Une journée en Égypte avec… Edme-François Jomard (1777-1862)
Illustration extraite de la "Description de l’Égypte" |
"L'aspect général de ces monuments [les pyramides] donne lieu à une observation frappante : leurs cimes, vues de très loin, produisent le même genre d'effet que les sommités des hautes montagnes de forme pyramidale, qui s'élancent et se découpent dans le ciel. Plus on s'approche, plus cet effet décroît. Mais quand vous n'êtes plus qu'à une petite distance de ces masses régulières, une impression toute différente succède : vous êtes frappé de surprise, et dès que vous gravissez la côte, vos idées changent comme subitement ; enfin, lorsque vous touchez presque au pied de la Grande pyramide, vous êtes saisi d'une émotion vive et puissante, tempérée par une sorte de stupeur et d'accablement. Le sommet et les angles échappent à la vue. Ce que vous éprouvez n'est point l'admiration qui éclate à l'aspect d'un chef-d'œuvre de l'art, mais c'est une impression profonde. L'effet est dans la grandeur et la simplicité des formes, dans le contraste et la disproportion entre la stature de l'homme et l'immensité de l'ouvrage qui est sorti de sa main : l'œil ne peut le saisir, la pensée même a peine à l'embrasser. C'est alors que l'on commence à prendre une grande idée de cet amas immense de pierres taillées, accumulées avec ordre à une hauteur prodigieuse. On voit, on touche à des centaines d'assises de 200 pieds cubes du poids de 30 milliers, à des milliers d'autres qui ne leur cèdent guère, et l'on cherche à comprendre quelle force a remué, charrié, élevé un si grand nombre de pierres colossales, combien d'hommes y ont travaillé, quel temps il leur a fallu, quels engins leur ont servi ; et moins on peut s'expliquer toutes ces choses, plus on admire la puissance qui se jouait avec de tels obstacles.
Bientôt un autre sentiment s'empare de votre esprit, quand vous considérez l'état de dégradation des parties inférieures : vous voyez que les hommes, bien plus que le temps, ont travaillé à leur destruction. Si celui-ci a attaqué la sommité, ceux-là en ont précipité les pierres, dont la chute en roulant a brisé les assises. Ils ont encore exploité la base comme une carrière ; enfin le revêtement a disparu partout, sous la main des barbares. Vous déplorez leurs outrages, mais vous comparez ces vaines attaques au massif de la pyramide, qu'elles n'ont pas diminué peut-être de la centième partie, et vous dites avec le poète : Leur masse indestructible a fatigué le temps."
(extrait de la "Description de l'Égypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l'expédition de l'armée française", 1829, tome V, éditée par Charles Louis Fleury Panckoucke)
Une journée en Égypte avec… George William Browne (1768-1813), voyageur ayant séjourné cinq années sur les bords du Nil (1792-1797).
"La fertilité et la beauté de la campagne autour de Rosette méritent tous les éloges qu'on en a faits. L'œil n'y est pas, à la vérité, égayé par les sites romantiques, les courants d'eau, le mélange des plaines et des montagnes, et la verdure qui couvre toute l'étendue des bords du Rhin et du Danube, mais l'observateur qui prétendrait réduire toutes les beautés de paysage à un seul genre, n'aurait sans doute qu'un goût mesquin. Pour moi après avoir été fatigué des sables stériles et brûlants que j'avais vus du côté de l'ouest, je me délectai à contempler les fertiles champs des environs de Rosette : ces champs qui produisent presque tout ce qui dans le règne végétal est agréable ou nécessaire à la vie. Le riz couvrant la terre de sa verdure, les bosquets d'orangers exhalant un parfum exquis, les dattiers donnant une ombre épaisse, les mosquées et les tombeaux dont l'architecture est incorrecte et bizarre, mais simple et non sans quelque agrément, et les eaux du majestueux Nil qui après avoir inondé et fertilisé une immense étendue de terre, descend comme à regret vers la mer, au sein de laquelle il se perd, tous ces objets me remplissaient d'idées qui, si je ne puis les nommer sublimes, doivent au moins être comptées parmi les plus douces et les plus flatteuses qui aient jamais affecté mon âme."
(extrait de "Nouveau voyage dans la Haute et Basse Égypte, la Syrie, le Dar-Four, où aucun Européen n'avait pénétré, fait depuis les années 1792 jusqu'en 1798", T. 1, trad. de l'anglais sur la deuxième éd. par J. Castéra, 1800)
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Une journée en Égypte avec… l’égyptologue Jules Baillet (1864-1924)
"Plus qu’aucun autre pays, l'Égypte renferme des merveilles” : Telle était l'opinion d'Hérodote comme de tous les Grecs sur l'Égypte. Or ce qui causait son étonnement et son admiration, ce n'était pas seulement la nature de la contrée, qu'il trouvait extraordinaire, ni les monuments, qu'il jugeait plus dignes de renommée que les plus grandes constructions et les temples les plus célèbres de la Grèce. Ce qui semble avoir, en Égypte, piqué au plus haut point sa curiosité, c'étaient les moeurs et les usages des habitants. Il s'efforce tout d'abord de montrer ce qu'ils présentent d'étrange et de contraire aux usages et aux moeurs de tous les peuples.
Nous aussi, notre curiosité nous porte vers ce pays merveilleux. Nous aussi, nous sommes avides de connaître les coutumes et les pensées de ce peuple étonnant. Non pas, cependant, que nous le considérions comme étrange, comme séparé du reste du monde, comme vivant sous un autre ciel que nous et presque d'une autre vie que la nôtre. Au contraire, ce qui nous attire c'est que nous voyons dans les Égyptiens des ancêtres ; c'est que, mieux renseignés et moins vaniteux que les Grecs, nous ne prétendons pas être les fils de notre sol et ne rien devoir qu'à nous-mêmes, mais nous reconnaissons dans l'Égypte le berceau de notre civilisation, nous y recherchons, avec les plus antiques vestiges de l'humanité, les premiers germes de nos croyances, de nos institutions, de nos arts et de nos sciences."
(extrait de "Introduction à l'étude des idées morales dans l'Egypte antique", 1912)
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