Lorsqu'ils arrivent au musée de la Place Tahrir, à peine leur ticket pris et la grille franchie, les visiteurs se dirigent généralement rapidement vers le magnifique bâtiment ocre-rose, de style néo-classique, attirés par les innombrables chefs-d'œuvre qu'ils attendent impatiemment de découvrir.
L'entrée dans le gigantesque atrium les transporte immédiatement dans un autre monde, un monde qui a le privilège indescriptible de conjuguer l'histoire, l'art et … l'éternité.
Le Musée Égyptien du Caire a été inauguré le 15 novembre 1902 par le khédive Abbas Hilmi à Kasr el-Nil (place Ismailieh devenue, après 1952, place Tahrir) |
Ainsi, bien peu d'entre eux consacrent-ils du temps à un plaisir plus "terrestre", celui de flâner dans la petite cour du musée. Ils y découvriraient alors un monument digne d'intérêt, situé à gauche en entrant : il s'agit du mausolée édifié en l'honneur d'Auguste Mariette.
Ce Français, découvreur entre autres du Sérapeum, a été, en 1858, le premier directeur des antiquités égyptiennes. Il a également fondé à Boulaq le premier musée d'antiquités égyptiennes, inauguré par Ismaïl Pacha en 1863. Aussi, lorsque le "Mamour" s'éteint au Caire, le 18 janvier 1881, l'Égypte lui fera-t-elle des funérailles nationales. Bien que ce ne soit pas son vœu, il sera alors enterré dans le jardin du musée de Boulaq.
A gauche, le premier monument érigé en mémoire d'Auguste Mariette dans le jardin du Musée de Boulaq puis, à droite, lorsqu'il a été transféré au Palais - Musée de Guizeh |
En 1890, lorsque Boulaq s'avère trop petit pour exposer les antiquités que les fouilles ne cessent de livrer, le khédive décide de consacrer son splendide palais de Guizeh aux collections égyptiennes. La sépulture de Mariette y est alors transférée.
Mais ce dernier musée souffre bien vite de deux "maux" : son éloignement du centre-ville qui le rend peu pratique d'accès pour les touristes ; et puis, et surtout, le fait qu'il est sujet à des risques d'incendie. Aussi, la construction d'un nouveau "Musée des Antiquités Égyptiennes" est-elle décidée Kasr-el-Nil (place Tahrir). Dès lors, la famille de Mariette s'inquiète du devenir du tombeau. Lord Cromer est rassurant et promet : "un crédit de 1000 £É pour transférer le monument, ériger une statue du savant et même donner son nom à une rue du Caire".
Le musée sera inauguré officiellement le 15 novembre 1902 et : "la construction d'un monument destiné à recevoir le sarcophage de Mariette Pacha", avec une statue à son effigie réalisée par le sculpteur Denys Puech se dessine... Le monument sera placé : "un peu en retrait sur la gauche du Musée, à l'extrémité de la perspective qui se déroule et monte lentement le long de la façade après que l'on a dépassé la grille et la porte d'entrée. Le sarcophage s'élèverait au centre d'un exèdre en marbre blanc, dont les matériaux seraient empruntés à l'escalier inachevé du palais de Gizeh, et la statue, posée sur un piédestal en marbre de couleur qu'on érigerait dans l'axe de l'exèdre, dominerait le sarcophage de toute sa hauteur ; des arbres, plantés par derrière, formeraient par la suite un fond de verdure sur lequel le monument s’élèverait en vigueur, et le tout serait assez considérable pour ne point paraître écrasé par les masses du Musée voisin. Le dessin du piédestal fut demandé à M. Édouard Mariette, frère de l'égyptologue".
Inauguration du monument dédié à Auguste Mariette - Mariette Pacha - le 17 mars 1904 Au premier plan, à droite, le buste de Luigi Vassalli |
Les travaux seront menés à bien, supervisés par Gaston Maspero, le successeur de Mariette. La cérémonie d'inauguration du monument a lieu le 17 mars 1904 en présence d'une nombreuse assemblée : "Le Ministère des Travaux… nous avait autorisés à associer aux honneurs rendus à Mariette son ami L. Vassalli Bey, qui fut trente années durant Conservateur du Musée de Boulak, et dont le buste, exécuté à Rome par le sculpteur Guido Calori, venait d'arriver."
