mercredi 13 septembre 2017

"L'extraordinaire découverte du pharaon Aménophis II" : Patrizia Piacentini nous guide dans une exposition à découvrir à Milan


"L'extraordinaire découverte du pharaon Aménophis II" : tel est le thème d'une très intéressante exposition qui se tiendra du 13 septembre 2017 au 7 janvier 2018 au Musée des Cultures - MUDEC - de Milan (Italie).

Patrizia Piacentini, docteur en égyptologie, titulaire de la chaire d’égyptologie à l’Université de Milan depuis 1993, a accepté de présenter - en avant-première - cette exposition aux lecteurs d' "Égypte actualités". Elle l’a organisée (elle en est le commissaire), avec Christian Orsenigo et Massimiliana Pozzi, et en a rédigé le magnifique et très documenté catalogue, qui réunit les contributions de plusieurs grands spécialistes de l’époque d’Aménophis II. 
Affiche de l'exposition "L'extraordinaire découverte du pharaon Aménophis II" : 
du 13-9-2017 au 7-1-2018 - Musée des Cultures - MUDEC - de Milan (Italie)

Le parcours de cette exposition se décline en quatre thèmes principaux : un rappel du contexte dans lequel a régné le pharaon Aménophis II, la vie quotidienne à la XVIIIe dynastie, les croyances et pratiques funéraires, et enfin la découverte, en mars 1898, par l'égyptologue français Victor Loret, de la tombe de ce pharaon dans la Vallée des Rois. 

Afin d'illustrer ces sujets de la façon la plus riche et la plus parlante, et de rendre à ce grand pharaon l'hommage qui lui est dû, le Musée égyptien du Caire, le Rijksmuseum van Oudheden à Leyde, le Kunsthistorisches de Vienne, les Musées égyptiens de Florence et de Milan, les archives d’égyptologie de l’Université de Milan ainsi que des collectionneurs privés ont accepté de prêter des pièces exceptionnelles.

Égypte actualités : C'est en 1427, à la mort de son père Thutmosis III, qu'Aménophis (Amenhotep) II accède seul au pouvoir, après une brève période de corégence. Il n'avait alors que 18 ans. Passionné de sports, aimant la vie au grand air, était-il préparé à ces hautes fonctions ?

Patrizia Piacentini : Oui, même s’il n’était apparemment pas le fils prédestiné à devenir pharaon. C’était le fils aîné de Thutmosis III et de sa femme Satiah, nommé Amenemhat, qui devait accéder au trône. Mais celui-ci mourut avant son père, et Amenhotep (ou Aménophis selon une graphie erronée mais rentrée dans l’usage égyptologique), fils d’une autre épouse nommée Merytra-Hatshepsut, fut associé au règne de Thutmosis III pendant deux ans et demi environ, pour faciliter la succession. Aménophis avait déjà acquis toutes les notions nécessaires au gouvernement, ayant été élevé dans le “Kap”, une institution liée au Palais où les enfants de l’élite égyptienne et étrangère étaient éduqués. 

Beaucoup d’informations sur sa jeunesse nous sont parvenues grâce à une grande stèle érigée dans un temple que fit construire le roi près du Sphinx de Giza, mais nous pouvons aussi les déduire des stèles ayant appartenu à ses hauts fonctionnaires, qui rappelaient l’extraordinaire proximité avec le souverain.

Stèle de Henetneferet - Thutmosis II et Amenhotep II
Rijksmuseum van Oudheden à Leyde

ÉA : Il a gouverné l'Égypte pendant plus de 25 ans : son règne a-t-il été prospère?

Patrizia Piacentini : Le règne d’Aménophis II a été riche et prospère, marqué par une administration exemplaire où des amis fidèles et collaborateurs très proches du pharaon avaient des rôles-clés en Égypte et à l’étranger. L’Égypte était alors au sommet de son impérialisme, et les rapports avec les pays confinants étaient très intenses, avec échanges commerciaux et circulation de personnes, libres ou forcés, de biens et d’innovations. 

ÉA : Quels en ont été les faits marquants ? Plutôt qu'un pharaon bâtisseur, a-t-il été un pharaon guerrier et conquérant ?

Patrizia Piacentini : Pendant la première partie de son règne, le jeune pharaon mena trois campagnes militaires en Syrie et en Palestine pour affirmer l’influence égyptienne sur les territoires déjà conquis par son père. La “stèle de Memphis”, aujourd’hui au Musée du Caire, raconte comment, après les affrontements, les trois ennemis principaux de l’Égypte (Mitanni, hittites et babyloniens) avaient présenté leurs dons au pharaon pour l’honorer et conclure une paix durable. Il y a sûrement de la propagande égyptienne derrière ces mots, mais c’est vrai qu’il n’y aura plus d’expéditions militaires ordonnées par Aménophis II après l’année 9 de son règne.

