La "coupe aux poissons" de Djéhouty - or - XVIIIe dynastie - règne de Thoutmosis III - 1490-1436 av. J.-C.
provenant de sa tombe découverte en 1824 à Saqqara par Bernardino Drovetti (emplacement perdu depuis)
Département des antiquités égyptiennes du Musée du Louvre N 713 (n° anc. coll. Drovetti : 260)
À l'automne 1827, Bernardino Drovetti, fils de notables italiens, consul général de France en Égypte, est en mission à Paris. Bien que bonapartiste de la première heure, et malgré ce "passé politique", il a été restauré en 1821 dans cette fonction par l'entremise du comte de Forbin, directeur des musées royaux, et Edme François Jomard.
Avec Méhémet Ali, dont il a l'écoute, il veille à tisser des liens étroits avec la France. Il déploie des trésors de diplomatie afin que les relations entre les deux pays soient on ne peut plus cordiales. . Et les cadeaux se succèdent, précieux, rares, originaux …
Cadeau inattendu, comme cette girafe arrivée le 23 octobre 1826 par bateau spécial ! Destinée au 'Jardin des Plantes' du roi, il s'agit de la première de son espèce à fouler le sol français !
Bernardino Drovetti a découvert la tombe du Général Djéhouty (dont l'emplacement est malheureusement perdu aujourd'hui) au cours de l'hiver 1824, dans la nécropole nord de Saqqara |
Cadeaux inestimables comme ceux que le "consul" Drovetti apporte dans ses malles : de somptueuses antiquités offertes par Méhemet Ali. Il s'agit de "quarante-deux précieux bijoux égyptiens" parmi lesquels se trouvait notamment la "Bague aux chevaux de Ramsès II"… (Jean-Jacques Fiechter, "La moisson des Dieux").
Quant à Drovetti 'collectionneur et marchand d'art', il se réjouit ! Jean-François Champollion - qui, en 1824, avait été émerveillé par les splendeurs de sa première collection d'antiquités achetée par le musée de Turin -, souhaite ardemment que la seconde enrichisse la division des antiquités égyptiennes du musée Charles X (qui sera inaugurée le 15 décembre 1827). Aussi réitère-t-il ses demandes auprès du roi afin d'obtenir son accord sur l'acquisition. Son insistance, l'appui que lui apportera notamment le Baron de Damas, ainsi que… l'arrivée de la girafe qui avait "préparé favorablement les esprits à l'achat par la France de la deuxième collection Drovetti", conduisent le roi à finalement donner son assentiment. L'achat sera ainsi signé "par Charles X le 11 octobre 1827 pour le prix relativement modique de 150.000 francs, payables en cinq annuités... M. Drovetti, en demandant la somme de 150.000 francs pour cette cession n'avait en vue que de se rendre utile et ne cherchait nullement à faire une spéculation lucrative"… précisera le Baron de la Bouillerie (Jean-Jacques Fiechter).
Portrait de Jean-François Champollion réalisé en 1831 par Léon Cogniet Musée du Louvre - Inv. 3294 - photo RMN - René-Gabriel Ojéda |
C'est ainsi que Drovetti remet à "Monsieur Champollion jeune, Conservateur des antiques du Musée Royal du Louvre" en mains propres la soixantaine de bijoux en or et pièces d'orfèvrerie de sa "deuxième collection" que le musée vient d'acheter et qu'il avait pris soin d'apporter lui-même.
L'un de ces précieux objets, qui figure sous le numéro d'inventaire n° 8 de la liste manuscrite dressée par Jean-François Champollion le 24 octobre 1827, est "une coupe ronde, en or massif, sculptée et gravée d'un décor maritime, un véritable chef d'œuvre de l'orfèvrerie pharaonique".
Et le vocable "chef d'œuvre" n'est pas usurpé !
La coupe circulaire est dotée d'un bord droit d'un peu plus de deux centimètres. Son fond, d'un diamètre de 17,90 cm, est occupé en son centre d'un motif que l'on peut assimiler à une large marguerite ouverte aux pétales serrés. A quelques centimètres de là, dans un second cercle concentrique, se déploie une ronde animée de six poissons "tilapia", pleins de vie. Ils sont si bien reproduits, avec nageoires ventrales et dorsales, écailles, bouches et yeux qu'on les imagine nager. Dans son Dictionnaire de mythologie égyptienne, Isabelle Franco nous apporte des précisions sur la symbolique associée à ce poisson : "Le soleil lui-même pouvait prendre l'aspect d'un poisson, la tilapia nilotica (le boulti du Nil ou chromis). De couleur rouge-orangée, venant chasser à la surface, le chromis évoquait l'astre sur le point de surgir des eaux primordiales. Dans l'au-delà, le défunt se devait de capturer ces avatars divins afin de s'assimiler aux entités solaires."
Pour compléter le décor, un troisième cercle prend la forme d'une frise riche de quinze fleurs de papyrus.
Ainsi, cette coupe restitue-t-elle, avec art et délicatesse, la fraîcheur d'un bassin ou bien l'atmosphère d'une scène nilotique, toute empreinte de symbolique.
Le musée du Louvre donne des précisions sur la technique employée pour la décoration de la coupe : "Les orfèvres égyptiens savaient allier un art consommé de la composition à la maîtrise parfaite des techniques les plus raffinées. Ainsi ces 371 grammes d'or ont-ils d'abord été martelés à l'aide d'un galet jusqu'à former une patère aux bords relevés. Puis l'artisan a exécuté les motifs au repoussé sur l'envers qui porte encore en son centre une dépression circulaire ; celle-ci servait à maintenir la pièce durant son façonnage. Enfin, il en a ciselé tous les détails sur l'endroit, ajoutant une inscription hiéroglyphique sur l'extérieur du rebord."
