photo Abdullah Frères |
(Le musée du Caire)
(extrait de Promenades en Égypte, 1895)
(*) pseudonyme adopté par le journaliste et écrivain français Jules-Hippolyte Percher (1857-1895)
“Nous aurions dû certainement visiter le Musée avant de faire notre promenade sur le Nil ; mais dans tous les cas, il faut le revoir après, souvent et longuement. L'esprit replace assez aisément dans les temples et dans les tombeaux les objets qui y furent trouvés et de tous ces éléments se compose une idée plus exacte de la vie antique.
Quelles délicieuses heures on passe là, lorsqu'on est par surcroît en proie à la folie du bibelot : ô les innombrables scarabées aux fins cartouches, les splendides collections de bijoux si remplis de goût, si finement travaillés qu'ils feraient honneur à un artiste de nos jours, et ils ont trois ou quatre mille ans ! les bronzes curieux où revivent les dieux égyptiens, si nombreux et si compliqués ; les jolies statuettes de faïence, ou de bois peint placées dans les tombes pour être les serviteurs de l'âme des morts ; les papyrus dont on voudrait percer l'irritant mystère ; les restes - trop rares hélas ! - du mobilier égyptien ; les sarcophages de bois peint, de l'époque romaine, aux dorures si fraîches qu'elles semblent sortir de l'atelier, et ceux où était peint par une attention touchante le portrait du défunt ; et encore dans les pièces du bas, ces innombrables tombes de granit, de marbre, de porphyre, aux riches inscriptions hiéroglyphiques et les figures sculptées, notamment ce scribe que M. de Morgan a découvert récemment et qui vaut presque celui du Louvre, le joyau de nos collections. Mais ce qui produit sans contredit la plus vive impression, c'est cette vaste salle où reposent les momies célèbres, notamment celle de Seti Ier et de son fils Ramsès II. Quelle lamentable et ironique destinée ! C'était bien la peine, ô maîtres du monde, que vos successeurs respectueux vous fissent avec tant de soin embaumer, pour que vos momies ratatinées, étendues dans leur sarcophage, sous une glace transparente, servissent de spectacle à la curiosité banale de vils plébéiens ! Je trouve pour ma part qu'il y a dans cette exhibition comme un manque de piété humaine : on n'agirait point ainsi vis-à-vis d'un homme célèbre, mort depuis quelques centaines d'années. Est-ce donc que cela détruit le respect, d'être vieux de plusieurs milliers ? Passe encore pour les momies anonymes, mais leur gloire même ne devrait-elle pas plaider pour Ramsès II et pour Seti Ier ?
Je ne nie pas les droits de la science, mais il me semble que si j'avais la charge du Musée, j'aménagerais dans une salle retirée, une pièce où reposeraient les grands rois au milieu des objets qui devaient accompagner leur dernier voyage. Là, le visiteur ne devrait ni rester couvert, ni parler à haute voix et les plus sots cokneys comprendraient qu'ils n'ont pas seulement devant eux une tête baroque à la peau parcheminée collée sur les os, mais les restes d'êtres qui commandèrent aux hommes, qui créèrent l'histoire et qui furent presque des dieux !”
(extrait de Promenades en Égypte, 1895)
(*) pseudonyme adopté par le journaliste et écrivain français Jules-Hippolyte Percher (1857-1895)
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Une journée en Égypte avec… Jean Capart (1877-1947)
Illustration extraite de Norman de Garis Davies, "Le tombeau de Nakht à Thèbes", New York, 1917 |
"Sans vouloir trancher les plus graves problèmes de l'esthétique, demandons-nous maintenant s'il n'est pas possible de signaler dans quelques faits simples, ce qu'on pourrait appeler l'éveil du sentiment du beau chez les Égyptiens. Un premier caractère bien net à souligner est leur goût extraordinairement développé de la décoration florale. Les Égyptiens aimaient passionnément les fleurs et pourtant la flore égyptienne n'est pas fort riche. Ils ont employé le lotus aux usages les plus divers : aux jours de fête, ils en suspendaient des guirlandes au sommet des murs, en accrochaient à la corniche des kiosques et des baldaquins, en entouraient les vases, en formaient des colliers et des couronnes. L'art décoratif, ici, n'a eu qu'à copier les formes habituelles pour produire des décors fixes d'une grande richesse. La bijouterie restera longtemps fidèle aux formes que la nature offrait aussi riches que peu compliquées.
