner les trombes de poussière, leur préparent pendant le jour d’affreux tourments ? Le sol est fertile, disent-ils, mais le paysage d’une monotonie désespérante, puis qu’est-ce qu’une mince bande de terres fécondes perdue au milieu d’un océan de stériles solitudes ? Les monuments antiques sont grandioses ; les souvenirs qu’ils rappellent parlent à l’intelligence et au cœur ; mais les villes actuelles sont laides ; les populations qui les habitent, hommes et femmes en chemise, enfants nus et maladifs, tout cela est hideux à voir. Ajoutez le désagrément de se trouver au milieu d’un peuple qui parle une langue bizarre et difficile, obstacle continuel qui suscite des ennuis à chaque instant. Aussi, pour peu que ces voyageurs, dont les rêves sont déçus, ne soient pas d’humeur endurante, mécontents de tout, ils ne soupirent qu’après le moment où l’Égypte disparaîtra derrière la quille du navire qui les emportera loin de cette terre maudite. De retour chez eux, ils se vengeront de leur désillusionnement, en la décriant à toute occasion ; et, s’ils écrivent leur voyage, ils la représenteront sous des couleurs fausses et injustes.
D’autres touristes sont aussi exagérés dans des sentiments contraires. Enthousiastes de ce qui est nouveau pour eux, avides d’émotions, ils trouvent tout bien, admirent tout, se passionnent pour chaque chose. Tout plaît également à la curiosité bienveillante de ceux-là : l’aspect particulier du pays, la physionomie singulière des villes et celle des habitants. Aussi se hâtent-ils d’imiter les manières des musulmans et d’endosser leur costume. C’est même une mode assez générale parmi les nouveaux arrivés de se revêtir le plus tôt possible des habillements orientaux. Quoique l’on soit autant respecté et peut-être plus sous le vêtement européen, ils cherchent à excuser leur caprice par des motifs plausibles de convenance, lorsqu’au fond ils ne brûlent que de satisfaire une fantaisie. Ils ont hâte de se voir dans le large pantalon, de rouler un turban autour de leur tête et de porter au côté un sabre recourbé. En fait de costume, ceux qui ont la prétention d’être artistes poussent le culte de l’ancien vêtement des musulmans jusqu’à se singulariser d’une manière ridicule. Ils déplorent que les Orientaux aient abandonné quelques-uns de leurs usages pour les remplacer par les nôtres : - aujourd’hui on ne porte plus, dans la haute société, le turban qui n’est resté en usage que parmi les hommes de basse classe ; - ils en entourent leur tête ; de même, ils préfèrent l’ancien cordon de soie au ceinturon de cuir par lequel les Orientaux retiennent maintenant leur sabre. Quelques-uns exagèrent l’imitation jusqu’à aller pieds nus. On dirait qu’ils ne savent plus s’asseoir sur une chaise et qu’il faut qu’ils se fassent violence pour ne pas s’accroupir, les jambes croisées, sur les divans. Mais, en dépit de leurs prétentions, les manières orientales et le port du costume musulman demandent un apprentissage. Une certaine affectation de singularité dans le choix et l’arrangement des diverses parties de l’habillement, la gaucherie des gestes, le caractère de la démarche, trahissent les novices, et font reconnaître aussi sûrement les Européens sous le déguisement oriental que sous l’habit franc.
Mais il y a, parmi les voyageurs, des hommes sérieux dont l’esprit est modéré, impartial, équitable, et que leur imagination n’emporte pas fougueusement aux extrêmes ; des hommes tolérants qui comprennent la vraie situation des peuples orientaux, apprécient à leur valeur, ni trop ni trop peu, le pays et ses habitants, les personnes et les choses, savent se plier sans répugnance comme sans affectation aux exigences des lieux et à l’empire des coutumes, et, en définitive, peuvent porter un jugement droit sur l’Égypte, que la disposition de leur intelligence leur a permis d’étudier avec fruit."
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