L'émotion esthétique que ce masque funéraire suscite n'a d'égale que le questionnement profond qui nous étreint face à ce visage serein qui semble avoir atteint sa quête d'éternité…
Il était posé sur la partie supérieure de la momie de Mérit, épouse bien aimée de Kha, un architecte qui oeuvra dans les tombes royales de Thèbes au Nouvel Empire, au sein de "Set Maât her imenty Ouaset" ("La place de Vérité, à l'occident de Thèbes", l'actuel village de Deir el-Medineh).
Haut de 52 cm, ce masque n'est pas en or ou en bois doré comme on pourrait le penser, mais fait d'un "cartonnage", un carton-pâte composé de couches de lin imprégnées de plâtre ou de stuc, et recouvert de dorures.
D'après le chapitre 151 du Livre des Morts, le masque funéraire avait pour fonction de rendre la vie au défunt. Il devait également : "protéger la partie supérieure du corps et redonner au défunt une physionomie éternellement jeune et affable". La précision qui suit est également d'un grand intérêt : "L'aspect juvénile, la couleur dorée de la peau et l’usage de pâte de verre et de pierres dures colorées font allusion à la conviction que les dieux étaient faits d'or et de lapis-lazuli et décrivent ainsi le statut divin de Mérit, devenue un esprit incorruptible."
Le visage est empreint d'une douce beauté que sublime sa totale sérénité. Le regard, attentif et profond, semble venir d'un lointain au-delà. Les yeux en amande sont joliment dessinés, l'iris d'obsidienne est large et noir, créant ainsi un grand contraste avec le blanc de l'œil. Les yeux sont entourés, cernés, d'une application de pâte de verre bleue. La ligne du fard se prolonge assez loin : elle est, de même que les sourcils, traitée en cette même matière.
Le nez est fin. La bouche aux lèvres ourlées, est fermée, comme murée dans un silence imposé par les profondeurs. Elle confère d'ailleurs au visage son expression particulièrement énigmatique.
La perruque, opulente sans être imposante, retient toute l'attention. Dorée, comme "méchée" de pâte de verre bleue, elle encadre précieusement le visage, puis descend jusqu'aux épaules, laissant les oreilles apparentes.
Le cou est orné d'un large et magnifique collier : "incrusté de pâte de verre et de cornaline et le tout fut richement doré, un processus dont la réalisation demanda certainement plus longtemps que les soixante-dix jours nécessaires pour la momification de Mérit avant sa sépulture".
La question qui se pose souvent est de savoir si ce masque était - ou non - initialement destiné à Kha ? Mérit, son épouse bien-aimée, perdit la vie avant lui, alors que, semble-t-il, il préparait sa tombe… Surpris par ce décès prématuré : "Kha lui attribua son propre sarcophage, qui toutefois se révéla trop grand. Il fallut donc insérer autour de la momie des étoffes de lin qui portaient son monogramme à lui." Ce cercueil, anthropomorphe, a ensuite été placé dans un cercueil extérieur rectangulaire noir brillant.
L'hypothèse qu'il lui ait alors également donné "son" masque funéraire n'est donc pas à écarter, d'autant plus que sa propre momie n'en avait pas.
La tombe de Kha et de Mérit - TT 8 - Deir el-Medineh lors de sa découverte, le 15 février 1906 par la Mission archéologique italienne dirigée par Ernesto Schiaparelli et Francesco Ballerini |
C'est le 15 février 1906, dans le cirque nord de la nécropole de Deir el-Médineh, que la tombe inviolée des époux a été découverte par Ernesto Schiaparelli et Francesco Ballerini, de la mission archéologique italienne, en présence d'Arthur Edward Pearse Brome Weigall, inspecteur chef des antiquités, responsable de la protection et de la gestion des antiquités de Haute-Égypte.
Elle s'avèrera receler d'incroyables richesses et constitue, très certainement, l'une des plus belles découvertes égyptologiques de ce tout début du XXe siècle !
Mobilier, statues, aliments, vaisselle, linge de maison, instruments et outils de travail de Kha, coffrets de toilette et boîte à ouvrage de Mérit, ainsi que sa perruque… plus de 500 objets en seront extraits ! Ils constituent autant de témoignages hautement instructifs de la vie d'un couple qui avait particulièrement bien réussi dans ce ‘microcosme' qu'était alors la communauté des artisans, ceci sous les règnes successifs de trois pharaons : Amenhotep II, Touthmosis IV et Amenhotep III (1428-1351 av.J.-C.), période durant laquelle Kha exerça ses fonctions.
