Cette année commence bien pour Franck Monnier ! Après des mois d'attente, son dernier ouvrage L'ère des géants - Une description détaillée des grandes pyramides d'Égypte vient de paraître aux éditions De Boccard.
Chercheur associé en égyptologie à l'Université Paul Valéry de Montpellier, Franck est passionné d'architecture, ses sujets d'études privilégiés étant les forteresses, les pyramides et le comportement des structures. Il nous livre aujourd'hui un travail "fouillé", documenté et érudit sur ces constructions 'pharaoniques' qui défient le temps et ne cessent de susciter questions, interrogations, et… passion !
Égypte actualités : "De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace !" : cette phrase de Danton, que vous citez en début de votre introduction eu égard aux titanesques chantiers des pyramides… je pense qu'elle peut aussi s'appliquer à vous. Car, pour se lancer dans un tel ouvrage, de l'audace, il en faut également n'est-ce pas ?
Franck Monnier : Dans un certain sens, c'est vrai qu'il en faut pour s'attaquer à un thème qui déchaîne autant les passions. Mais il est facile d'en faire abstraction. De par son importance et tout l'intérêt qu'il suscite, on se laisse porter par le sujet.
Pyramides de Giza - photo Marc Chartier |
ÉA : "L'ère des géants" ! Quel titre ! Qui sont ces "géants" et comment datez-vous leur "ère" ?
FM : Ces géants sont une désignation imagée des rois et des responsables de travaux qui ont mis en chantier des projets architecturaux parmi les plus ambitieux de tous les temps. De leurs esprits sont nées les plus grandes sépultures jamais construites, des monuments dont les records ont régné sans partage durant près de quatre millénaires. J'ai défini cette ère comme incluant les règnes de Djéser à Khéphren, c'est-à-dire de la première à la dernière grande pyramide, soit de 2600 av. J.-C. à 2450 av. J.-C. environ.
ÉA : Les pyramides, des monuments grandioses, une architecture qui défie le temps : aucun adjectif n'est trop grand, ni trop 'exagéré' pour les qualifier tellement elles fascinent et questionnent… Comment et quand sont-elles nées ?
FM : La forme pyramidale est apparue sous le règne de Djéser, vers 2600 av. J.-C. D'où vient-elle ?
Même si les hypothèses se sont multipliées, aucune certitude n'est encore permise. Faut-il y voir la marque de l'ascendance de la religion solaire à partir de la 3e dynastie ? Représente-t-elle les marches d'un gigantesque escalier comme on les trouve mentionnées dans des passages des “Textes des Pyramides” ? Les faces polies, un peu plus tardives, symbolisent-elles les rayons de l'astre solaire ?
Il est possible que tout ceci soit vrai, ces divers aspects ayant pu entrer en jeu d'une manière consciente ou non dans l'invention et l'évolution de cette forme.
ÉA : Les pyramides de Giza sont les plus connues, mais il y en a bien d'autres. Combien en compte-t-on en Égypte ?
FM : Il y en a près d'une centaine en comptant les pyramides de reines. Certaines ont été complètement démantelées, ou sont restées inachevées, enfouies sous les sables. D'autres restent encore à découvrir...
ÉA : D’où provenaient les matériaux, les énormes blocs qui les composent ? Peut-on se dire, avec raison, que leur construction n'a pu être possible que parce que le sous-sol de l'Égypte est assez 'riche' en carrières pour fournir une telle 'matière première' ?
FM : La vallée du Nil regorge en effet de richesses minéralogiques. Pour les déceler et les exploiter, les Égyptiens firent preuve d'une grande ténacité. De lointaines expéditions durent être levées pour se procurer les diverses pierres composant les complexes funéraires à pyramide : calcaire, granite, gneiss, basalte, albâtre, mais aussi le cuivre et le bois, matériaux indispensables à la confection des milliers d'outils et des moyens de transport. Ils n'hésitaient pas à dépasser les frontières de l'empire et à s'aventurer dans les déserts occidentaux, ainsi qu'en Nubie et au Moyen-Orient. Sous la période thinite furent produits des dizaines de milliers de vases, tous façonnés avec la plus grande dextérité dans les pierres les plus dures. Forts de l'expérience acquise à cette époque, les ouvriers et artisans purent extraire et tailler les roches les plus diverses, et mener à bien l'érection des pyramides.
