mercredi 5 avril 2017

Îles de Salouga et Ghazal : "l'une des principales attractions touristiques" de la ville d'Assouan.

En haut, photos d’Ibn Selim

Entre la ville d’Assouan et le haut barrage construit à quelque dix kilomètres en amont, une multitude d’îles et minuscules îlots émergent des eaux du Nil. Sans se prévaloir de la même renommée touristique que l’île Éléphantine, celles de Salouga et Ghazal, dotées du statut de réserve naturelle depuis 1986, n’en méritent pas moins l’attention, surtout pour les passionnés de botanique et d’ornithologie.

Selon le Dr. Abu-l-Hagag Nasreddin, directeur général des réserves naturelles à Assouan, le mot "salouga" signifie cascade en nubien : il se compose des deux syllabes "sa" - le niveau du Nil -, et "ouga" - le bruit de l'eau. Quant à "ghazal", c’est, selon lui, le nom d'une ancienne plante qui poussait sur l’île (sans doute une : "plante d’une saveur piquante, semblable à l’estragon", si l’on se fie aux explications du dictionnaire Kazimirski) et non l'animal bien connu - la gazelle (interprétation néanmoins admise par l’ingénieur Mahmoud Hasib, également directeur des réserves naturelles à Assouan).
Photo Ross Funnell

Îles contiguës, au point qu’il n’est parfois question que d’une seule île mentionnée par les deux noms accolés “Salouga” et “Ghazal”, elles ne forment en tout cas qu’une seule et même réserve, bien modeste en étendue (un demi-kilomètre carré), mais d’une exceptionnelle densité pour la faune et la flore qu’elles abritent. Bien qu’ancrée dans un sol granitique, la végétation y est “luxuriante”, faisant de ce paysage naturel exceptionnellement beau encerclé par les eaux du Nil : "l'une des principales attractions touristiques" de la ville d’Assouan.

Au sein d’un tel écosystème, les espèces végétales sont multiples, certaines étant mentionnées dans de vieilles légendes, ou même peintes sur les murs des temples égyptiens. On y repère notamment une centaine d’espèces de plantes médicinales et aromatiques rares, ainsi que cinq espèces d’acacia, dont l’acacia dit “pudique”, dont les folioles se rétractent dès qu’on les effleure du doigt.
Photo Ibn Selim

Outre les conséquences de quelques incendies ravageurs, dont celui de 2003 qui a eu des effets catastrophiques pour les acacias, la réserve de Salouga et Ghazal a subi au cours du temps les "cicatrices de l’activité humaine". Ainsi, la moitié orientale de Salouga a été exploitée très longtemps, et 12 feddans au sud-ouest de l'île sont actuellement cultivés. L’Agence égyptienne des Affaires environnementales a espéré initialement racheter ces terres agricoles, mais pour cause de contraintes budgétaires, seul a été possible un compromis en vertu duquel les agriculteurs peuvent continuer à cultiver leurs terres, à condition qu'ils respectent les règlements du protectorat leur imposant de ne pas construire, ni polluer, ni brûler la végétation coupée.

Si la réserve, que l’on atteint en felouque ou bateau à moteur, est une destination privilégiée pour sensibiliser le public sur l'importance de préserver la biodiversité, cet attrait est "une arme à double tranchant", avec le risque de piétinement des plantes rares ou de perturbation causée à la faune locale. Une question d’éducation, somme toute, comme souvent en pareil cas...
Photo Ibn Selim

La gent ailée jouit d’attentions particulières dans cet environnement. On y dénombre en effet 60 espèces d’oiseaux résidents ou migrateurs, dont certaines sont menacées d'extinction. À l’oeil nu ou à l’aide de jumelles, on peut ainsi observer, sur les îles de Salouga et Ghazal, des ibis noirs, des butors, des outardes, des faucons, des huppes, des oies, des cormorans… 

Des ornithologues du monde entier y mènent leurs savantes observations. L'Égypte est en effet réputée pour être un important corridor de migration des oiseaux entre l'Afrique et l'Europe : ils font par milliers ce périple aller-retour entre les deux continents deux fois par an avec, pour la plupart, une halte migratoire en Égypte qui leur permet de se reposer et d’accumuler de nouvelles réserves énergétiques.

Des opérations de baguage, permettant le suivi des oiseaux migrateurs, y sont réalisées depuis le 28 août 2003, à l’initiative du SE European Bird Migration Network (SEEN), une fondation pour la recherche sur les migrations d’oiseaux, dont le siège est à Przebendowo, dans le nord de la Pologne.
Photo Ibn Selim

Un nouveau centre d’accueil a également été ouvert aux visiteurs, notamment aux enfants des écoles égyptiennes. Il a été construit par le Japon pour honorer la mémoire du prince impérial Norihito de Takamado, décédé en 2002, qui aimait passer très régulièrement d’agréables journées sur les îles de Salouga et Ghazal en passionné d’ornithologie qu’il était.

"Très beau jardin, de nombreuses espèces. Site extraordinaire. À voir absolument", commente très laconiquement "Le Petit Futé".
Cliché "Al-Ahram Weekly"

"Au sud (de la ville) d’Assouan, lit-on par ailleurs dans Le Routard - Égypte (Hachette, 2015), on inclut généralement cette halte dans un grand tour en bateau à moteur. Petite balade autour de cette île, au cours de laquelle on découvre les oiseaux du Nil et notamment les hérons cendrés, qui trouvent dans cet environnement des endroits propices pour nicher. Cette petite île est devenue (...) une réserve naturelle protégée, qui fit le bonheur des botanistes et ornithologues. Malheureusement rien n’a été terminé. Le petit musée n’existe plus et le sentier qui la traversait est à l’abandon. Dommage car l’île recèle cinq espèces d’acacias (uniques en Égypte), qui attirent quelque 60 espèces d’oiseaux."

Qu’en est-il donc aujourd’hui de l’état de ce havre de paix, où la végétation peut s’exprimer et être observée sans "réserve" ? Les demandes d’informations que nous avons adressées à certains observateurs ou responsables locaux sont malheureusement restées sans réponses. Gageons, toutefois, que l’Égypte ne renoncera pas, au sein des multiples urgences économiques et sociales auxquelles elle est confrontée, à cette part, si petite géographiquement soit-elle, de son inépuisable patrimoine naturel.

Marc Chartier


sources :
Snap shot”, by Mohamed El-Hebeishy (“Al-Ahram Weekly”)
Saluga and Ghazal ringing station - A new ringing station in Egypt”, by Mahmoud Hasseb, Wed Ibrahim, Hosni Asran, Ahmed Deyab, Mona Gomaa, Samar Hassan, Jaroslaw K. Nowakowski and Przemyslaw Busse
Protected areas of Egypt : towards the future
Protectorates not protected : Saluga and Ghazal” ("Egypt Independent" - 18/11/2010)

SE European Bird Migration Network  


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