lundi 21 août 2017

Une journée en Égypte avec... J.-T. de Belloc, Charles de Pardieu, la Comtesse Juliette de Robersart

Une journée en Égypte avec... J.-T. de Belloc, historien (XIXe s.)

Photo d'Antonio Beato

“Rien n'est pittoresque comme (la) navigation du Nil. Pour jouir à notre aise du climat, du ciel et du fleuve, nous choisissons la cange traditionnelle aux deux grandes voiles latines, avec son équipage arabe. 
Cette manière de voyager tente le plus notre imagination. 
On va moins vite, mais on voit mieux ; on marche aux caprices du vent et on a tous les hasards et tous les charmes de l'impression ; puis, on jouit de l'inappréciable avantage d'être chez soi. (...)
Assis à l'ombre de la voile, nous voyons fuir le rivage et nous laissons aller nos pensées au gré de l'imagination ou de l'intime causerie. 
Les paysages du Nil, un peu monotones au premier aspect, ont néanmoins un charme indicible. La grandeur des horizons, la beauté des lignes émeuvent l'âme. C'est la même impression qu'on ressent dans la campagne de Rome. C'est le même contraste de la solitude présente avec le mouvement de la vie d'autrefois. 
Ce ciel d'une inaltérable pureté, cette nature sévère, tout concourt à la majesté du tableau. 
Le vent est frais et nous filons grand train. 
Après le dîner, nous montons sur la dunette pour jouir de la première soirée de notre navigation. Rien de plus imposant que la vue du Nil sur lequel nous glissons insensiblement. 
À notre droite, de grands bois de palmiers projetaient leurs ombres sur l'eau calme et profonde ; le croissant, qui montait dans un ciel resplendissant d'étoiles, blanchissait légèrement leurs cimes et transformait le fleuve en une nappe argentée. 
Les nuits sont fraîches sur le Nil, la rosée est abondante et il est prudent de ne pas s'y exposer, car elle cause des ophtalmies très fréquentes dans ce pays. Nous rentrons de bonne heure au salon, nous lisons, jouons à l'écarté, au whist ; à dix heures, chacun se retire et les divans sont transformés en couchettes. 
De grand matin nous montons sur le pont et nous voyons le soleil se lever derrière la chaîne libyque. Quel éclat, quelle fête de lumière pour nos yeux charmés ! (...)
C'est surtout le soir, au coucher du soleil, que les paysages du Nil nous apparaissent dans toute leur splendeur. Aussitôt que le soleil a disparu derrière l'horizon, le ciel s'embrase subitement et prend des teintes d'or vif qui illuminent tout le paysage et se reflètent sur les grandes nappes d'eau du Nil ; peu à peu, cette teinte passe du pourpre ardent par tous les tons orangés, pour se perdre dans des nuances d'or pâle.” 

(extrait de "Le pays des Pharaons", 1890)

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Une journée en Égypte avec… le comte Charles de Pardieu (1811-1881)
Photo de P. Sébah

"Le chameau a été réellement créé pour le désert ; aussi l'appelle-t-on le vaisseau du désert. Fort et patient, il porte des fardeaux considérables et marche ainsi chargé jusqu'à ce qu'il tombe mort de fatigue. Au reste, lorsque la charge dépasse ses forces, il ne peut se relever, et alors reste agenouillé. D'une grande sobriété, supportant la soif et la faim, c'est le seul animal qui puisse vivre dans ce pays essentiellement aride. Il peut rester sans boire pendant huit jours ; et, pour nourriture, se contente d'une poignée de fèves et de quelques broussailles qu'il broie avec ses dures molaires. Ses pieds sont larges, garnis d'une épaisse couche graisseuse, doublée par une membrane flexible, mais dure et résistante, qui le soutient sur les sables mouvants, et lui permet de marcher dans les roches les plus âpres sans se blesser. La sécheresse de ses formes anguleuses et montueuses, la placidité majestueuse de sa marche, l'expression sérieuse et douce de cette tête emmanchée au bout d'un long cou d'autruche, lui donne une certaine harmonie avec le désert aride et silencieux, pour lequel il a été destiné. C'est un bon animal, dont j'apprécie les précieuses qualités, et pour lequel mon estime augmentait à mesure que je vivais avec lui. (...)
J'avais toujours à lutter contre mon dromadaire, qui voulait manger toutes les plantes de camomille ou autres qu'il rencontrait, ce qui lui faisait baisser la tête d'une manière peu agréable pour moi ; j'avais de la peine à le retenir avec la longe. Cependant, lorsque j'étais content de lui, je lui permettais de brouter un petit instant sa plante de prédilection. ll tâchait en outre de profiter du moment où je n'y pensais pas, et où je ne le tenais pas. À chaque touffe d'herbe qu'il rencontrait, son grand cou s’abaissait rapidement, comme un serpent ; il piquait sa tête vers le sol, et enlevait lestement la plante qui excitait sa gourmandise. Car le chameau est sobre par nécessité ; mais je le soupçonne d'être gourmand lorsqu'il voit des friandises."

(extrait de "Excursion en Orient : l'Égypte, le mont Sinaï, l'Arabie, la Palestine, la Syrie, le Liban", 1851) 

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Une journée en Égypte avec… Mme la Comtesse Juliette de Robersart (1824-1900)
Photo extraite de “Album du musée de Boulaq : comprenant quarante planches / photographiées par MM. Delié et Béchard ; avec un texte explicatif par Auguste Mariette-Bey”, 1872

"Le Caire, samedi 9 janvier 1864. 
Du temps ! du temps ! J'implore le temps afin qu'il s'arrête, non pour ne point vieillir, mais pour peindre quelques-uns des incomparables tableaux qui passent devant mes yeux, et pour penser surtout qu'un jour toute cette figure trompeuse du monde tombera comme un voile et que l'éternelle et vraie beauté nous apparaîtra ! 
Ce matin nous avons été à pied par une belle allée, et, au milieu de la foule la plus pittoresque et la plus animée, au musée égyptien formé par M. Mariette à Choubra. Comme toutes ces momies-là, chez elles, reprenaient de la vie ! Comme je les interrogeais afin qu'elles me disent les secrets recouverts d'une couche de trois mille ans ! Secrets toujours anciens et toujours nouveaux, m'a-t-il semblé : ambition, vanité, luxe, blessure du cœur, caducité et néant cachés sous de vains titres, fragilité de toutes choses, besoin et amour de l'immortalité. 
J'ai écouté des heures entières ! J'ai vu les fins bijoux qu'elles portaient aux jours de joie, les bagues, les colliers précieux, les bracelets magnifiques. J'ai examiné les coiffures, les costumes, les baris d'or, les peintures qui représentent les gorgerins éclatants, les scarabées... m'étonnant qu'un peuple si fin, si avancé, si positif, si mathématicien, si savant, pût tant aimer le bœuf Apis, et les divinités à bec d'oiseau, à tête de chat ou de crocodile. 
La pièce capitale du musée est la statue assise et de grandeur naturelle du roi Sâffra que M. Mariette a découverte dans le temple auprès du grand sphinx, ainsi que le buste du même roi Sâffra qui se fait appeler l' 'Horus, seigneur du cœur, le dieu grand, fils du soleil, seigneur des diadèmes, le dominant, le maître !' Il est probable que cette statue est la première qui ait été faite en Égypte, elle est très belle." 

(extrait de "Orient, Égypte : journal de voyage dédié à sa famille", 1867)

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