N'est-ce pas à cet amour des fleurs que peut se rattacher aussi le goût des matières brillantes et colorées qui se manifestera dans les pièces de bijouterie à incrustations, dans les meubles combinant des matières de teintes diverses, dans les tapis et les nattes, dont le répertoire est extrêmement varié ?
Est-il nécessaire d'insister longuement sur le charme qu'ils éprouvaient devant les formes féminines, élégantes et gracieuses ? L'art industriel particulièrement y a puisé des types remarquables qui transforment un objet de vulgaire utilité en un objet réellement beau ou simplement plaisant à voir. Quand l'ouvrier ancien a donné à un récipient à fard la forme d'une jeune fille portant un vase sur l'épaule, ou d'une nageuse qui a saisi dans les mains un canard, il a voulu évidemment faire plus que procurer à sa cliente un récipient à fard. Le but primitif a presque disparu et l'intention du fabricant s'est portée en première ligne sur la création d'un objet joli, de nature à tenter l'élégante dont la délicatesse artistique était éveillée. On se trouve dans ce cas en présence d'un artiste créateur de beau et aussi, ce qui est d'une égale importance, d'une clientèle réclamant des productions artistiques. Si les Égyptiens ont reproduit des figures grotesques comme celle du dieu Bès ou des captifs étrangers, leur intention était de provoquer le rire, ou de faire ressortir par contraste la supériorité des formes belles et gracieuses.”
(extrait de Leçons sur l’art égyptien, 1920)
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Une journée en Égypte avec…Victor Schoelcher (1804-1893), homme politique français, connu pour son combat pour l'abolition définitive de l'esclavage
Tomb Jeserkareseneb XVIII° Dynasty - Unesco |
"Le ciseau du sculpteur égyptien savait (...) animer la pierre de la grâce la plus délicate. À l'entrée d'une cave à momies, située au milieu de l'ancienne nécropole de Thèbes, on voit plusieurs profils de femmes, dignes de prendre place à côté de ce que l'art a produit de plus beau. Le dessin est d'une finesse exquise, l'expression délicieuse ; cette fermeté douce et souple qui distingue les chairs de la jeunesse est comprise et rendue avec un incroyable bonheur ; enfin il y a dans la coiffure des détails traités avec une élégance et une légèreté parfaites.
Les statues, les sphinx à têtes d'hommes, de lions, de béliers, qui sont venus jusqu'à nous, attestent que les Égyptiens n'excellaient pas moins dans la ronde-bosse que dans le bas-relief. Hauteur de style, savante observation des muscles, simplicité, force et grandeur, caractérisent leur statuaire. Ces beautés sont de tous les temps, aucune école n'y est insensible, et tout le monde les peut distinguer et admirer en considérant le sphinx en granit foncé, qui embellit la cour de la petite entrée du musée, au Louvre.
Sous le rapport de la décoration, on trouve de même que les Égyptiens eurent un très beau sentiment d'art. La couleur qu'ils appliquaient à l'architecture et à la sculpture était toujours employée en teintes plates, avec une sobriété indice d'une expérience consommée. Dans tous les hypogées, les bas-reliefs produisent, en se détachant sur un fond d'une blancheur éclatante, le plus heureux effet, et le fond blanc, par un calcul qu'il est impossible de ne pas apprécier, sert en même temps à combattre l'obscurité de ces catacombes. Les peintures que l'on aperçoit encore sur les monuments y sont ménagées avec une science infinie, et l'on peut juger que leur ensemble devait être d'un aspect magique. On n'y trouve guère employé d'ailleurs que le rouge, le jaune, le noir et l'azur, cette dernière teinte dominante. Si les restes de coloriage des cathédrales gothiques ne suffisaient pas pour convertir tout le monde à l'architecture polychrome, la vue des temples pharaoniques rassurerait les plus rebelles classiques.
Assurément l'art qui présente de telles qualités peut, à bon droit, passer pour être sorti des langes, malgré ses vices spéciaux ; c'est du talent et du génie tout ensemble. Le nom des hommes qui élevèrent les miraculeux monuments de la Thébaïde serait venu jusqu'à nous pour être honoré, si la construction et l'ornementation des édifices égyptiens n'avaient été des entreprises collectives où la part de chacun se perdait dans la gloire de tous (...)."
(extrait de L'Égypte en 1845)
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