Une journée en Égypte avec… Fernand Leprette (1890-1970), écrivain et intellectuel français ayant longtemps vécu sur les rives du Nil (*)
"Ce n'est pas dans les carrefours cosmopolites d’Alexandrie et du Caire que l'Égypte livrera son âme à l'homme du Nord. Elle lui fera signe, plutôt, dans des bourgades lointaines, à Dessounés et à Baltim, ou bien à Mansalout et à Darao. Elle lui apparaîtra, quand les champs sont couverts de blés jaunes et quand les cotonniers sont criblés de points blancs. Elle se lèvera à l'aube quand les femmes, au bord d'un canal, lessivent le linge, nettoient leurs grandes bassines étamées, plongent leurs jarres dans l'eau pour les hisser, l'instant d'après, sur leur tête. Elle viendra vers lui, le soir, lorsque, sur toutes les pistes du Delta et de la Vallée, rentrent des champs les buffles qui portent à califourchon des enfants graves et heureux, les ânes qui ne peuvent résister à l'appel de la dernière touffe de trèfle, les chiens qui gambadent.
En vérité, qui n'a point vécu dans l'intimité de la campagne égyptienne ne connaît pas l'Égypte ; qui n'a point vu, pendant maintes et maintes saisons, se dérouler, sur une longueur de mille kilomètres, la grande fresque de la vie pastorale, ne connaît pas l'Égypte. Qui n'a point vu le fellah, sur sa pièce de terre, lever la houe, tourner la vis d'Archimède, curer les fossés, qui ne l'a point approché, suivi dans sa maison de boue, ne connaît pas non plus l’Égypte. Le fait qu'il se soit servi du même araire pour labourer le limon n'a pas moins de signification que les amoncellements de pierres qui jalonnent le Nil pour l'admiration des voyageurs.
Et que ce fellah vive depuis tant de siècles, sur la même terre, au bord du même fleuve, entre les mâchoires des mêmes déserts, sous les feux du même soleil, voilà qui explique, mieux que tout, l’âme profonde de l’Égypte".
(*) egyptophile.blogspot
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Une journée en Égypte avec… Marcelle Baud (1890-1987), copiste (*)
"Les bas-reliefs couvrant les monuments, les peintures des tombes, toutes ces œuvres issues du dessin ne donnent nullement une impression de puérilité ou d'infantilisme. Ils sont d'une logique absolue et nous allons retrouver les traces de cette logique dans tout l'art égyptien qui ne s'est jamais fait par impulsion mais toujours par raisonnement.
Puisque tout ce qui sort de la main du scribe doit servir à l'architecture et est conçu comme un monument, tout doit être d'abord compris et, partant, expliqué aux spectateurs par le plan de l'objet ; mais il faut aussi tenir compte des différents angles sous lesquels cet objet peut être vu : de face, de dos, de trois-quarts, de profil, avant d'essayer de faire un tout cohérent de ces différentes vues, sans oublier le dessus (ce qui est au-dessus du plan) et quelquefois même le dedans et le dessous (autres aspects du plan). Bien entendu, les scribes ne pouvaient recourir à une épure et encore moins arriver à une équation géométrique puisqu'ils ignoraient la géométrie. D'ailleurs, celle-ci leur aurait donné plusieurs images différentes du même objet alors qu'ils en recherchaient une seule qui pût résumer et expliquer tout ce qu'ils avaient vu, senti et copié. Et là, c'est la merveilleuse logique de leur pensée qui les a guidés.”
(extrait de "Le caractère du dessin en Égypte ancienne", 1978)
(*) "Marcelle Baud, une copiste très originale”
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Une journée en Égypte avec… Flinders Petrie, égyptologue anglais (1853 -1942)
"Ombragé par les falaises au pied desquelles il est situé, le temple de Deir el Bahri révèle clairement l'harmonie qui existe entre le pays et les monuments architecturaux. N'importe quel autre monument placé en cet endroit apparaîtrait comme une intrusion impertinente : les longues lignes horizontales des terrasses et des couvertures, les ombres verticales des colonnades sont en harmonie parfaite avec l'ensemble de la nature environnante.
La construction des voûtes était familière aux Égyptiens ; ils s'en servaient couramment dans leurs bâtisses en briques et en imitaient la forme en pierre. Néanmoins, ils eurent soin de masquer toujours les voûtes à l'intérieur des monuments et de les éviter dans les parties extérieures, comprenant instinctivement qu'elles ne pouvaient que nuire à l'effet décoratif.
Ces principes élémentaires, imposés de la sorte à l'architecture de l'Égypte, se firent valoir avec plus de force encore dans la sculpture. Non seulement elle devait compter avec le cadre des plaines et des falaises que lui imposait la nature, mais elle subit l'influence des murs massifs, des piliers carrés et des architraves plates, au milieu desquels ses oeuvres devaient prendre place. Entourés de la sorte, une Victoire en équilibre sur un pied ou un Faune dansant paraîtraient ridicules ; ces statues conviennent aux paysages grecs : pics escarpés séparés par des torrents tumultueux et couverts de forêts, à tout ce monde de beauté passagère, mais non à un paysage et à une architecture d'éternité. L'art égyptien, quelque exubérant et enjoué qu'il ait pu être, a toujours obéi aux obligations que lui imposait son milieu naturel, et celles-ci lui permirent de produire les portraits les plus vivants, l'harmonie la plus belle et l'expression la plus délicate.
L'art égyptien a donc été bien inspiré en étudiant les conditions de son milieu et en se soumettant aux obligations qu'elles lui imposaient, et c'est précisément dans cette soumission que réside toute sa grandeur.”
(extrait de "Les arts et métiers de l’ancienne Égypte", traduction de Jean Capart, 1915)
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