dimanche 20 août 2017

Les peintres orientalistes en Égypte (VI)

Karl Friedrich Heinrich Werner 

Karl Friedrich Heinrich Werner “Temple de Kom Ombo”

Karl Friedrich Heinrich Werner est né le 4 octobre 1808 à Weimar, en Allemagne, au sein d'une famille de mélomanes. En 1824, il suit des cours à l'académie d'art de Leipzig, et, en 1829, on le retrouve à Munich où il étudie l'architecture.
Mais il reviendra très vite à sa première passion : la peinture. Ses toiles sont inspirées de ses multiples voyages : la Grèce, l'Espagne, l'Angleterre qui sera sa seconde patrie, et l'Italie où s'installera près de vingt ans à Venise.
En 1862, il part pour l'Orient où il visite Jérusalem, la Palestine et une première fois, trop brièvement, l'Égypte.
Il y revient plus longuement, avec son épouse, en 1864. Après Alexandrie et le Caire, ils découvrent les merveilleux sites et temples de la vallée du Nil, dont Thèbes et l'île de Philae, et vont jusqu'en Nubie.
Ce second voyage sera propice à la réalisation de magnifiques aquarelles.S'il rapporte quelques intéressantes "scènes de genre", on ressent bien que sa formation en architecture guide son intérêt vers les monuments. Il les reproduit de façon très fidèle, ne manquant cependant pas d'ajouter des personnages afin "d'animer le tableau".
Les perspectives et le cadrage sont parfaitement étudiés. Quant aux couleurs de sa palette, elles sont fraîches, lumineuses et vivantes.
En 1872-1875, paraît, à Hambourg, "Carl Werner's Nilbilder". Ce bel ouvrage sera également publié à Londres sous le titre "Nile Sketches", puis à Paris, en 1882, chez A. Lévy, sous le titre "Vues du Nil" par Carl Werner. Cet album comporte vingt-quatre aquarelles en couleur d'après nature - reproduites "en chromolithographie" -, alors que le texte d'accompagnement est signé des égyptologues Alfred Edmund Brehm et Johann Dümichen.
"Si dans 'Nilbilder' Werner privilégie une image très vivante des grandioses monuments, il se fait également le témoin des conditions sociales du pays ; il montre tout à la fois un intérêt ethnographique et diffuse, dans le même temps, des informations à caractère géographique."
Carl Werner participe également à l'illustration de l'ouvrage de Georg Moritz Ebers "Aegypten in Wort und Bild" dont l'introduction est signée Samuel Birch.
De son vivant, Carl Werner exposa ses œuvre en Italie, Allemagne et Angleterre… Elles figurent désormais dans bon nombre de musées européens, notamment en Allemagne.
marie grillot

**********

Ludwig Deutsch

Ludwig Deutsch - "The inspection"

Ludwig Deutsch naît le le 13 mai 1855 à Vienne, en Autriche, dans une famille aisée. Il étudie la peinture à l'Académie des Beaux-Arts de sa ville natale puis, en 1878, part s'installer à Paris. Il se consacre alors à l'illustration de publications et peint scènes de genre et sujets historiques et fréquente le milieu des peintres orientalistes, parmi lesquels, notamment son grand ami Rudolf Ernst ainsi qu'Arthur von Ferraris.
En 1883 (?), il effectue l'un de ses premiers voyages en Égypte : elle devient dès lors, quasiment, la seule inspiratrice de ses toiles. Il y retourne en 1886, 1890 et 1898, mais il semble qu'il y ait peu d'informations sur ses différents séjours.
Ses premiers tableaux représentent très souvent les rues du Caire dans lesquelles se trouve un groupe de personnes placé dans un environnement architecturalement très intéressant.
Puis, alors qu'évolue sa peinture, il s'oriente plus vers la représentation d'un personnage unique, très souvent en pied, posant dans une attitude théâtrale, portant des vêtement aux couleurs harmonieuses.
Les visages, expressifs, sont traités avec finesse alors que les attitudes sont savamment étudiées. Les vêtements ajoutent à la profondeur des personnages, les tissus révèlent leurs textures dans de lourds drapés. Quant aux accessoires, armes, ou objets, ils sont reproduits très fidèlement.
Le cadre dans lequel est placé le personnage souligne généralement son activité ou sa profession. Il est, toujours, saisissant de perfection.
Ludwig Deutsch rapportera d'Égypte de nombreux accessoires, étoffes, tentures, mosaïques, moucharabieh… Tout cela lui permettra de retravailler, dans son atelier parisien, ses esquisses réalisées "in situ".
Il s'appuiera également sur de nombreuses photos achetées principalement chez Lekegian, un peintre d'origine arménienne reconverti dans la toute nouvelle technique de la photographie. Dans son studio près de l'Hôtel Shepheard, il propose non seulement des vues des sites mais également de nombreuses photos à caractère "social"… Il semblerait que Deutsch, afin d'atteindre "l'exactitude dans son travail", ait aussi : "embauché des photographes locaux pour prendre des photos des sites qu'il peint plus tard".
En 1909, il réalise une très grande toile représentant "La Procession du Mahmal au Caire", "traitée à la brosse très largement, à l'opposé de sa technique antérieure".
Ludwig Deutsch, - devenu Louis Deutsch après sa naturalisation française en 1907 - a continué à peindre jusqu'à sa mort à Paris en 1935.
Ses œuvres sont désormais très prisées dans les salles des ventes : en 2013, l'une de ses toiles a été adjugée plus de 2 millions de livres sterling à Londres !
marie grillot