Les momies du couple se révéleront être dans un parfait état de conservation. "Les examens radiographiques et les scanners effectués ont non seulement révélé que les deux corps n'avaient pas été éviscérés, mais aussi que de magnifiques bijoux, dont les matériaux n'ont pas encore été identifiés, étaient secrètement enfouis dans les bandelettes."
Kha avait très certainement souhaité le meilleur pour l'au-delà de son épouse Mérit, avec laquelle il avait eu : "trois enfants connus : deux fils, Amenemopet, Nakhteftaneb et une fille, Mérit II. Amenemopet a suivi la carrière de son père alors que rien n'est connu de Nakhteftaneb. Mérit II, elle est devenue chanteuse d'Amun. Tous les trois ont survécu à leur mère." C'est donc regrettée, pleurée et entourée de l'amour des siens que Mérit a rejoint le royaume d'Osiris…
L'examen de sa momie révèle qu'elle est partie pour l'au-delà, parée d'un : "large et magnifique collier, composé de sept fils alignant plus de 400 éléments de formes variées ; elle porte également deux grosses boucles d'oreille, semblables à celles de son mari, deux anneaux entre les cheveux - derrière la nuque - et quatre anneaux aux doigts, ainsi que deux fines ceintures de perles et un bracelet composé de plusieurs rangs de perles".
Autant de preuves d'attachement qui demeurent, aujourd'hui, plus de 3.400 après qu'elle ait rendu son dernier souffle...
marie grillot
sources :
Maschera funeraria di Merit
https://collezioni.museoegizio.it/it-IT/material/S_8473/?description=Merit&inventoryNumber=&title=&cgt=&yearFrom=&yearTo=&materials=&provenance=tomba+di+Kha&acquisition=&epoch=&dynasty=&pharaoh=
Museo Egizio, Fondazione Museo delle Antichità Egizie di Torino, Franco Cosimo Panini Editore, 2016
Eleni Vassilika, Trésors d'Art du museo Egizio, Allemandi & Co
Guide museo Egizio, éditions Franco Cosimo Panini
Le musée égyptien Turin, Federico Garolla Editore
Ernest Scamuzzi, L’art égyptien au Musée de Turin, Hachette, 1966
Les artistes de pharaon, Deir el Medineh et la Vallée des Rois, Louvre, 2002
Bierbier M.L., Who Was Who in Egyptology, London, Egypt Exploration Society
http://www.laboratoriorosso.com/ita/pannello6/
Ève Gran-Aymarich, Les chercheurs du passé 1798-1945 : Aux sources de l’archéologie
https://books.google.fr/books?id=wIKlDAAAQBAJ&pg=PA1155&lpg=PA1155&dq=schiaparelli+maspero&source=bl&ots=eiKoGLOzaj&sig=Q12Ot2EYTNn209S0gdRSiKjjG58&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwi8ivmMjdbRAhWBQBQKHbB2DJoQ6AEIMzAI#v=onepage&q=schiaparelli%20maspero&f=false
Des archéologues découvrent une nouvelle technique de momification
https://www.bluewin.ch/fr/infos/science/2015/09/01/une-nouvelle-technique-de-momification-mise-au-jour-par-le-swiss.html
https://egyptophile.blogspot.fr/2017/02/schiaparelli-un-grand-nom-de.html?q=ernesto
Topographical bibliography of ancient egyptian hieroglyphic texts, reliefs, and paintings
I – The theban necropolis part 1. private tombs by the late bertha porter and rosalind l. b. moss, b.sc. (oxon.), f.s.a. assisted by ethel w. burne - 2e édition griffith institute ashmolean museum oxford
http://www.griffith.ox.ac.uk/topbib/pdf/pm1-1.pdf#page=338
Vandier d'Abbadie, Jeanne; Jourdain, Geneviève, Deux Tombes de Deir El Médineh (1) La Chapelle de Khâ (2) La tombe du scribe royal Amenemopet (1939)
https://archive.org/stream/MIFAO73/MIFAO%2073%20Vandier%20d%27Abbadie;%20Jourdain,%20G%20-%20Deux%20tombes%20de%20Deir%20el-Médineh%20Kha%20et%20Amenemopet%20(1939)%20LR_djvu.txt
National Library of Medicine, Shedding New Light on the 18th Dynasty Mummies of the Royal Architect Kha and His Spouse Merit
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4511739/
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