jeudi 28 janvier 2021

Meniou : le buste d'un dignitaire d'Amenhotep III au Louvre

Fragment de statue du scribe royal Meniou - calcaire peint - XVIIIe dynastie - règne d'Amenhotep III - IV
Don Peytel au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 11519

On l'imagine tout droit sorti d'un bas-relief de la tombe du vizir Ramose (TT 55 - nécropole de Sheikh Abd-el Gournah - XVIIIe dynastie) … comme si le sculpteur avait pu enfin réaliser un rêve : abandonner quelque temps les parois de la tombe pour donner forme, donner "vie" à une statue en ronde-bosse dans le même respect des 'canons' esthétiques …
Le buste de Meniou n'est pas sans rappeler les bas-reliefs de la tombe du vizir  Ramose
TT 55 - nécropole de Sheikh Abd-el-Gournah - XVIIIe dynastie

Comme le rappelle si justement le "Guide du visiteur des Antiquités Égyptiennes du Musée du Louvre" : "Parallèlement à la statuaire royale, la sculpture privée atteignit sous Aménophis III, des sommets inégalés. Les artistes parvinrent à un équilibre parfait entre la pureté des lignes du visage et la finesse du rendu des coiffures et des vêtements… Le buste du scribe royal Meniou se distingue entre  tous par la perfection de son exécution et l'équilibre subtil si caractéristique de cette époque". 

Meniou aurait semble-t-il également servi le fils et successeur de ce pharaon, le très célèbre Amenhotep IV - Akhénaton. Les preuves manquent encore pour l'affirmer, mais ce haut dignitaire pourrait même être "Mane", un puissant "ambassadeur" de l'époque amarnienne souvent évoqué pour son rôle important dans les relations d'alors avec le Mitanni.
Fragment de statue du scribe royal Meniou - calcaire peint - XVIIIe dynastie - règne d'Amenhotep III - IV
Don Peytel au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 11519

Son buste, exposé au Louvre, nous apparaît fort mutilé. Les affres du temps, ajoutés à d'autres "rancœurs", ne l'ont certes pas épargné : les cassures sont vives et les manques douloureux.

"Tout l'arrière de la tête a disparu ainsi que la moitié gauche du buste, suivant une ligne presque droite qui ne doit évidemment rien au hasard. La cassure de la partie antérieure du buste, bien que régularisée à la gradine, dont on voit les traces semble plus naturelle, comme celle de la partie inférieure du visage… La tête est recollée sur le torse au niveau du cou" : tel est le diagnostic sans appel fait par Christophe Barbotin dans l'excellent et fort documenté article consacré à l'étude de ce buste paru dans "La revue du Louvre" - 5/6 1997.
Fragment de statue du scribe royal Meniou - calcaire peint - XVIIIe dynastie - règne d'Amenhotep III - IV
Don Peytel au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 11519 - © Musée du Louvre/C. Décamps

Mais ce qui demeure, ce qui s'offre à nous est d’une réelle perfection, d'un charme indéniable, et d'une finesse empreinte de tendresse.

Le calcaire blanc et parfaitement lisse confère au visage une totale pureté. La coiffure à frisons couvre la moitié du front, puis descend vers l'arrière ne laissant que la moitié des oreilles dégagées. Elle est traitée en noir, ainsi que les sourcils dont la ligne arquée est bien dessinée, ou encore le contour des yeux et leur pupille.
Fragment de statue du scribe royal Meniou - calcaire peint - XVIIIe dynastie - règne d'Amenhotep III - IV
Don Peytel au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 11519 - © Musée du Louvre/C. Décamps

Le visage est amputé d'une zone qui part de la pommette droite et se prolonge jusque sous la partie gauche du menton où demeure le début de la petite barbe "carrée".

Le nez, en grande partie détruit, devait être menu ; le sillon labio-nasal est marqué et les lèvres sont joliment ourlées et généreuses. 
Fragment de statue du scribe royal Meniou - calcaire peint - XVIIIe dynastie - règne d'Amenhotep III - IV
Don Peytel au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 11519 - © Musée du Louvre/C. Décamps

Meniou porte un vêtement à galons, dont les plis, le drapé, sont visibles sous les épaules. À son cou se trouvent : "le collier d'or chebiou à deux rangs, témoignage d'une faveur royale fréquemment attestée chez les dignitaires de la XVIIIe dynastie ainsi que le traditionnel collier en faïence dit 'large sur la poitrine'".

