Les pharaons et leurs proches étaient, pour leur au-delà, accompagnés d'objets, témoins de leur environnement qui devait perdurer pour leur éternité. Nous ne devons pas oublier également qu'ils étaient des êtres qui avaient aimé, qui furent aimés et pleurés à leur mort.
Ainsi dans leur matériel funéraire trouve-t-on des souvenirs de leurs vénérés ancêtres, ou bien encore des témoignages d'affection que leurs proches déposèrent avec, on l'imagine, une intense émotion, dans leur dernière demeure.
Comment ne pas citer le cercueil de la reine Ahhotep dans lequel se trouvaient, entre autres, des bracelets et des armes au nom d'Ahmosis Ier ? Ou encore, la tombe de Toutankhamon où furent retrouvées, dans de petits sarcophages, une statuette-pendentif en or d'Aménophis III coiffé du khépresh ainsi qu'une mèche de cheveux de la reine Tiyi soigneusement déposée dans une étoffe de lin, témoignages du profond attachement qui le liait à ces deux souverains qui, selon les hypothèses d'Howard Carter, étaient peut-être ses grands-parents.
Dans la KV 46, tombe de Youya et Touya, les parents de Tiyi, se trouve également une touchante preuve d'attachement : elle y a été laissée par Satamon…
Satamon ("La Fille d'Amon"), était la fille aînée de Tiyi et d'Amenhotep III - le grand pharaon qui a régné sur les Deux Terres pendant plus de trente ans - et donc la petite-fille de Youya et de Touya. "Elle se distingua surtout vers la fin du règne d'Amenhotep III en devenant elle-même l'épouse de son propre père. Eduquée au harem de Miour, elle avait grandi dans l'entourage de ses grands-parents maternels, et c'est probablement en témoignage d'affection que, lors des funérailles de Youya ou de Touya dans la Vallée des Rois, elle fit déposer dans leur tombe commune un superbe fauteuil en bois doré" précise Christian Leblanc dans ses "Reines du Nil".
Cette magnifique pièce de mobilier témoigne du raffinement qui régnait alors à la cour et du degré de maîtrise atteint par les artisans ébénistes de cette époque florissante.
Les quatre pieds prennent la forme de pattes de lion ; les deux pieds avant et les deux pieds arrière sont reliés et fixés par une traverse en bois dont les embouts sont dorés. L'assise est large et semble confortable… Quant au dossier, il ne peut que nous charmer…
Sous le disque solaire, aux longues ailes déployées, doré à la feuille d'or, est représentée - également à la feuille d'or - une scène en deux séquences, tout à fait charmantes et délicates.
Dans "Trésors d'Égypte - Les merveilles du musée égyptien du Caire", Francesco Tiradritti en fait cette intéressante description : "À l'intérieur d'une pergola dont le toit est orné de fleurs de lotus tour à tour ouvertes et en boutons, le champ figuratif est divisé en deux parties, où la même scène est répétée en miroir, à quelques variantes près. Une femme que les inscriptions hiéroglyphiques désignent comme 'la fille du roi, la grande, son aimée, Satamon' est assise sur un siège posé sur une natte. La princesse porte une courte perruque, d’où pend sur le côté une longue tresse, retenue par un bandeau qui se termine sur le front par une tête de gazelle. Sur la tête se dresse le hiéroglyphe de la plante du papyrus, symbole de fécondité et de renaissance. Seulement vêtue d'une longue jupe transparente, décorée de plis ondulés, Satamon tient le sistre dans la main droite et le collier ‘ménat' dans la main gauche : ces deux instruments de musique étaient agités par les femmes durant les processions où le simulacre de la divinité était transporté à l'extérieur du temple ; le son émis était tellement fort et désagréable qu'il passait pour éloigner les esprits malins. Outre des pendants d'oreille, la princesse porte un grand collier et des bracelets aux poignets. Une jeune fille, qui se tient debout devant elle, lui présente un collier sur un plateau. Coiffée d'une courte perruque, retenue par un bandeau, elle porte des pendants d'oreille, un grand collier, des bracelets et une jupe qui descend jusqu'aux chevilles. Un objet rectangulaire est posé sur sa tête : il pourrait s'agir d'un morceau de graisse parfumée, même si ces morceaux ont habituellement la forme d'un cône. Des objets analogues se retrouvent sur la tête des danseuses ornant les murs des tombes de la même époque. L'inscription hiéroglyphique qui surmonte la jeune fille décrit son geste : 'porter l'or des pays étrangers du sud'."
Les accoudoirs, hauts et larges, quant à eux, racontent toute une histoire… Dorée, là aussi, à la feuille d'or, elle se décline en plusieurs scènes qui sont reproduites sur leur intérieur et sur leur extérieur.
Sur l'accoudoir droit, à l'extérieur, le dieu Bès est représenté par trois fois : les deux premiers jouent du tambour alors que le dernier danse avec des couteaux dans les mains.
