Elle est mentionnée dans quelques textes anciens des premiers siècles de l’ère hégirienne. Al-Maqrizi, par exemple, dans Itti'ath al-Hunanfa (395 AH), cite un ordre d'al-Hakim bi-Amrillah, lu dans toutes les mosquées, interdisant de manger de la molokheya parce que Mu'awya ibn Abi Sufyan, l’ennemi juré des chiites, l’a autorisée ! Une autre version mentionne la même interdiction de la part d’al-Hakim, mais faite uniquement aux paysans, pour réserver ce plat de choix à la seule table royale. Une décision qu’Ali al-Zâhir, surnommé al-Zâhir bi-llah, septième calife fatimide, s’empressera d’annuler en 418 AH.
“Il paraît, commente Robert Solé dans son “Dictionnaire amoureux de l’Égypte”, que le calife fatimide al-Hakim (996-1021), qui n’était pas à une folie près, avait fait interdire ce plat au cours de son règne. On ne connaît pas d’autre souverain qui ait pris le risque de se rendre aussi stupidement impopulaire…”
Le célèbre médecin, historien et égyptologue Muwaffak al-Din Abu Muhammad ben Yusuf ʿAbd al-Latîf al-Baghdâdî (1162-1231) écrit : “La méloukhia est plus aqueuse et plus humide que la mauve ; c’est une plante froide et humide au premier degré : on la sème dans les jardins potagers, et on la fait cuire avec la viande ; elle est très mucilagineuse. (...) Son emploi est mauvais pour l’estomac ; cependant elle apaise l’inflammation, rafraîchit, et passe promptement, parce qu’elle est de nature à glisser facilement.”
Avant de devenir un plat, la molokheya est donc une plante - la Corchorus olitorius -, de la famille des Malvacées (mauves). Connue en français sous le nom de corète (corette), ou corète potagère, elle est constituée de tiges de couleur rougeâtre et fibreuses, de petites fleurs de couleur jaune, de feuilles simples et comestibles, d'un fruit en forme de capsule cylindrique gris/noir terminé par un bec, de nombreuses graines toxiques.
Cuisinées fraîches, séchées ou congelées, les feuilles de cette plante produisent une substance mucilagineuse qui donne à la soupe de molokhia sa texture particulière.
Les qualités nutritives de la molokheya sont multiples. Selon une étude du Département américain de l'Agriculture, 100 grammes de molokheya contiennent 1,94 g de protéines, 5,79 g de glucides, 0,14 g de matière grasse, 2,8 g de fibres, 219 mg de potassium, 7 mg de sodium. La molokheya est riche en vitamines et minéraux, à tel point que la simple énumération de ses vertus peut faire l’objet d’une liste à perdre haleine, qu’il s’agisse des vertus purgatives, diurétiques, toniques, épaississantes, adoucissantes, adhésives, fébrifuges, laxatives…
Rappelons tout d’abord les ingrédients de la molokheya au poulet (car il nous faut bien faire un choix sur un menu qui offre d’autres options !) : si possible, des feuilles de corette fraîche, ou, à défaut, des feuilles séchées ou même de la poudre fabriquée avec ces feuilles ; un oignon finement haché ; de la pâte de tomate ; plusieurs gousses d’ail hachées ; de la coriandre ; du sel, de l’huile ; éventuellement, un cube bouillon de poulet ; et, bien entendu, un poulet.
Restons sur les rives du Nil, en compagnie de Robert Solé : “Au premier abord, (la molokheya) peut surprendre, mais un palais un peu entraîné n’en finit pas de l’apprécier. Il faut un tour de main particulier pour hacher les feuilles de corette potagère qui en constituent la base. Elles sont jetées au dernier moment dans un bouillon, auquel ont été ajoutés quelques gousses d’ail et du coriandre pilé, revenus dans du beurre. Cette soupe verte est accompagnée de riz, de viande ou de poulet, d’oignon, de vinaigre et de pain sec, mais pas n’importe comment : chaque convive dispose les différents ingrédients dans son assiette selon un rituel personnel. Manger la molokheya s’apparente à une liturgie.”
(Dictionnaire amoureux de l’Égypte, Plon, 2001)
- À table ! La molokheya n’attend pas.
Georges bey avait déjà pris sa place. En face de lui, le Père André, soutane noire en hiver, blanche en été, les mains jointes et les yeux mi-clos, obtenait un moment de silence pour demander au Seigneur de nous bénir, de bénir ce repas et ceux qui l’avaient préparé. On se signait, puis le flot de paroles, de rires et de cris reprenait de plus belle, à la table des grands comme à celle des petits.
Le rituel de la molokheya commençait. En attendant les soupières, chacun formait un monticule de riz dans son assiette creuse. Il y faisait un trou, au sommet, pour y déposer une ou deux cuillerées d’oignons hachés au vinaigre. Ensuite, nos routes se séparaient. Les enfants de Lola versaient d’abord la soupe fumante aux parfums d’ail et de coriandre. Nous, les Yared, nous n’aurions à aucun prix accueilli la molokheya sans avoir garni au préalable notre assiette des autres ingrédients : morceaux de viande ou de poulet et lamelles de pain sec grillé. C’étaient deux écoles inconciliables.” (Une Soirée au Caire, Le Seuil, 2000)
سفرة دايمه
MC
Un cordial merci à Robert Solé qui a autorisé “Égypte actualités” à reproduire des extraits de ses deux ouvrages mentionnés ci-dessus.
SourcesVoyages culinaires
Bonjour,
RépondreSupprimerPuisque vous nous citez, pouvez vous ajouter un lien (même en nofollow) sur notre site https://www.recettes-et-terroirs.com ou même sur la recette elle-même : https://www.recettes-et-terroirs.com/molokheya-soupe-egyptienne/ Merci d'avance