En 1818, le marseillais Jean-Jacques Rifaud fouille à Karnak pour le compte de Bernardino Drovetti - consul de France et… antiquaire italien -, qui l'a engagé deux ans plus tôt.
C'est à l'entrée du temple d'Amon, dans la cour située juste après le pylône, qu'il découvre, du côté gauche, enfoui dans la terre et le sebak, une structure qui sera plus tard identifiée comme le temple reposoir de Séthy II. Il s'agit plus précisément d'une "chapelle de la barque sacrée de la triade divine, composée d'Amon, Mout et de leur fils Khonsou". Le petit monument, dont la décoration extérieure ne sera jamais terminée, est "doté de trois ouvertures et, de chaque côté de la porte centrale, afin d'affirmer sa puissance et sa présence, le pharaon fit ériger, deux statues colossales à son image".
C'est avec d'infinies précautions que Jean-Jacques Rifaud s'emploiera à extraire les deux statues. Sculptées dans un grès rouge-rosâtre et hautes de plus de cinq mètres, elles représentent le pharaon debout, bien campé sur ses jambes épaisses, paré des symboles de la royauté, écrasant de puissance et de force.
Voici un extrait de la description qu'en fait Eleni Vassilika dans Trésors d'Art du Museo Egizio : "Le roi est représenté coiffé d'une courte perruque et d'une énorme couronne atef avec des cornes de bélier au sommet de la couronne de la Basse Egypte ; l'ensemble est en outre orné de cobras uraei et de disques solaires. Il porte une pièce d'étoffe drapée de manière élaborée, décorée d'une tête de panthère et se terminant au-dessus du genou par une bordure de cobras uraei, sur un pagne portefeuille plissé. Le roi tient un énorme étendard, dont la hampe porte tous ses titres inscrits. Comme par crainte d'une usurpation future de ces colosses, le nom et les titres du roi figurent également sur la base de la sculpture, sur le pilier dorsal et dans un cartouche sur sa ceinture et sur le petit cylindre que le souverain tient dans sa main droite. Ce cylindre symbolisait un bâton tenu à l'horizontale, qu'on ne reproduisait pas dans les sculptures en pierre par crainte de rupture."
Une fois totalement dégagées, les deux statues se révéleront ne pas être dans un état de conservation identique. Le consul Drovetti se réservera la mieux préservée et laissera à Rifaud la seconde, légèrement endommagée, avec notamment la "partie supérieure de l'enseigne, coiffure et mitre offensées".
Jean-Jacques Rifaud doit faire appel à toute son ingéniosité afin de pouvoir transporter les deux monolithes vers Louqsor : "Il fit construire spécialement selon ses plans un lourd chariot pour les transporter de Karnak à Louxor, où ils arrivèrent après deux milles de trajet (environ 3,5 km) sans avoir éprouvé la moindre égratignure."
La statue "Drovetti", "sur le plat du socle de laquelle le découvreur avait gravé 'Jean Rifaud, sculpteur au service de M. Drovetti, à Thèbes, 1818', fut ensuite déposée sur un bateau à destination d'Alexandrie. De là, chargée sur le "Trondheim", elle gagna Livourne en Italie. Le capitaine qui eut la tâche de transporter le colosse d'Alexandrie à Livourne, très fier de son exploit, grava à son tour, en norvégien Fort fra Egypten til Livorno i skibet Tronhiem (le vrai nom du navire) cap.n. Richelieu, 1819."
Quant au second colosse, Rifaud prit la décision de le vendre. Il trouva en Égypte un acquéreur en la personne de "M. de Locke, un voyageur de passage, qui le fait transporter à Rome. La statue y fut habilement restaurée par ses nouveaux propriétaires, MM. Forestier et Guidi".
Ainsi, les deux statues se retrouvèrent-elles, temporairement, ensemble en Italie...
En décembre 1824, alors que Jean-François Champollion est à Turin, "le colosse d'un pharaon appelé alors Osymandias - en réalité Séthi II -, fut transporté dans la ville et fut provisoirement entreposé, recouvert de paille, dans la cour du Musée. Champollion, l'ardent enfant du Sud, s'indigna du retard que l'on mettait à lui attribuer une place digne de sa grandeur."
