vendredi 17 février 2017

Dans l'oasis du Fayoum, la ville gréco-romaine de Karanis

Karanis - photo du bas : Brian Christensen

Ville gréco-romaine, située à 30 km de la ville du Fayoum et 70 km du Caire, Karanis est fondée au IIIe s. av. J.-C., très probablement sous Ptolémée II Philadelphe. Elle sera occupée durant environ sept siècles. 

Construite près du lac Qaroun (l’ancien lac Moeris), cette cité de quelque 3.000 habitants dans sa période la plus faste, commence à s’étendre vers le nord au début du premier siècle ap. J.-C., lorsqu’un second temple y est construit. Sa prospérité se ralentit toutefois vers le milieu du deuxième siècle, peut-être en raison de la peste dite “antonine” qui se déclare en l’an 165 et sévira dans l’empire romain jusqu’en 190.
Karanis - photo : Brian Christensen

Au début du troisième siècle, un nouvel essor voit le jour. De nombreuses maisons abandonnées sont reconstruites et réoccupées. C’est pourtant le début de la fin, marquant un déclin sans retour. La plupart des maisons sont progressivement abandonnées. Le temple nord tombe en ruines. Les rues sont jonchées de déchets. Karanis semble avoir cessé d’exister vers le milieu du Ve s. Quelques campagnes de fouilles lui feront retrouver une nouvelle vie…

Tout commence un peu par hasard. Par le hasard de la découverte, faite par des paysans récoltant sur place le "sebakh" - un engrais naturel issu de la décomposition de déchets organiques -, de papyrus très bien conservés. Les heureux découvreurs s’empressent de vendre leur trésor à des collectionneurs ou musées. Les archéologues manifestent alors leur intérêt pour le site, mais en conflit avec l’exploitation du sebakh, devenue un vrai business.

Les fouilles archéologiques commencent en 1895 et se prolongent sur trois années, sous la direction des papyrologues britanniques Bernard Pyne Grenfell et Arthur Surridge Hunt, mais elles sont menées trop au nord, donc pas très fructueuses, même si elles peuvent identifier les principales parties de l’ancienne cité. 
Karanis - Les fouilles de Francis W. Kelsey

Après une visite sur place, entre-temps, de William Matthew Finders Petrie, les vraies fouilles intensives commencent en 1925 (1924 ?) avec l’Américain Francis Willey Kelsey, de l’Université de Michigan. Elles dureront onze saisons.

"Nos découvertes, écrit Kelsey, bien qu'elles n'aient révélé aucun chef-d’œuvre, n'en sont pas moins intéressantes, parce qu'elles jettent la lumière sur le genre de vie et de civilisation d'une époque importante. Les autres fouilles qui se font en Égypte ont pour objet d'arracher à la terre les secrets des périodes pharaoniques, et d'interpréter le grand art de l'Égypte à l'époque de son éclat ; nos fouilles se bornent aux époques ptolémaique et romaine. Cette période n'est pas sans intérêt pour l'histoire de la civilisation : elle fournit une base pour notre connaissance de l'avènement et de la propagation du christianisme. Dans le Fayoum, et dans peu d'endroits de l'Égypte en dehors du Fayoum, une culture nationale des temps gréco-romains est, du côté matériel, plus amplement documentée que dans aucune autre région de la Méditerranée."

Moisson de ces fouilles : des papyrus, des pièces de monnaie, des milliers de morceaux d’étoffe, de nombreux outils en bois, en cuir et autres matières périssables, un grand nombre de vases en terre cuite ou en faïence, dont certains portant des emblèmes chrétiens, etc.
Les deux portraits énigmatiques

Deux peintures religieuses, "dont l'interprétation présente quelque difficulté", font également partie des découvertes. L’une représente une femme assise sur un trône, tenant du bras gauche un enfant sur ses genoux. Une autre, un cavalier portant une lance. On y a vu, d’une part, la Vierge et l’enfant Jésus ; de l’autre, saint Michel. "Identifications hâtives, et évidemment erronées", commente Kisley qui voit plutôt dans ces deux représentations Isis, avec l'enfant Harpocrate (Horus), et Héron, le dieu guerrier obscur de l'Égypte gréco-romaine.
Les temples du haut et du bas

Ces différentes campagnes de fouilles, complétées par celles menées ultérieurement par l’Université du Caire et l’IFAO, ont en outre permis de mettre au jour des bâtiments administratifs, des bains publics froids et chauds, ainsi que deux temples : l’un, au nord, construit à la fin du Ier siècle ap. J.-C. sur les fondations d’un temple antérieur, était dédié à Sobek, Sérapis et Zeus-Amon ; l’autre, au sud, construit également à la fin du Ier s., était consacré aux dieux crocodiles Pnepheros et Petesuchos. On pense que ces deux temples ont été abandonnés à la même époque, vraisemblablement avec l'introduction du christianisme dans la région.
Vestiges de la vie quotidienne

Outre qu’elle était au coeur d’une région agricole très prospère, Karanis doit son importance, d’un point de vue archéologique, au fait qu’elle constitue : "un microcosme de la vie telle qu'elle a été vécue par les gens ordinaires en Égypte sous domination grecque et romaine". Ses ruines situées sur un monticule de douze mètres de haut, sont considérées comme un exemple clair des techniques architecturales égyptiennes d’une ville à ce moment-là, non seulement dans le Fayoum, mais aussi dans l'ensemble du pays.

"La ville gréco-romaine de Karanis, écrit Doaa Elhami, dans "Al-Ahram Hebdo" du 02-12-2015, est une étape obligée pour tout visiteur qui passe par le Fayoum."

Une mission archéolo­gique américaine de l’Université de Californie, dirigée par Willeka Wendrich, est à pied d’oeuvre pour restaurer la ville antique et y installer un musée de plein air où sont présentées pièces d’époques diverses, dont une statue de Ramsès II et des fragments de colonnes du temple d’Amenemhat III. 

Un centre d’accueil des visiteurs a été installé dans une maison, bâtie en brique crue en 1930, qui était la résidence de la mission archéologique de l’Université de Michigan. Il a pour fonction de présenter, à l’aide de panneaux explicatifs, l’his­toire du site et du Fayoum.

Tout logiquement, la visite pourra se prolonger par un autre site touristique, proche de quelques kilomètres, qui procède de la même inspiration : le musée de Kom-Oshim. Créé en 1974, agrandi en 1993, puis fermé en 2006 pour cause de restauration et de travaux visant à améliorer les conditions de sécurité, avec la construction d’un mur et de postes d’observation, ce musée a été rouvert officiellement le 3 novembre 2016. Le Dr Khaled el-Enany, ministre des Antiquités, le Dr Gamal Sami, gouverneur local, et un certain nombre de personnalités du ministère des Antiquités honoraient de leur présence l’événement.

La fonction première du musée est de présenter l’histoire de la société "fayoumie" depuis la préhistoire jusqu’à l’époque moderne, en illustrant ses particularismes et ses coutumes. Il a donc une mission "régionale" au sens le plus vrai du qualificatif, son contenu étant abondamment fourni par les découvertes archéologiques locales. Y sont notamment exposées de superbes verreries et poteries ainsi que des têtes de femme ayant été utilisées pour créer des coiffures. On y trouve aussi deux portraits de Fayoum. 23 pièces provenant du Musée des antiquités de la place Tahrir, au Caire, et 320 pièces de provenance locale peuvent être admirées dans ce musée régional dont le gouvernorat du Fayoum "peut être fier".

Karanis et Kom-Oshim sont deux destinations complémentaires, qui peuvent n’en faire qu’une. Les responsables locaux du tourisme et de l’aménagement des sites archéologiques ont souhaité offrir des "services à un haut niveau digne de la région", contribuant ainsi au "développement de la province en bonne position sur la carte du tourisme local et international".

Marc Chartier

sources :
Karanis in the Fayoum of Egypt, by Jimmy Dunn
Détour par Karanis où les travaux avancent, par Doaa Elhami
Karanis, An Egyptian Town in Roman Times, edited by E.K. Gazda, 2004
photos de Brian Christensen 

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