Sur l'accoudoir gauche, à l'extérieur, ce thème est repris en partie : deux représentations de Bès - l'un jouant du tambour et l'autre dansant avec les couteaux - entourent une déesse Thouéris qui semble imperturbable au bruit et au rythme.
Quant aux scènes ornant l'intérieur des accoudoirs, elles représentent : "la procession de quatre jeunes filles arborant le hiéroglyphe de la plante de papyrus sur la tête. Portant des plateaux chargés d'anneaux d'or, 'don des pays étrangers du Sud', elles se dirigent vers le dossier, où s'achève la procession" (Silvia Einaudi, "Les merveilles du musée égyptien du Caire").
Les accoudoirs sont ornés, sur l'avant de leur partie basse, d'une tête féminine dont le visage, le cou, le collier et la couronne sont dorés à la feuille d'or. Quant à la perruque, plutôt courte et joliment travaillée, elle a conservé la couleur naturelle du bois.
La tombe de Youya et Touya a été mise au jour entre le 11 et le 12 février 1905 par l'équipe de Theodore Monroe Davis, qui avait obtenu dès 1902, de Gaston Maspero, la concession de la Vallée des Rois.
Bien qu'elle ait été pillée au moins deux fois dans l'antiquité, l'hypogée livrera non seulement les momies du couple, mais également un magnifique mobilier funéraire, des bijoux, scarabées et sceaux, de la vaisselle, des instruments de musique, des statues…
Le déblaiement de la tombe sera supervisé par James Edward Quibell qui remplaçait alors Howard Carter au poste d'inspecteur général des monuments de Haute-Égypte à Thèbes.
Dans son excellent ouvrage "Histoire de la Vallée des Rois", John Romer relate une histoire incroyable que Quibell se plaisait à rapporter : "Pendant le nettoyage de la tombe de Youya et Tchouiou, un après-midi il reçut la visite d'une dame âgée, vêtue d'un vieux manteau sale et coiffée d'un drôle de chapeau cloche. Son compagnon, un homme à l'allure pressée, l'appelait 'Votre Altesse'. Quibell, ignorant l'identité de son interlocutrice, fit de même. Il regrettait vivement, expliqua-t-il à ses hôtes, que la tombe ait été vidée de la quasi-totalité de ses richesses, et les pria de l'excuser de n'avoir aucun siège à leur offrir. Apercevant le fauteuil de Satamon, la vieille dame assura que ce siège lui convenait parfaitement et s'assit sans plus de cérémonie. Fort heureusement, le siège résista ! Les archéologues, bien embarrassés, se virent contraints de demander à 'Son Altesse' de se lever."
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Lors de son ultime voyage en Egypte, en 1905,
l'impératrice Eugènie visitera la tombe de Youya et Touya |
Il s'agissait en fait de l'Impératrice Eugénie, veuve de Napoléon III, qui, accompagnée de son cousin le Comte Joseph Napoléon Primoli, effectuait à 79 ans, son second voyage en Égypte… Le premier, entouré d'un faste inouï, avait eu lieu à l'automne 1869, à l'occasion de l'inauguration du canal de Suez, précédé d'un voyage en Haute-Égypte avec Auguste Mariette pour guide.
Ce fauteuil est exposé au Musée égyptien de la place Tahrir au Caire, où il est enregistré au Catalogue général sous la référence CG 51113.
marie grillot
sources :
Theodore Monroe Davis, Gaston Maspero, Percy Edward Newberry, Howard Carter, The Tomb of Iouiya And Touiyou, London, Archibald Constable and Co.. Lt, 1907
https://archive.org/stream/tombofiouiyatoui03davi/tombofiouiyatoui03davi_djvu.txt
https://archive.org/details/tombofiouiyatoui03davi
James Edward Quibell, Tomb of Yuaa and Thuiu, Impr. de l'Institut français d'archéologie orientale, Le Caire, 1908
https://archive.org/details/tombofyuaathuiu00quib
Nicholas Reeves, Richard H. Wilkinson, The complete Valley of the kings, The American University in Cairo Press, 1996
John Romer, Histoire de la Vallée des Rois, Vernal - Philippe Lebaud, 1991
Francesco Tiradritti, Trésors d'Egypte - Les merveilles du musée égyptien du Caire, Gründ, 1999
National Geographic, Les Trésors de l'Egypte ancienne au musée égyptien du Caire, 2004
Christian Leblanc, Reines du Nil, La bibliothèque des introuvables, 2009
Pierre Tallet, 12 reines d'Egypte qui ont changé l'histoire, Pygmalion, 2013
Voyage de l'Impératrice Eugénie en Egypte par le Comte J. Napoléon Primoli, 1905
http://www.christies.com/lotfinder/Lot/voyage-de-limperatrice-eugenie-en-egypte-par-4924009-details.aspx
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