La partie du pilier dorsal qui demeure comporte des inscriptions hiéroglyphiques fragmentaires dont celles-ci : "Tes chairs seront fermes et tu vivras, Ô scribe royal le juste, Meniou le bien-aimé du roi… Tu marcheras sur la terre Sans y rencontrer d’opposants…" ou bien encore : "Lors de la fête de la Grande Offrande, Tu offriras la laitue ainsi que… Tu seras acquitté contre tes ennemis… L’autre monde t’accueillera, Il cachera ton corps, Ô scribe royal, le juste." 

Par où Meniou a-t-il transité avant d'arriver à Paris ? Entre quelles mains est-il passé ? 
Fragment de statue du scribe royal Meniou - calcaire peint - XVIIIe dynastie - règne d'Amenhotep III - IV
Don Peytel au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 11519 - © Musée du Louvre/C. Décamps

Il n'a malheureusement pas été possible de retrouver ces informations... Ce qui est certain c'est qu'il est arrivé au Louvre en 1914, année où il a été déposé "sous réserve d'usufruit" par Joanny Benoit Peytel. 

Joanny Peytel était un riche banquier qui fut notamment président du conseil d'administration du Crédit Algérien et Directeur du Crédit foncier. Sa grande fortune lui permit de s'adonner à sa passion : son amour de l'art ! Il collectionna sans relâche, et de façon très éclectique, toiles, sculptures et autres objets d'art du Moyen-Orient, d'Extrême-Orient, mais aussi grecs, étrusques et romains… 
Fragment de statue du scribe royal Meniou - calcaire peint - XVIIIe dynastie - règne d'Amenhotep III - IV
Don Peytel au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 11519

Celui qui fut aussi "vice-président de l'Union Centrale des Arts Décoratifs" fit progressivement don d'une partie de ses collections à différents musées, dont le musée Rodin et Le Louvre (citons notamment des œuvres de Sisley, Bastien-Lepage, Huet...). L'une de ses nièces, prénommée Marie-Madeleine, avait épousé Charles Boreux qui fut à la tête du département des antiquités égyptiennes de 1926 à 1940 (Charles Boreux sera d'ailleurs inhumé dans le caveau familial de la famille Peytel au cimetière des Batignolles à Paris). 

Aussi, le département ne fut-il pas oublié, recevant plusieurs antiquités, dont précisément la statue de Meniou. En 1918, "après abandon d'usufuit" - et du vivant de Joanny Peytel qui ne décèdera que quelques années plus tard, en 1924 -, Meniou devient propriété du Louvre. 
Fragment de statue du scribe royal Meniou avant sa "dérestauration" en 1922
calcaire peint - XVIIIe dynastie - règne d'Amenhotep III - IV
Don Peytel au Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 11519

Il semble important de préciser que pendant de longues années, le buste de Meniou apparaissait "intact", car une restauration lui avait "restitué" d'une façon jugée presque trop parfaite, les parties manquantes… C'est en 1992 que M. Jean-Louis Hellouin de Cenival, égyptologue et conservateur en chef du département, demanda une "dérestauration" de la statue. Cette option, ce choix, semblent tout à fait respectables de "l'intégrité" de Meniou car ils privilégient son histoire, sa propre vérité et son authenticité.

Le buste de Meniou, d'une hauteur de 45 cm, référencé E 11519, se trouve dans l'aile Sully, dans la salle 637 consacrée au Nouvel Empire.

marie grillot

sources :
Fragment de statue du scribe royal Meniou
http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=11787&langue=fr
Christophe Barbotin, Le buste du scribe royal Meniou, une sculpture du règne d'Aménophis III, La revue du Louvre - 5/6 - 1997
Les donateurs du Louvre, Paris, musée du Louvre, 1989
Le Guide du visiteur - Louvre - Les antiquités égyptiennes I - RMN, 1997

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