Hélène Virenque au Centre Golénischeff |
C'est au cœur de Paris, en plein 13e arrondissement, près de la bibliothèque François Mitterrand, que se trouve le Centre Wladimir Golénischeff. Rattaché à l'École Pratique des Hautes Études (Ephe), il a été créé en 1947. Sa bibliothèque abrite plus de 10.000 volumes, constituant ainsi, après celle du Collège de France, la plus importante collection d'ouvrages et documents égyptologiques de la capitale.
Hélène Virenque, chargée de collections à la Bibliothèque nationale de France" (BnF) a travaillé longtemps dans ce centre et a consacré déjà plusieurs contributions à Wladimir Golénischeff. Elle a accepté de répondre à nos questions. Qu'elle soit ici sincèrement remerciée, de même que Laurent Coulon, directeur du Centre, qui a facilité cette prise de contact en introduisant notre demande…
Égypte actualités : La création du "Centre Golénischeff" remonte à 1947. Pouvez-vous nous en rappeler les circonstances ? Et nous présenter les personnalités qui sont à l'origine de son existence ?
Hélène Virenque : La création du Centre de documentation égyptologique de l’Ephe date en réalité de 1946. Il prit le nom de Wl. Golénischeff en 1947 lorsque la bibliothèque du savant russe (mort la même année) rejoignit cette institution. Le centre est installé dans une annexe du Musée Guimet, dans le 16e arrondissement, jusqu’en 1990 et rattaché au “Centre documentaire d’histoire des religions”. Il déménagea plusieurs fois avant de s’installer dans le 13e arrondissement en 2010. Actuellement il dépend de la Section des Sciences religieuses de l’Ephe (Ve section).
Le fait que le centre s’appelle Wl. Golénischeff peut surprendre à première vue car le savant russe n’eut aucun lien académique avec l’Ephe, mais il faut l’envisager comme un hommage à sa carrière et à ses collections qui ont permis de donner une véritable impulsion à la recherche égyptologique à l’Ephe.
Jean Sainte Fare Garnot, ancien directeur de l’IFAO, enseigna à l’Ephe de 1938 jusqu’à sa mort en 1963 et c’est entre autres grâce à lui que la bibliothèque s’enrichit de dépôts de l’IFAO et de prêts de la bibliothèque d’égyptologie du Collège de France. Les dons de différents chercheurs et les achats réguliers ont permis de compléter ces fonds et de faire de cette bibliothèque une référence.
ÉA : Pouvez-vous nous indiquer quels en ont été, ensuite, les directeurs successifs ? Et également, nous préciser comment le Centre est géré et administré ?
HV : À la mort de Jean Sainte Fare Garnot en 1964, Jean Yoyotte prit la suite jusqu’en 1991, avant que Christiane Zivie-Coche ne lui succède. Depuis 2015, le nouveau directeur du Centre est Laurent Coulon. Ces responsables successifs ont notamment mené des recherches sur la religion égyptienne, les époques tardives, la géographie et l’archéologie du Delta, et la politique d’acquisition de la bibliothèque a été fortement influencée par ces thématiques. L'accueil des lecteurs et la gestion des collections d'ouvrages sont assurés par Catherine Bouanich, avec l'aide d'un petit groupe de bénévoles assidus.
Le Centre actuel fait partie de l’équipe de recherches “Égypte ancienne : archéologie, langue, religion” (EA 4519), dirigée par Andreas Stauder, qui associe les égyptologues de la IVe et la Ve sections. Elle est composée d’une équipe de chercheurs (linguistes, épigraphistes, archéologues) et d’étudiants préparant leur doctorat ou leur diplôme.
ÉA : Le premier “fonds” qui provient de la collection Golénischeff est riche de plus de 2000 volumes. Ce ne sont que des ouvrages ? Ou bien y a-t-il également des notes personnelles, des manuscrits, des courriers de l'égyptologue, des photos ?
HV : La bibliothèque Golénischeff constitue en effet le cœur des collections actuelles. L’égyptologue avait soigneusement fait relier ses livres mais aussi des centaines de tirés-à-part, très précieux pour la recherche, car il s’agit souvent d’articles provenant de revues étrangères et peu accessibles actuellement.
Wladimir Golénischeff |
Un grand nombre comporte des dédicaces autographes qui dessinent une carte de la sociabilité académique de son époque : Golénischeff avait noué des liens avec les plus grands savants européens et ces échanges d’articles permettaient d’enrichir considérablement sa bibliothèque de travail. On trouve également de magnifiques ouvrages en grand format ainsi qu’une série d’ouvrages en russe ou encore des récits de voyage du XIXe siècle.Hormis ces ouvrages, les archives de Wl. Golénischeff sont aussi conservées au Centre. Plusieurs ensembles sont intéressants : sa correspondance, qui comprend environ 300 lettres envoyées par plus de 90 égyptologues entre 1911 et 1947 ; des portraits de lui et des photographies de ses séjours en Égypte ; des fiches manuscrites qu’il avait rédigées pour son grand projet de Syntaxe de l’égyptien, ainsi que l’inventaire manuscrit de sa bibliothèque établi en 1932 à Nice.
ÉA : D'autres dépôts sont venus ensuite enrichir le Centre : ce sont des noms prestigieux de l'égyptologie française que l'on retrouve : Pierre Lacau, Pierre Montet, ou bien encore, plus récemment Jean Yoyotte ?
HV : Ce sont les veuves de ces savants qui ont permis l’enrichissement des archives du Centre : Mme Sainte Fare Garnot a donné les archives de son mari, qui comportaient en sus celles de Wl. Golénischeff dont le savant français avait hérité. Mme Lacau a fait de même avec celles de son époux. Elles comportent de nombreuses notes préparatoires à des publications fondamentales telles que la Chapelle Rouge ainsi qu’une série de clichés de Karnak.
Masque de Psousennès - copyright Centre Golénischeff |
Du côté de Tanis, la veuve de Pierre Montet a donné en 1966 les archives des 21 campagnes de fouilles de l’archéologue. Tirages, plaques de verre, plans et dessins composent ce corpus majeur pour l’histoire de la fouille de ce site du Delta.
Enfin, en 2010, les archives de Jean Yoyotte ont été données par la famille suite à son décès. Elles sont constituées entre autres de milliers de fiches manuscrites correspondant à ses recherches sur le Delta, la religion aux époques tardives, les toponymes, le site d’Hérakleion, etc.
ÉA : Le "fonds" du Centre est constitué principalement de dons, mais lui arrive-t-il également d'acquérir les archives de certains égyptologues ? Et, si oui, sur quels critères ?
HV : Le Centre Golénischeff ne dispose pas de ressources propres suffisantes pour acquérir des fonds d'archives qui seraient en vente sur le marché. De fait, la richesse des archives qui y sont déjà déposées fait que la priorité est accordée au traitement scientifique et à la valorisation de celles-ci.
ÉA : Cette question n'est peut-être pas très "protocolaire" - et encore moins scientifique -, mais quel est, pour vous, le "top five" des documents les plus intéressants ?
HV : Pour son originalité et son aspect assez émouvant, je citerai une grande dédicace manuscrite et ornée de motifs pharaoniques datée de 1928. Elle est l’œuvre d’une étudiante égyptienne de Wl. Golénischeff ; dans le texte elle le remercie pour son enseignement (il était professeur à l’Université du Caire) et souligne la nécessité pour les femmes égyptiennes de s’instruire et de connaître leur passé : “Nous voudrions qu’il puisse être dit à nos sœurs d’Europe que le ridicule des «Femmes savantes» est mort en Égypte comme chez elles.”
Pour le reste, on compléterait aisément ce palmarès avec les merveilles des fonds Montet et Yoyotte, que ce soit des images ou des témoignages sur la découverte des tombes royales de Tanis par le premier, ou les notes de cours du second, par exemple sur les rituels osiriens ou les processions géographiques, témoins de son immense érudition.
ÉA : Les conditions de consultation des documents sont réglementées ? Ou est-il ouvert à tous les passionnés d'égyptologie ?
Lecteurs au Centre Golénischeff |
HV : La bibliothèque est réservée aux chercheurs et aux étudiants de l’Ephe. Elle accueille également les personnes qui préparent un diplôme de l’Ephe, souvent des passionné-e-s d’égyptologie. Des étudiants de l’extérieur qui en font la demande peuvent naturellement venir consulter les fonds. Il arrive d’ailleurs que des chercheurs étrangers viennent spécifiquement au centre pour consulter ses archives.
ÉA : La plupart des documents sont-ils numérisés, ou en phase de l'être ?
HV : Actuellement, il n’y pas de projets de bibliothèque numérique qui demande un gros investissement et qui doit être pensé soigneusement en amont. Il faut réfléchir à plusieurs paramètres avant de se lancer dans un tel projet, aussi bien au niveau de la définition des images que celui de la mise à disposition du public (base en ligne ? accès réservé ? etc.).
À vrai dire, les chercheurs et les étudiants continuent à apprécier de venir travailler à la bibliothèque où ils peuvent facilement échanger entre eux car l’équipe de recherche est à taille humaine.
Concernant les archives, des opérations de numérisation de grande ampleur ont eu lieu ou sont en cours. Les plaques de verre du fonds Montet ont été entièrement numérisées par François Leclère et Patrice Le Guilloux. De nombreux autres documents sont en train d'être scannés. Pour le fonds Lacau, une numérisation partielle a déjà été réalisée, notamment en partenariat avec le Centre Franco-Égyptien d'Étude des Temples de Karnak, pour ce qui concerne ce site. Le fichier des anthroponymes théophores constitué par Michelle Thirion a lui aussi été numérisé par Yannis Gourdon. S'agissant du fonds Yoyotte, un projet de numérisation a reçu tout récemment un financement de PSL Research University : piloté par Laurent Coulon et Sépideh Qahéri, il vise à mettre à la disposition des chercheurs dans une bibliothèque numérique l'immense masse de données scientifiques collectées par Jean Yoyotte tout au long de sa carrière.
Propos recueillis par marie grillot
Références :"Égypte ancienne : archéologie, langue, religion" (École Pratique des Hautes Études)
"Mission française des fouilles de Tanis (MFFT)" (École Pratique des Hautes Études)
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