C’est alors qu’il intensifie son activité de construction ou décoration de temples et d’autres bâtiments, et qu’il termine certains temples commencés par son père. 

Amenhotep sous forme de sphinx
calcaire - provenance Cachette de Karnak - Musée égyptien du Caire

Il construit un temple près du Sphinx à Giza, ainsi que la chapelle du jubilé à Karnak, entre les 9e et le 10e pylônes, tout en enrichissant ce même complexe sacré avec bas-reliefs et statues. Il termine un temple à el-Kab, un autre à Amada en basse Nubie et il en décore d’autres dans la même région stratégique. Il y aura des chapelles à son nom à Armant, Tod, Médamoud, et ainsi de suite. Il construit aussi sa résidence et un port à Perunefer, dans le Delta, près de Tell ed-Daba. Il fait construire son "Temple des Millions d’années" sur la rive ouest de Thèbes, à Gurnah : aujourd’hui très abîmé, il a été fouillé entièrement et on en connaît assez bien la structure ; on sait qu’il était orné des jardins luxuriants. Il fait aussi creuser sa tombe dans la Vallée des Rois, qui porte aujourd’hui le numéro 35.

Amenhotep II assis sur son trône 
calcaire - provenance Cachette de Karnak - Musée égyptien du Caire

ÉA : Des statues, des oushebtis, des stèles, des bijoux, des objets de toilette, des armes sont exposés. Les arts et la créativité ont-ils été florissants alors qu'il était au pouvoir ?

Patrizia Piacentini : Aménophis II régna au cours d’une période faste de l’Égypte ancienne ; mais à son époque, le luxe est élégant, pas excessif. La centaine de statues de ce pharaon qui nous sont parvenues ressemblent dans l’ensemble à celles de son père Thutmosis III, et leur datation ou attribution sont parfois controversées. Le style du visage d’Aménophis II est proche de celui de son père, son modèle de vie et de politique, mais il présente des traits plus sereins, avec de grands yeux de forme naturelle. Le modelé du corps est toutefois bien différent : épaules puissantes et muscles en évidence soulignent la force invincible du pharaon, tant célébrée sur ses stèles et élément central de sa propagande.

ÉA : C'est en mars 1898, au cœur de la Vallée des Rois, sur la rive ouest de Louqsor, que Victor Loret, un égyptologue français qui est alors à direction du Service des Antiquités d'Égypte, découvre sa demeure d'éternité : la KV 35 (où KV indique Kings’ Valley, la Vallée des Rois, et 35 le numéro attribué par Loret) Cette sépulture contient la momie du pharaon, mais la découverte prend vite une ampleur tout autre… 
La Vallée des Rois - photo H. Béchard    

Patrizia Piacentini : Déjà le fait d’avoir trouvé dans le sarcophage de la chambre funéraire la momie du titulaire de la tombe, Aménophis II, est en soi exceptionnel. C’est la première fois que cela se produisait. La deuxième fois sera 24 ans plus tard, avec la célèbre découverte de la momie de Tutankhamon dans sa propre tombe.
Mais Loret découvrit aussi dans la KV 35 une quinzaine d’autres momies ou parts de momies : la majorité y avaient été cachées autour de l’an 1000 av. J.-C. par des fonctionnaires de la nécropole, pour les sauvegarder de la destruction. Les tombes respectives de ces pharaons ou personnages importants avaient été saccagées, mais il fallait préserver les corps pour leur garantir la vie éternelle. Parmi eux, dans une pièce de la tombe, il y avait Thutmosis IV, Aménophis III, Sethi II, Ramsès IV, V, VI et bien d’autres. 
Page originale du carnet de fouilles de Victor Loret - Tombe d'Aménophis II pièce 4
28 mars 1898 - Archives d’égyptologie de l’Université de Milan - Fonds Loret

Dans une autre pièce de la tombe, Loret découvrit trois autres momies, de deux femmes et d’un jeune homme. 
La momie de la "Elder Woman" et la momie de la "Younger Lady" découvertes dans la pièce 1 de la tombe d'Aménophis II, photographiées par Victor Loret, 1898 -
Archives d’égyptologie de l’Université de Milan - Fonds Loret

Des recherches génétiques récentes, développées dans le cadre du "King Tutankhamun Family Project" mené par le Conseil Suprême des Antiquités, ont montré qu’il s’agit sans doute de Tiy, femme d’Aménophis III et grand-mère de Tutankhamon, et de la mère de ce dernier, qui reste anonyme. Ce qui semble certain, c'est qu’elle était trop jeune au moment de sa mort pour être identifiée à la célèbre Néfertiti, femme principale d’Akhénaton. L’identité du jeune homme, par contre, est encore inconnue, même s’il s’agit selon toute probabilité d’un proche d’Aménophis II.
En raison de la présence de tous ces personnages, la tombe est appelée par les égyptologues la “deuxième cachette royale”. Une autre, avec plus de cinquante momies, avait été découverte en 1881 à Deir el-Bahri, pas loin de la Vallée des Rois.