Le buste de Luigi Vassalli sera le premier à orner l'hémicycle de marbre blanc du monument de Mariette.
Aujourd'hui, ce sont vingt-quatre bustes qui ont rejoint l'exèdre. Sculptés dans le marbre blanc ou le bronze, ils sont présentés sur deux rangées. Ces représentants de l'égyptologie de différentes nations, et bien sûr de l'égyptologie égyptienne, ont ainsi l'immense privilège d'être honorés, dans ce haut lieu consacré à l'Égypte ancienne à l'histoire de laquelle ils ont tant contribué.
À la rangée supérieure, de gauche à droite, sont disposés les bustes de :
François Joseph Chabas (1817-1882), égyptologue français.
Johannes Duemichen (1833-1894), égyptologue allemand.
Conradus Leemans (1809-1893), égyptologue néerlandais.
Emmanuel de Rougé (1811-1872), égyptologue français.
Samuel Birch (1812-1885), égyptologue et sinologue anglais.
Edward Hincks (1792-1866), égyptologue irlandais.
Luigi Vassalli (1812-1887), italien.
Brugsch Pasha (1842-1930), égyptologue allemand.
Richard Lepsius (1810-1884), égyptologue, philologue, archéologue allemand.
C'est à la quarantaine que cet ancien marchand de vin rejoindra les milieux de l’égyptologie. Il excellera dans l’étude de nombreux textes, dont les plus connus sont les papyrus Amherst, Abbott, ou encore Turin, ainsi que les maximes morales d’Ani et de Ptahhotep.
Johannes Duemichen (1833-1894), égyptologue allemand.
Ancien élève de Karl Richard Lepsius et d'Heinrich Brugsch, il deviendra le premier titulaire de la chaire d'égyptologie de l'Université de Strasbourg. Spécialisé en épigraphie, il se consacrera à la TT33, tombe de Padiamenopé.
Conradus Leemans (1809-1893), égyptologue néerlandais.
Son principal intérêt consistera en la mise en valeur des collections égyptiennes du musée de Leiden, dont il publiera un catalogue dès 1840.
Charles Wycliffe Goodwin (1817-1878), juge et égyptologue anglais.
Passant la plupart de son temps dans l'étude des papyrus du British Museum, il excellera dans la traduction de textes hiératiques.
Emmanuel de Rougé (1811-1872), égyptologue français.
Ce vicomte, grand érudit, a été qualifié par Édouard Naville de fondateur de la philologie égyptienne. Conservateur honoraire des Antiquités égyptiennes au musée du Louvre, titulaire de la chaire d'archéologie égyptienne au Collège de France, il montera en 1863 une "mission de reconnaissance" en Égypte.
Il s'est notamment attaché à faire connaître, dans son pays, le système de déchiffrement des hiéroglyphes mis au point par Champollion. Il a été pendant de nombreuses années conservateur des Antiquités orientales au British Museum
Edward Hincks (1792-1866), égyptologue irlandais.
Pasteur protestant, il apportera notamment sa contribution à l'amélioration de la connaissance des hiéroglyphes après leur déchiffrement par Champollion et au déchiffrement des écritures cunéiformes.
Luigi Vassalli (1812-1887), italien.
Peintre - et révolutionnaire - aventurier aussi, il se lance dans le commerce d'antiquités. Proche de Mariette, pendant de longues années, il fouille de nombreux sites. Il sera nommé conservateur du musée de Boulaq en 1865
Brugsch Pasha (1842-1930), égyptologue allemand.
Il est le jeune frère d'Heinrich Brugsch. Conservateur-adjoint du musée de Boulaq, il sera actif auprès d'Auguste Mariette, puis de Gaston Maspero. Au cours de l'été 1881, il sera amené à superviser la découverte de la cachette des momies royales à Deir el-Bahari.
Richard Lepsius (1810-1884), égyptologue, philologue, archéologue allemand.
Il est considéré comme le fondateur de l'égyptologie allemande. Lors de son expédition de 1842, il étudie le champ des pyramides de Gizeh, où il découvre plus de 130 tombes privées et les restes de 67 pyramides. En 1865, il devient directeur de l’Ägyptisches Museum de Berlin.