sources :
Les Orientalistes, peintres voyageurs, Lynne Thornton, ACR édition Poche Couleur, 1994
Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France, publié par Pascal Ory, Groupe Robert Laffont, 17 oct. 2013
Sotheby’s
Blouinafrtinfo
Wikipedia

**********

Charles-Émile Vacher de Tournemine

Charles-Emile Vacher de Tournemire - "Les tombes de Beni Bassan"

Charles-Émile Vacher de Tournemine - Charles de Tournemine - est né le 25 octobre 1812 à Toulon. ll s'engage très jeune dans la marine, ce qui lui permettra de voir de nombreux pays. En 1831, il quitte l'armée et intègre l'atelier du peintre Eugène Isabey.
Très vite il se consacre à sa peinture et s'oriente vers les sujets "orientaux".
C'est en 1869 qu'il découvre l'Égypte. Pour la grandiose inauguration du Canal de Suez, le vice-roi a invité de nombreux artistes. C'est ainsi qu'il voyage notamment avec Eugène Fromentin, Narcisse Berchère, Jean-Léon Gérôme et Charles-Théodore Frère…
Dans la correspondance qu'il adresse à son épouse pendant son séjour, il fait part, dès son arrivée, de son émerveillement : "Depuis hier nous sommes au Caire et mon imagination va toujours grandissant, tant les merveilles surgissent à chaque pas sous nos yeux. Avant de quitter Alexandrie, nous avons visité le quartier arabe ; ce que nous y avons vu de pittoresque, de costumes baroques, n'a rien dont notre langue puisse donner une idée."
Les mots qu'il emploie expriment avec sensibilité l'attention qu'il porte à tout ce qu'il découvre : "Tout ici est d'une harmonie incomparable, tout se tient, s'enchaîne par un lien de tendresse infime. L'Égypte est, sans contredit, le pays de l'harmonie au suprême degré !"
Le Nil et ses rives produisent sur lui un grand émoi : "Tout à coup le Nil s'offrit à nos yeux éblouis. Je fus pris d'une émotion telle que je ne pus dire un mot jusqu'à la fin du trajet. C'était merveilleux de grandeur. Toutes les plaines inondées, couvertes d'oiseaux, ces villages aux splendides verdures, ces belles barques aux voiles latines, blanches comme du lait, se détachant sur un ciel de pluie d'or ; au loin le désert, d'un ton rose doré, limitait la vue dans cette immensité de féerie. Aucun langage ne pourrait rendre mon émotion. Jamais, je crois, je n'en ai éprouvé de plus grande et de plus douce devant la nature du bon Dieu…"
Le coucher du soleil sur le fleuve est un moment qu'il relate de façon très sensible et "colorée" : "Le soleil embrasant jusqu'à la berge, de son or brillant et opalisé… on aurait dit de l'or en fusion se répandant sur cet immense fleuve. Jamais je n'ai rien vu, rien senti dans mon coeur d'aussi enthousiaste, d'aussi sublime."
Et puis, alors que le séjour se termine, il émet ce "tendre" aveu : "Ce pays dépasse tout ce que l'imagination peut créer de pittoresque. Il possède la grandeur et la lumière au suprême degré."
Nul doute qu'il mit ensuite tout son cœur, toute sa sensibilité, tout son art à restituer dans ses toiles, l'intensité des émotions que l'Égypte lui avaient si largement prodiguées.
Maxime du Camp lui rend ce très bel hommage : "M. Tournemine est un luminariste très distingué, la façon dont il distribue la clarté est toujours très judicieuse et franche, il fait fuir les lointains dans les profondes perspectives aériennes, il peint avec soin et sans négliger les détails qui tous concourent à l'effet général, il connaît tous les secrets de la lumière."
marie grillot

sources :
"Etude sur C. de Tournemine, peintre toulonnais par le Dr Turrel", Bulletin de la Société académique du Var, Toulon, 1877
Les Orientalistes, peintres voyageurs, Lynne Thornton, ACR édition Poche Couleur, 1994
The Orientalists, Lynne Thornton, 1994

