"Le sycomore d’Égypte, écrit l’architecte français Pascal Coste (1787-1879), acquiert une grande élévation et une grosseur comme nos chênes ; ses branches sont très étendues ; son fruit ressemble à la figue d’une couleur jaunâtre, d’une saveur douce, mais d’un goût peu délicat, naissant sur les branches, ainsi que sur le tronc, par touffes. Son bois était regardé par les anciens comme incorruptible. Les caisses renfermant les momies égyptiennes sont faites de ce bois. Les Égyptiens en faisaient encore des statues et des stèles funéraires." (Pascal Coste, toutes les Égypte, éditions Parenthèses, 1998)
Cet arbre, au port majestueux, est encore apprécié aujourd’hui, pour son ombre généreuse, par les Égyptiens. Celui, très célèbre, qui poursuit sa longue, mais pas toujours paisible retraite à Matariya a, selon la tradition locale, servi de refuge à la Sainte Famille : "Jésus, Marie et Joseph, lit-on dans la Description de l’Égypte de Benoît de Maillet (1656-1738), accablés de fatigue et de lassitude, ne trouvant aucun endroit où ils pussent se cacher, allaient devenir la victime de leurs persécuteurs, lorsque le sycomore s’entrouvrit et leur offrit dans son sein une retraite assurée et inconnue."
Sycomore en Nubie - Gravure sur acier originale dessinée par Chérubini, gravée par Lemaitre. Aquarellée à la main. 1847 - Galerie Napoléon |
Le sycomore est originaire d’Afrique centrale. On le trouve au Sénégal, en Afrique du Sud, dans la péninsule Arabique, à Madagascar, en Israël, en Égypte… C’est un arbre de grande envergure. Il peut atteindre une vingtaine de mètres de hauteur et a une grande longévité (plusieurs siècles). Ses fruits sont des figues comestibles, groupées en panicules, poussant tout au long de l’année. "Le sycomore est extrêmement commun en Égypte, écrit le médecin arabe Abdallatif Al-Baghdadî (1162-1231). Cet arbre semble être un figuier sauvage : ses fruits naissent sur le bois, et non sur les feuilles ; on en fait sept récoltes par an et l'on en mange pendant quatre mois de l'année. Un sycomore porte une très grande quantité de fruits. Quelques jours avant que l'on en fasse la cueillette, un homme équipé d'une pointe de fer monte sur l'arbre, et fait avec cet instrument une piqûre à tous les fruits l'un après l'autre ; il coule de la plaie une sorte de lait de couleur blanche ; ensuite la place devient noire, et c'est cette opération qui donne aux fruits une saveur sucrée. Il y en a qui sont excessivement sucrés, plus même que la figue ; mais on y trouve toujours, quand on finit de les mâcher, un arrière-goût de bois."
Dans l’Égypte ancienne, le sycomore est appelé : "figuier des pharaons". Il est connu pour être imputrescible : "excellent pour résister à l’eau aussi bien qu’à l’air". D’autres historiens le qualifient de : "facile à travailler, mais peu durable et assez médiocre par rapport à d’autres bois". Pour cette raison, il était utilisé pour la fabrication de mobiliers, manches d'outils, bibelots… mais aussi et surtout de sarcophages.
Dans ce dernier cas, pourquoi ne pas voir une réelle symbolique ? Le sycomore n’était-il pas considéré comme un arbre sacré, au point d’être parfois assimilé à une divinité protectrice ?
Dans la tombe de Thoutmôsis III (KV 34), Isis est représentée comme un arbre aux branches musclées (un sycomore), donnant le sein au pharaon défunt. À Dra Abou el-Naga, dans la tombe thébaine de Panehsy (TT 16), est représenté également un sycomore d’où émerge la déesse Nout versant une libation d’eau vivifiante pour un défunt agenouillé. Dans la tombe d’Ouserhat (TT 51), creusée dans la colline de Shaykh Abd el-Gournah, une peinture représente la : “rencontre entre le(s) défunt(s) et Nout sous sa forme de déesse du sycomore. (...) Elle est à rapprocher du chapitre 59 du Livre des Morts : "[...] Paroles dites par N. : Ô ce sycomore de Nout, donne-moi l'eau et la brise qui sont en toi [...]". D'habitude, la scène est plus petite et la déesse fait corps avec l'arbre, tandis qu'ici elle en porte sur la tête une forme schématisée. (...) Elle est complètement séparée de l'arbre, dont elle ne porte qu'un médiocre avatar sur la tête.” (Osirisnet.net)
L’assimilation entre le sycomore et Nout, la déesse personnifiant la voûte céleste qui protège la terre de son corps, est clairement illustrée par ce texte figurant au-dessus d’un arbre sur une paroi de la sépulture de Qenamon (TT 93) : "Paroles dites par le sycomore, Nout. Je suis Nout, élevée et grande à l’horizon, je suis venue à toi, salut à toi, directeur des troupeaux (...). Sous moi, tu te rafraîchis sous mes branches, tu te rassasies de (mes) offrandes, tu vis de mon pain, tu bois de ma bière. Je fais que tu t’allaites de mon lait, que tu vives et te maintiennes en vie grâce à mes seins. La joie et la santé sont en eux. (Le lait) pénètre en toi en tant que vie et stabilité, comme je l’ai fait pour mon fils aîné." (cité par Nathalie Baum, dans "Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne")
Tombe de Pashed - TT 3 Deir el-Medina |
Le sycomore, conclut Jean-Pierre Corteggiani dans "L’Égypte ancienne et ses dieux "(Fayard, 2007) : "occupe une place importante dans le monde des morts et dans celui des dieux. (...) Il a des liens si étroits avec certaines divinités féminines que l’on peut parler d’une déesse-arbre (...) identifiée essentiellement à Nout, mais aussi à Hathor, à Isis, à Nephthys ou à Neith, sans qu’il soit possible, quand elles ne sont pas désignées par leur nom, de savoir laquelle de celles-ci se cache derrière des épithètes telle que 'la Dame du sycomore', 'Celle qui nourrit' ou 'protège son maître'."
Pour la générosité de son feuillage et de ses fruits, pour la place que les anciens Égyptiens lui ont attribuée dans les rites et représentations de leur panthéon, le sycomore ne serait-il pas, par excellence, "l’Arbre de Vie" ?
sources :
tela-botanica.org
osirisnet.net
Arbres et arbustes de l'Égypte ancienne : la liste de la tombe thébaine d'Ineni, Numéro 81, par Nathalie Baum, Peeters Publishers, 1988
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