Théodule Devéria (1831-1871), égyptologue français.
Membre du département égyptien du musée du Louvre, spécialisé dans l'étude des papyrus, et plus particulièrement dans l'étude des textes funéraires, il rejoint Mariette en 1858. Ayant de grands talents de copiste, dessinateur et d'épigraphe, il maîtrise alors la toute nouvelle technique de la photographie
Wladimir Golenischeff (1846-1957), égyptologue russe.
Grand érudit, philologue et collectionneur, il sera le premier égyptologue russe. De 1924 à 1929, il enseignera l’épigraphie égyptienne à l'université du Caire. À Paris, le centre qui porte son nom est riche de ses ouvrages et de ses archives.
Ippolito Rosellini (1800-1843), égyptologue italien.
Professeur de langues orientales à Pise, il posera les bases de l'égyptologie italienne. Venu étudier auprès de Champollion à Paris, il en deviendra "l'alter ego" lors de l'expédition franco-toscane de 1828-1829. Autour d'eux, sont regroupés des érudits, des artistes, des techniciens tant français qu'italiens : les "argonautes" parcourront les sites de la Vallée du Nil pendant de longs mois.
Quant à la seconde rangée, y figurent, de gauche à droite, les bustes de :
Labib Habachi (1906-1984), égyptologue égyptien.
Il intègre le département des antiquités égyptiennes en 1930 et y travaillera plus de 30 années, participant à de très nombreux chantiers de fouilles, tant en Égypte qu'au Soudan. Il demeure célèbre pour ses travaux sur le sanctuaire de Heqaib à Éléphantine, en 1946. Il deviendra ensuite consultant sur les recherches en Nubie à l'Institut oriental de l'Université de Chicago.
Sami Gabra (1892-1979), égyptologue égyptien.
Conservateur au Musée égyptien du Caire, professeur d’égyptologie à l’Université Fouad Ier, il sera le premier Égyptien à présider l’Institut d’Archéologie égyptienne.
Selim Hassan (1887-1961), égyptologue égyptien.
Secrétaire adjoint au Musée égyptien du Caire, puis professeur d'archéologie à la Faculté des Arts de l'Université Fouad Ier. Il sera le premier Égyptien nommé ensuite au poste de délégué aux Antiquités égyptiennes.
Ahmed Kamal (1851-1923), égyptologue égyptien.
L’un des premiers égyptologues égyptiens. Membre du Service des antiquités de l'Égypte, il a suivi les collections égyptologiques égyptiennes du musée de Boulaq au palais de Giza, puis au musée égyptien du Caire. Il a participé à plusieurs fouilles : Deir el-Bersha, Tounah el-Gebel, Atfieh, Assiout.
Zakaria Ghoneim (1905-1959) égyptologue égyptien.
Assistant de fouilles au service des Antiquités, il sera chargé de conduire, à Saqqarah, sous la direction de Selim Hassan, le dégagement de la zone des mastabas située à l’est de la pyramide d’Ounas. Nommé en 1943 conservateur de la nécropole thébaine, il entreprend de redéblayer systématiquement les tombes pour les restaurer.
Le buste de Jean-François Champollion se trouve au centre droit de la rangée inférieure du monument élevé à la mémoire d'Auguste Mariette dans la cour du Musée Egyptien de la Place Tahrir |
Jean-François Champollion (1790-1832), français.
Amedeo Peyron (1785 - 1870), égyptologue, orientaliste et philologue italien.
Willem Pleyte (1836 - 1903), égyptologue néerlandais.
Quelques mots, quelques lignes semblent insuffisants pour résumer la vie et le rôle du père de l'égyptologie… Plus que tout autre, le buste de celui qui redonna vie aux hiéroglyphes mérite sa place ici.
Amedeo Peyron (1785 - 1870), égyptologue, orientaliste et philologue italien.
Professeur de littérature orientale et classique à l'Université de Turin, il sera nommé en 1854 membre de l’Institut de France. Il est notamment l'auteur d’un Lexique de la langue copte et d’une Grammaire de la langue copte.
Willem Pleyte (1836 - 1903), égyptologue néerlandais.