**********

Sir Lawrence Alma Tadema

Lourens Alma Tadema - "Joseph surveillant les comptes du pharaon"

Lourens Alma Tadema naît le 8 janvier 1836 à Dronrijp aux Pays-Bas au sein d'une famille très aisée. Très tôt ses dons artistiques se révèlent. Il partage ensuite sa vie entre son pays natal et la Belgique où il étudie à l'Académie royale des Beaux-Arts d'Anvers. Il se passionne pour les sujets historiques et archéologiques et, très vite : "il entame une carrière internationale".
Lors d'un séjour à Londres, en 1862, il visite le département égyptien du British Museum. Il y reviendra souvent afin de se nourrir des merveilles qui s'y trouvent.
L'Égypte lui inspirera de magnifiques tableaux parmi lesquels, notamment : "Les Joueurs d'échecs égyptiens", "La Découverte de Moïse", et ce "Joseph surveillant les comptes du pharaon".
Dans cette toile, Alma Tadema : "ne s'attache aucunement à la portée symbolique ou religieuse de l'histoire. Il montre un Joseph hiératique dont l'attitude rappelle celle d'un pharaon aux traits délicats, représenté à la manière d'une sculpture".
Les deux personnages de cette scène imaginaire empreinte de théâtralité, leurs vêtements, le décor dans lequel ils se trouvent, sont étudiés avec soin afin de se rapprocher au plus près des "supposés" critères et références de l'époque.
On y retrouve des scènes de la tombe de Nebamun que le peintre avait admirées au musée. "Sur la fresque se trouvant derrière Joseph, il en reproduit la scène des gardiens d'oies se prosternant devant le défunt qui inspecte les troupeaux. On distingue son scribe sur la gauche, un rouleau sous le bras, en train de noter des chiffres. Sur le côté, un homme debout tient un bâton et enjoint aux éleveurs de s'asseoir et de se taire. Le cartouche peint sur le siège de Joseph représentant un scarabée et un disque solaire est celui de Thoutmôsis Il qui régna également pendant la XVIIIe dynastie. Cette double référence à une période précise de l'Égypte antique ne doit rien au hasard. Au XIXe siècle, en effet, les chercheurs pensaient qu'elle correspondait à l'époque dont il est question dans la Bible."
Après avoir vécu à Paris, Alma Tadema s'installe à Londres en 1870 où, en 1876, il est nommé membre de l'Académie Royale.
Le 8 août 1888, dans la capitale britannique, en présence d'autres peintres orientalistes, Frank Dillon, Henry Walis, et du Directeur de la National Gallery Sir Frédérik Burton, il rencontre William Flinders Petrie et Wallis Budge afin de les alerter sur l'état de détérioration des temples égyptiens et des tombes…
En 1899, anobli par la reine Victoria, il devient Sir Lawrence Alma Tadema.
C'est trois années plus tard, en 1902, à l'âge de 66 ans, qu'il découvre l'Égypte ! L'une de ses relations, Sir John Aird, l'invite pour un séjour de 6 semaines, motivé notamment par l'inauguration des barrages d'Assiout et d'Assouan.
Sir Lawrence Alma Tadema est certainement l'un des peintres orientalistes les plus célèbres : il a exposé ses œuvres dans de nombreux pays, de l'Europe aux États-Unis, et même jusqu'en en Australie.
Certaines sources font même état que plusieurs de ses toiles "ont appartenu au réalisateur américain Cecil B. DeMille qui s’en est inspiré pour les décors de films hollywoodiens au thème antique comme Cléopâtre" !
marie grillot

sources :
L’Égypte antique par les peintres, Dimitri Casali, Caroline Caron-Lanfranc de Panthou, Seuil, 2011
tribalstories
Flinders Petrie : A Life in Archaeology, Margaret S. Drower
artrenewal
Alma-Tadema au musée Jacquemart-André
Wikipedia


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire