En haut à dr. : le siège de l'IFAO - dessin de Camille Lemoine, avec son aimable autorisation |
D'origine alsacienne, Charles Kuentz est né à New York le 19 juin 1895. Ses longues études le mènent à suivre, à Lyon, l'enseignement de Victor Loret. En 1914, il rejoint Paris où il intègre l'École normale supérieure dont il sortira agrégé de lettres.
Après quelques années d'enseignement à Dijon, en Bourgogne, il rejoint l'IFAO et arrive au Palais Mounira au Caire.
C'est là que débute vraiment sa carrière d'égyptologue et c'est là également qu'il trouve son "vrai pays", l'Égypte, qu'il ne quittera quasiment plus…
Il est "pensionnaire" de l'Institut de 1919 à 1934, année à laquelle il en est nommé secrétaire - bibliothécaire. Parallèlement, de 1923 à 1928, il enseigne à l'École égyptienne d'archéologie ainsi qu'à l'Université du Caire. De 1929 à 1933, il travaille sur le Catalogue général du Musée égyptien du Caire consacré aux obélisques.
Dans "La vie à l'IFAO il y a cinquante ans", Georges Posener en dresse ce petit portrait assez "coloré" : "Le Directeur (ndrl : Pierre Jouguet) était secondé par Charles Kuentz qui faisait fonction de Secrétaire de l'Institut. Cet ancien pensionnaire égyptologue était l'antithèse de Pierre Jouguet. Mince et sec, le visage et le cou longs, il portait des faux cols empesés comme il l'était lui-même. On racontait qu'il circulait à bicyclette dans la nécropole thébaine en tenue de ville stricte, transportant un volume grand in-folio du Lepsius pour collationner ses planches dans les tombes. Sa compétence était universelle. Il était aussi à l'aise devant un texte égyptien que confronté à un écrit copte ou arabe. Ses conseils étaient inestimables quand il voulait bien les octroyer."
Cet homme à l'immense savoir, égyptologue, arabisant, helléniste, jouissait effectivement : "d'une solide réputation de philologue, notamment pour les langues sémitiques et africaines" et son intelligence était largement louée et reconnue. "Formé dans l'esprit encyclopédique du siècle dernier, au contact d'un maître comme Victor Loret, attaché comme il l'a écrit à "une conception totale et humaniste de l'égyptologie" (1960), il était de ces savants que l'exigence de synthèse pousse toujours au-delà de la spécialisation stricte. L'histoire naturelle, l'épigraphie, la phonétique historique, le comparatisme, la linguistique générale dont il suivit toute sa vie les transformations et les acquis théoriques, tout était mis en œuvre et concourait à faire d'un commentaire ou d'une étude de Ch. Kuentz un modèle d'intelligence."
Ajoutons à cela une "note" supplémentaire : il était aussi un excellent musicien (premier violon), preuve complémentaire de sa pluridisciplinarité…
En 1940, il est nommé directeur de l'IFAO, poste qu'il occupera jusqu'en 1953, même s'il semble que, en 1947, Pierre Jouguet eut quelques velléités à le faire remplacer par Gaston Wiet. Mais le Quai d'Orsay refusa car le directeur de l'Institut se devait d'être un égyptologue, ce que Wiet n'était pas et que Kuentz était parfaitement !
Comme tout un chacun, il souffrait bien sûr de quelques travers. L'avarice n'en était, semble-t-il, pas le moindre…
Dans "La mémoire de Thèbes", Christian Leblanc - qui l'estimait et qui eut le grand privilège de le côtoyer et d'être reçu chez lui au Caire - relate quelques souvenirs avec beaucoup d'humour. Il est difficile de résister à faire part de celui-ci - particulièrement "croustillant" : "Certains de ses vieux amis m'avaient aussi raconté que lors de la réception annuelle qu'il organisait dans les jardins de l'IFAO, étaient commandés chez Groppi, le célèbre pâtissier cairote de l'époque, de grands gâteaux qu'il faisait couper en parts, l'un après l'autre, pour les invités. Il n'était pas question de toucher au gâteau suivant, tant que toutes les parts de celui entamé n'avaient pas été d'abord distribuées ou consommées, si bien que ceux des gâteaux qui restaient repartaient intacts chez le pâtissier et étaient soustraits de l'addition à régler ! Rien à dire. Charles Kuentz n'était pas pour le gaspillage des deniers publics."
En 1953, alors que Jean Sainte-Fare Garnot le remplace à Mounira, il est nommé directeur de recherche au CNRS.
En 1955, il obtient le poste de conseiller scientifique au CEDAE. Le Centre d'Étude et de Documentation sur l'Ancienne Égypte vient en effet d'être créé avec pour objectifs principaux de relever systématiquement tous les temples nubiens à l'époque en péril et d'appréhender les possibilités et les solutions les plus pertinentes pour les sauver. Fondé à la demande du gouvernement égyptien et très largement financé par l'UNESCO à ses débuts, cet organisme oeuvrera ensuite en partenariat avec le CNRS, et plus particulièrement avec Christiane Desroches Noblecourt.
Charles Kuentz s'investit alors dans la campagne de sauvetage de la Nubie lancée par l'UNESCO en 1960.
Abou Simbel : photo de Jean Pascal Sebah Avec Christiane Desroches Noblecourt, Charles Kuentz a publié deux beaux volumes parus dans les mémoires du CEDAE consacrés au petit temple d'Abou Simbel |
Il fut également un grand vulgarisateur : "Professeur à l'Université du Caire, il contribua à la formation de nombreux égyptologues égyptiens. Membre correspondant de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres de France, il l'était aussi de l'Académie Arabe."
Il faut bien évidemment se pencher sur le nombre impressionnant de ses publications : elles témoignent de l'intensité et de la profondeur de son travail et relèvent : "d'une rare maîtrise en plusieurs disciplines".
Photo extraite du BIFAO n° 79 |
Cette modeste biographie se révélerait décidément bien incomplète si on n'abordait pas un tant soit peu sa vie privée… De son premier mariage, Charles Kuentz avait eu une fille qui devint l'épouse du frère de Christiane Desroches Noblecourt.
En secondes noces, il épousa Jeanne Arcache, dont la famille était propriétaire des entrepôts frigorifiques d'Alexandrie.
Charles Kuentz, souffrant depuis de nombreuses années, s'est éteint au Caire le 24 mai 1978. Il avait alors 83 ans. Il sera inhumé deux jours plus tard à Alexandrie…
Comment ne pas terminer ce court récit de sa vie sans citer cette merveilleuse analyse de sa profession : "Ce n'est pas trop du concours de diverses disciplines pour contribuer à cette 'résurrection du passé' qui est l'idéal non seulement de l'histoire en général, mais aussi de chacune des sciences qui, de près ou de loin, sont apparentées à l'histoire."
marie grillot
sources :
La vie à l'Institut français d'archéologie orientale, il y a cinquante ans, Posener Georges, Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 125e année, N. 3, 1981. pp. 502-506
Allocution à l'occasion de la mort de M. Charles Kuentz, correspondant français de l'Académie, Jean Filliozat, Comptes rendus de séances de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, année 1978, volume 122, n° 2, pp. 418-419
La mémoire de Thèbes, Christian Leblanc, L'Harmattan, 2015
Le Mondain égyptien, 1939
Contesting Antiquity in Egypt : Archeologies, Museums and the Struggle for Identities from World War I to Nasser, Donald Malcolm Reid
Bifao 78 (1978), p. 5-5, Vercoutter Jean, Nécrologie Charles Kuentz (1895-1978)
Bifao 79 (1979), p. 5-14 Trad May, Bibliographie de Charles Kuentz
Charles Kuentz (1895-1978)
sources :
La vie à l'Institut français d'archéologie orientale, il y a cinquante ans, Posener Georges, Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 125e année, N. 3, 1981. pp. 502-506
Allocution à l'occasion de la mort de M. Charles Kuentz, correspondant français de l'Académie, Jean Filliozat, Comptes rendus de séances de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, année 1978, volume 122, n° 2, pp. 418-419
La mémoire de Thèbes, Christian Leblanc, L'Harmattan, 2015
Le Mondain égyptien, 1939
Contesting Antiquity in Egypt : Archeologies, Museums and the Struggle for Identities from World War I to Nasser, Donald Malcolm Reid
Bifao 78 (1978), p. 5-5, Vercoutter Jean, Nécrologie Charles Kuentz (1895-1978)
Bifao 79 (1979), p. 5-14 Trad May, Bibliographie de Charles Kuentz
Charles Kuentz (1895-1978)
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