Il a été conservateur des collections égyptiennes du musée de Leiden, puis directeur de ce musée. Il a publié de nombreux papyrus hiératiques des musées de Leiden, Paris et Turin.
Le buste de Gaston Maspero se trouve du côté droit de la rangée inférieure du monument élevé à la mémoire d'Auguste Mariette dans la cour du Musée Egyptien de la Place Tahrir |
Gaston Maspero (1846-1916), égyptologue italien, naturalisé français.
Peter Le Page Renouf (1822-1897), égyptologue de Guernesey (Îles anglo-normandes).
marie grillot & Marc Chartier
Nos remerciements sincères vont au Musée du Caire qui nous a communiqué, de façon extrêmement rapide, la liste des bustes.
sources :
Digne successeur d'Auguste Mariette, les mots de Jean Leclant donnent la hauteur du personnage : "Avec Gaston Maspero, nous sommes en présence d'un immense savant, un maître dans les domaines conjugués de l'archéologie, de la philologie et de l'histoire, le dernier sans doute qui put encore maîtriser l'ensemble de plus de trente siècles de la gloire des Pharaons."
Peter Le Page Renouf (1822-1897), égyptologue de Guernesey (Îles anglo-normandes).
Professeur d’histoire ancienne et de langues orientales à l'université catholique établie de Dublin, il sera ensuite nommé conservateur en chef des antiquités orientales au British Museum.
Le dernier buste ayant été ajouté est celui de :
Gamal Eddin Mouktar (1918-1998), égyptologue et ambassadeur auprès de l'Unesco pour la protection du patrimoine mondial.
Premier président de l'Organisation égyptienne des Antiquités, premier sous-secrétaire d'État au Ministère égyptien de la Culture, il fut l'un des principaux coordinateurs de la sauvegarde des monuments de la Nubie. Il enseigna dans les Universités de Riyadh, Helwan et Alexandrie et fut secrétaire général de l'Institut d'Égypte. Son buste a été réalisé par le sculpteur Daniel Esmoingt et financé par l'Association pour la Sauvegarde du Ramesseum, dont il était membre d'honneur.
Si l'exercice est difficile de résumer en quelques lignes des vies aussi intenses, il semble encore plus difficile - voire impossible - d'expliquer comment le choix de distinguer telle ou telle personnalité plutôt qu'une autre a été effectué.
Et si la présence de bustes d'égyptologues dont la notoriété semble s'être étiolée peut surprendre, mais finalement se comprendre, l'absence de certains autres questionne… On pense notamment, spontanément, à William Matthew Flinders Petrie, Howard Carter, Ernesto Schiaparelli, Herbert Eustis Winlock, ou encore Bernard Bruyère, Pierre Montet…
Un autre regret, aussi, celui qu'aucune femme ne soit présente. Amélia Edwards aurait pu y avoir sa place, ou bien encore Margaret Alice Murray… et ne désespérons pas d'y voir, un jour peut-être, Christiane Desroches Noblecourt.
Quoi qu'il en soit, la présence de ces
égyptologues dans l'enceinte même du musée où sont rassemblés tant d'objets
qu'ils ont contribué à découvrir, ou à mieux interpréter est une preuve de la reconnaissance
du rôle important qu'ils ont eu dans l'écriture, la compréhension et la
connaissance de l'histoire de l'Egypte ancienne …
Nos remerciements sincères vont au Musée du Caire qui nous a communiqué, de façon extrêmement rapide, la liste des bustes.
sources :
Elisabeth David, Gaston Maspero, Lettres d'Égypte, Correspondance avec Louise Maspero, Seuil, 2003
Elisabeth David, Gaston Maspero le gentleman égyptologue, Pygmalion, 1999
Elisabeth David, Mariette Pacha, Pygmalion, 1997
Annales du Service des Antiquités de l'Egypte V (1904) :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5724440c/texteBrut
Gady Eric, Le Musée des Antiquités du Caire : un lieu de mémoire pour les Égyptiens ou pour les Occidentaux ?, in: Outre-mers, tome 93, n°350-351, 1er semestre 2006. Sites et moments de mémoire. pp. 81-90.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/outre_1631-0438_2006_num_93_350_4191
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