Pyramide de la Reine - complexe d'Ouserkaf, Saqqara collection Franck Monnier |
ÉA : L'autre 'richesse" qui était nécessaire et indispensable à leur construction, c'était la main d'œuvre… Tous ces hommes, ce peuple qui les ont construites : qui étaient-ils ? Des esclaves ? Des volontaires ? A-t-on trouvé des écrits qui relatent la vie de ces "ouvriers" bâtisseurs ?
FM : La main-d'œuvre était probablement diversifiée. On sait que Snéfrou avait organisé un raid en Nubie pour en ramener des milliers d'esclaves qui avaient très certainement été intégrés aux grands chantiers des pyramides. Et l'on peut y voir l’une des raisons pour lesquelles le peuple égyptien l'avait toujours considéré comme un bon roi. Il avait su utiliser des ressources extérieures pour ne pas asphyxier l'économie égyptienne et le peuple. Tous n'avaient peut-être pas eu cette politique. Et l’on peut s'interroger sur l'amplitude du labeur imposé aux Égyptiens en fonction des règnes... et sur la limite entre servitude et condition ouvrière.
Aucun écrit ne relate la vie des ouvriers, ces bâtisseurs de pyramides. Au vu des ossements qui ont été retrouvés à Giza, on imagine bien les conditions physiques difficiles qu'ils avaient bravées pour satisfaire leur roi. On a souvent évoqué une sorte de service obligatoire qui imposait aux hommes valides de se rendre sur le chantier d'une pyramide lorsqu'ils n'étaient pas retenus par les travaux des champs ou d'autres corvées. Toutefois, on sait maintenant que plusieurs milliers d'ouvriers étaient employés toute l'année sous les règnes de Khéphren et Mykérinos, et logeaient près du chantier auquel ils étaient attachés. Il semble qu'ils étaient plutôt bien nourris. L'administration prenait donc soin à ce qu'ils soient toujours aptes à remplir leur tâche. Nous sommes donc bien loin de l'image des esclaves frappés au sang véhiculée par les vieux films hollywoodiens. La main-d'œuvre (captive ou native) était précieuse.
ÉA : Quant à leur construction… autant de questions que de théories développées, générées par autant de "pyramidologues" convaincus… Quelles sont les certitudes aujourd'hui ?
FM : Si les certitudes sont rares, elles n'en ont pas moins le mérite d'exister. Et il est faux d'affirmer, comme il est courant de le lire, que nous ne savons rien des techniques de construction égyptiennes. Mon ouvrage tente de remettre en lumière qu'en dépit d'importantes zones d'ombre, la documentation est relativement abondante. La provenance des pierres et les techniques d'extraction employées laissent peu de place au doute. Et le déplacement des blocs est lui aussi bien documenté dans les représentations picturales de l'histoire pharaonique.
ÉA : La technologie qui avance à grands pas - je pense notamment à la mission ScanPyramids - nous apportera-t-elle des éléments de réponses ? Mais percer leur 'secret' n'est-ce pas aussi leur enlever leur part de mystère ?
FM : Les nouvelles technologies, que ce soit dans la modélisation 3D, dans les moyens de prospection, de détection ou de simulation, offrent des outils extraordinaires qui permettent d'explorer de nouvelles pistes. Nous ne pouvons nous y soustraire sous peine de nous priver d'informations capitales. Mais, tout comme en astronomie, où un télescope très puissant n'est que de peu d'utilité si l'observateur ignore tout de ce qu'il observe, la technologie risque de rester stérile si elle n'est pas alliée à une excellente connaissance de l'état de l'archéologie.
Si toutes les compétences s'allient dans une démarche purement scientifique, je ne doute pas que l'on découvrira beaucoup de choses. Mais vous n'avez aucune inquiétude à avoir, le voile ne sera pas entièrement levé. L'architecture pharaonique est vaste et complexe. Les réponses amèneront à nous poser d'autres questions. Et des 'mystères' perdureront pour notre plus grand plaisir à tous.
propos recueillis par marie grillot
L'ère des géants
Une description détaillée des grandes pyramides d'Égypte
Auteur : Franck Monnier
Éditions de Boccard, 2016, 272 pages
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