Ce texte "dédicatoire" est ainsi rédigé : "Accordé par la faveur royale de Menkheperrê (Thoutmosis III), roi de Haute et Basse-Égypte, à son excellence le noble, père-du-dieu aimé-du-dieu, homme de confiance du roi dans toutes les terres étrangères et sur les îles au milieu de la mer, celui qui remplit les magasins de lapis-lazuli, d'argent et d'or, le général, le favori du dieu parfait, Seigneur des deux terres, le scribe royal Djéhouty, acquitté."
Statue de Thoutmosis III - schiste vert découverte par Georges Legrain, le 8 mai 1904, dans la cachette de Karnak exposée au Musée de Louqsor - CG 42054 - JE 36927 |
Ainsi la coupe a-t-elle été offerte au général Djéhouty par Pharaon lui-même afin de le récompenser pour ses missions menées pour le bien des Deux-Terres.
Le Louvre indique également : "Ce Djééhouty n'est pas un inconnu pour les égyptologues. Devenu le héros d'un conte très fameux, il entra tôt dans la légende grâce à la ruse qu'il employa pour conquérir la ville de Joppé, en Palestine. Tout comme dans le conte d'Ali Baba et les quarante voleurs, il cacha ses soldats dans des paniers et les introduisit clandestinement dans la cité."
Si d'autres artefacts lui sont attribués, comme des bijoux, vases ou bien encore les fragments d'une autre coupe - quasi semblable mais en argent qui se trouve également au Louvre (E 4886) - sa tombe n'a pas encore été "re-localisée". En effet, découverte par Bernardino Drovetti, au cours de l'hiver 1824, dans la nécropole nord de Saqqara, son emplacement s'est malheureusement perdu depuis ...
Une page reste donc à écrire ... mais il nous faut attendre que les sables de l'Égypte, remués par les mains expertes des égyptologues, nous la restituent…
Quant à la coupe, sa propre histoire a continué. En juillet 1830, lors des Trois Glorieuses, alors que la France se soulève pour déposer Charles X, les insurgés envahissent les rues de Paris et menacent le Louvre. Jean-François Champollion, conservateur de la division des antiquités égyptiennes, est tétanisé par ce qui peut arriver à ses précieux objets et œuvres d'art. Il tente d'organiser leur sauvegarde mais les mesures de protection s'avéreront parfois insuffisantes. Dans "La moisson des dieux", Jean-Jacques Fiechter raconte que les pilleurs n'épargnèrent pas "les galeries du Musée égyptien, fracturant les vitrines, brisant les objets et en emportant d'autres. Les bijoux fournis par Drovetti furent les premiers volés, mais bien d'autres pièces précieuses disparurent ainsi, à tout jamais...".
Qu'advient-il de 'notre' coupe ? La presse d'alors ("Journal du commerce" du 31 juillet 1830) évoque ainsi son 'salut' : "Par protection spéciale d'Amon, la grande coupe du général Djehuty, la statuette du dieu Knoum, en or massif, et certaines bagues précieuses échappèrent aux pillards."
Bien des années plus tard, au milieu des années 1980, Mme Christine Lilyquist, conservateur au département égyptien du Metropolitan Museum of Art de New York, "ramènera la coupe sur le devant de la scène". Alors qu'elle étudie le trésor découvert en été 1916 à Louqsor dans la tombe des épouses étrangères de Thoutmosis III, elle s'interroge sur la véritable origine de certaines pièces d'orfèvrerie qu'elle recelait. Elle décide alors d'étendre ses recherches en comparant d'autres artefacts de la même époque dont la coupe de Djéhouty. Lors de cette étude, approfondie et fort documentée, elle sera amenée à émettre des doutes sur l'authenticité de cette dernière.
La coupe n'en demeure pas moins l'un des plus beaux et des plus 'originaux' objets en or du département égyptien du musée du Louvre. On peut l'admirer dans l'aile Sully, au 1er étage, dans la salle 637 (vitrine 5) consacrée au Nouvel Empire.
marie grillot
sources :
Coupe de Djéhouty - or - N 713
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010008949
Coupe de Djéhouty - argent - E 4886
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010008672
Christine Lilyquist, The Gold Bowl Naming General Djehuty: A Study of Objects and Early Egyptology, Metropolitan Museum Journal, v. 23, 1988
https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=12&ved=0ahUKEwi6rsLznO3RAhXDWBoKHSYJAaA4ChAWCB8wAQ&url=http%3A%2F%2Fresources.metmuseum.org%2Fresources%2Fmetpublications%2Fpdf%2FThe_Gold_Bowl_Naming_General_Djehuty_The_Metropolitan_Museum_Journal_v_23_1988.pdf&usg=AFQjCNH01lN2matfX4tcn2CMX24dKEAtUA&sig2=6RBN9IrnMqbFrZ94Zx60dA&bvm=bv.145822982,d.d2s&cad=rja
Jean-Jacques Fiechter, La moisson des Dieux, Julliard, 1994
Guillemette Andreu, Marie-Hélène Rutschowscaya, Christiane Ziegler, L'Egypte ancienne au Louvre, Hachette, 1997
Isabelle Franco, Dictionnaire de mythologie égyptienne, Pygmalion, 1999
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