ÉA : Vous exposez de passionnants témoignages de cette découverte car l'Université de Milan a l'immense privilège de détenir, depuis acquisition en 2002, la plus grande partie des archives de Victor Loret. Est-ce la première fois que ces documents d'une importance capitale sont exposés ?

Patrizia Piacentini : Oui, c’est la première fois que le grand public pourra voir le journal de fouilles de Victor Loret, ses dessins et ses notes, ainsi que de nombreuses photographies de l’époque qui illustrent son extraordinaire découverte. Les spécialistes connaissaient ces documents à travers une publication scientifique que nous avons faite en 2004, peu de temps après la trouvaille de ces documents. Seulement quelques pages du journal de fouilles avaient été exposées au Musée du Caire en 2008, à l’occasion d’une exposition que nous avions organisée autour de la personnalité et des années égyptiennes de Victor Loret. Mais dans l’expo de Milan qui va bientôt s’ouvrir, les visiteurs pourront vraiment s’identifier avec l’archéologue et suivre son parcours de découverte dans la tombe, grâce à tous ses documents mais aussi à travers des dispositifs multimédias.
"Stèle de tir à l'arc d'Aménophis II", découverte en 1927 dans le temple d'Amon à Karnak, avant l'intervention de restauration (Université des études de Milan, Bibliothèque et archives d'Egyptologie, Fonds Varille)

ÉA : Quelles sont, selon vous, les pièces les plus importantes que les visiteurs pourront découvrir à cette exposition ?

Patrizia Piacentini : Une stèle extraordinaire, même si fragmentaire, exposée pour la première fois au public, faisant partie depuis très longtemps de la collection privée de l’héritier d’un antiquaire célèbre qui travailla au Caire au début du siècle dernier. Suite aux résultats d’analyses très poussées, on a pu établir que la pièce a été retravaillée par différents pharaons au moins à partir de l’époque d’Hatshepsut jusqu’au début de la XIX dynastie.

Du Musée du Caire viennent plusieurs statues d’Aménophis II, dont une qui le représente assis en majesté, comme pharaon parfait. Nous l’avons choisie comme image-phare de l’expo. Une autre statuette de grande élégance le montre en forme de sphinx. Elles ont en commun le fait de provenir d’une cachette trouvée dans le temple de Karnak par Georges Legrain au début du XX siècle. L’archéologue français découvrit entre 1903 et 1907 presque 700 statues en pierre et des milliers de statuettes d’Osiris en bronze dans le soubassement de la cour près du VIIe pylône, ensevelies peut-être vers la fin de l’époque ptolémaïque pour mieux ranger les espaces du temple en vue d’une rénovation ou après des démolitions. Parmi les objets retrouvés, il y avait une stèle fragmentaire d’Aménophis II et plus d’une dizaine de statues à son nom ou le représentant. Leur étude a permis de mieux connaître la statuaire royale de cette époque.

Nous exposons aussi une très belle statue en granit du pharaon protégé par le dieu Thot sous forme de babouin, provenant probablement de Memphis et conservée au Musée de Vienne.

Pour illustrer l’histoire de sa famille et les transformations dans le style de la statuaire, nous avons choisi d’exposer aussi des statues de Thutmosis III, dont une aujourd’hui également à Vienne, et une autre au Musée égyptien de Florence. Ce dernier Musée nous a accordé aussi un magnifique arc en bois appartenant à un haut fonctionnaire de l'époque, compagnon d’Aménophis II depuis son plus jeune âge.
Il y a aussi une jolie stèle en calcaire avec restes de couleurs, conservée au musée de Leyde, sur laquelle Aménophis II et son père Thutmosis III sont représentés en parfaite symétrie.
Mais le point fort de l’exposition est la reconstruction de la chambre funéraire et de deux pièces annexes de la tombe d’Aménophis II. Ici nous montrons les documents de fouilles originaux dont on vient de parler, conservés à l’Université de Milan, à côté d’une série d’objets retrouvés dans la tombe qui font partie des trésors du Musée du Caire. Le ministère des Antiquités égyptien a bien voulu nous prêter, exceptionnellement, des pièces en bois peint et en faïence de grand beauté, dont un modèle de bateau et des statues de divinités qui avaient étonné Victor Loret au moment de la découverte, et continuent à nous étonner aujourd’hui...

Propos recueillis par marie grillot

Musée des Cultures - MUDEC - de Milan


Patrizia Piacentini, commissaire de l'exposition et Nevine el-Aref  à droite, 
représentant le Ministre Khaled el-Enany, lors de l'inauguration, le 12 septembre 2017 à Milan



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