L'admiration et l'intérêt qu'il ressent pour cette statue sont très vifs. Aussi, imagine-t-on sa joie - et son enthousiasme - lorsqu'il apprend, parallèlement, que son double, son "pendant", est à vendre ! Il n'a alors de cesse qu'il puisse venir enrichir les collections du "musée" parisien qu'il espère de toutes ses forces. |
C'est ainsi qu'il écrit à son frère : "Je te donnerai pour nouvelles d'un colosse de 14 pieds parfaitement conservé en grès rouge et portant la légende du Pharaon 'Mandouél' que je crois être le grand Osymandias, prince antérieur à la XVIIIe Dynastie, d'un travail très pur."
Dans une autre missive, il évoque aussi : "J'ai retrouvé ici M. de Forbin qui m'a traité au mieux il veut acheter le colosse. Je lui ai dit qu'il serait bien de l'avoir à 8.000 francs. Quant à moi, je le laisse faire. Si on l'a pour ce prix, c'est une bonne chose.”
Finalement Emmanuel de Rougé conclura la transaction pour la somme de 6.000 francs… Le colosse fut alors transporté de Rome à Toulon, en novembre 1827, par Forestier, avant de gagner Paris où la division des antiquités égyptiennes du musée Charles X sera inaugurée le 15 décembre 1827.
Plus tard, lors de l'étude qu'il fera de la statue, Emmanuel de Rougé précisera : "La légende royale est martelée et répétée sur la base et sur le dos du colosse. Le dieu Set est mutilé partout, son image n'a échappé qu'une seule fois à cet outrage dans un des cartouches gravés sur le dos. La ceinture du roi est fermée par une boucle sur laquelle était gravé le nom royal avec une addition remarquable : Séti aimé de Ptah".
Séthy II, Ve pharaon de la XIXe dynastie, était le fils de Mérenptah et de la reine Isis-Nofret II. Son règne est généralement daté de 1203 à 1194. Il fut inhumé dans la Vallée des Rois, dans la KV 15. Sa momie fut ensuite déplacée dans la KV14, puis lors des époques troublées de la XXIe dynastie, mise à l'abri - avec les momies d'autres pharaons - dans la KV 35, tombe d'Amenhotep II. Cette "cachette royale" sera découverte en 1898 par l'égyptologue français Victor Loret…
Ces deux statues de Séthy II - retrouvées à Karnak par un français travaillant pour le compte d'un consul de France d'origine italienne - constituent désormais les pièces maîtresses et emblématiques des collections des musées de Turin et au Louvre.
marie grillot
sources :
Statua di Seti II
https://collezioni.museoegizio.it/it-IT/material/Cat_1383/?description=&inventoryNumber=&title=&cgt=&yearFrom=&yearTo=&materials=&provenance=&acquisition=&epoch=&dynasty=&pharaoh=8a635663676f486aa655f7ab6bfcd57c
Statue porte enseigne de Séthi II
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010009358
Emmanuel de Rougé, Notice des monuments exposés dans la galerie d'antiquités égyptiennes (salle du rez-de-chaussée), au Musée du Louvre, Paris, Vinchon, 1849, p. 9-10, n°24
https://bibliotheque-numerique.inha.fr/viewer/12326/?offset=#page=3&viewer=picture&o=bookmark&n=0&q=
Frédéric de Clarac, Musée de sculpture antique et moderne. Texte, 5, Paris, Imprimerie nationale, 1851 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86263304/f9.item , p. 296, n° 2549 A
Lettres de Champollion le jeune. Lettres écrites d'Italie / recueillies et annotées par H. Hartleben, E. Leroux Paris, 1909
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k116409/f421.item.r=colosse.texteImage
Christiane Ziegler, Marie-Hélène Rutschowscaya, Le Louvre, Les antiquités égyptiennes, Paris, Éditions Scala, 1990, p. 49
Jean-Jacques Fiechter, La moisson des Dieux, Julliard, 1994
Un hommage de Turin aux frères Champollion (information) Curto Silvio, Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 140ᵉ année, N. 3, 1996
http://www.persee.fr/docAsPDF/crai_0065-0536_1996_num_140_3_15646.pdf
Willem Pleyte, La religion des pré-Israélites: recherches sur le dieu Seth, T. Hooiberg et Fils, 1865
https://archive.org/stream/lareligiondespr00pleyuoft/lareligiondespr00pleyuoft_djvu.txt
Eleni Vassilika, Trésors d'Art du museo Egizio, Allemandi & Co, 2006
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