Ce masque funéraire suscite une intense et troublante émotion… Ce visage féminin, empreint d'une absolue sérénité, donne l'impression d'avoir atteint la "quête finale" et la plénitude qu'elle confère …
Le regard, attentif et profond, semble nous contempler, empli de l'au-delà pour lequel il est destiné … … "Les yeux présentent une forme allongée : le contour et les sourcils sont faits de pâtes de verre bleue qui imitent le lapis-lazuli ; le blanc des yeux est en albâtre et la pupille en pâte de verre noire. Sur les commissures intérieures, une légère touche de peinture rouge confère au regard un air de naturel et de vivacité" analyse avec sensibilité Francesco Tiradritti dans "Les merveilles du Musée Égyptien du Caire".
La perruque, importante sans être imposante, est rejetée derrière les oreilles. Striée verticalement de manière régulière, elle est ornée d'un diadème à décor floral, une fleur de lotus s'ouvrant délicatement sur le milieu du front.
Le nez est court et bien proportionné. Le sourire, à peine dessiné, presque énigmatique, est d'une grande douceur…
Un collier large s'épanouit sur plusieurs rangs d'élégants pendentifs ou perles aux somptueuses couleurs. "Composé de motifs géométriques et floraux polychromes, il recouvre la poitrine, selon une habitude que l'on retrouve sur d'autres sarcophages. Le signe hiéroglyphique doré nefer est répété sur un fond bleu autour du cou, suivi par un motif de palmettes et aux rangs suivants de motifs floraux plus stylisés. Le dernier rang, qui délimite le masque, est constitué de perles en forme de goutte".
Haut de 40 cm, il est large de 38 cm. "Ce masque de tissu stuqué est revêtu d'une mince feuille d'or. Brisé en deux parties, il était entièrement recouvert d'un fin voile qui fut enlevé en 1982 par le restaurateur. Des fragments du voile noircis par le temps restent collés sur la perruque et sur le pectoral" (Francesco Tiradritti).
Tout en protégeant la partie supérieure du corps, le masque funéraire devait refléter une image éternellement jeune du défunt. Dans "L'or des pharaons", Christiane Ziegler apporte cette intéressante analyse : "S'il éternise les traits du défunt, il lui garantit également l'accès à l'au-delà. Dans leur langue poétique, les chapitres 531 des Textes des Sarcophages et 151 B du Livre des Morts, inscrits sur certains masques funéraires, assimilent en effet les différentes parties de la tête du défunt à des divinités qui lui permettront d'arriver à bon port. Cette protection magique est renforcée par la splendeur de l'or, 'chair des dieux' et émanation du soleil"…
Ce qui est avéré, c'est qu'ils étaient les parents de la reine Tiyi, épouse bien aimée d'Amenhotep III, et, par là-même, beau-père et belle-mère de ce puissant pharaon qui a régné sur les Deux Terres pendant plus de trente ans. Ils se trouvent ainsi, de fait, être les grands-parents d'Amenhotep IV - Akhenaton…
Après étude des techniques d'embaumement, il apparaît qu'ils sont morts à quelque temps d'intervalle. Dans "The tomb of Iouiya and Touiyou : the finding of the tomb", Theodore M. Davis, Gaston Maspero et Percy Newberry estiment que : "D'après la position relative des deux sarcophages dans la tombe, il semblerait que le mari ait été le premier à mourir". Cet avis n'est pas partagé par Nicholas Reeves qui "laisse entrevoir la possibilité que Yuya soit décédé après sa femme".
Leur demeure d'éternité a été retrouvée en février 1905 par James Edward Quibell, lors de fouilles financées par Theodore Monroe Davis, un richissime homme d'affaires et avocat de Newport qui, sur le tard, se consacra à l'égyptologie. Les excellents rapports qu'il entretenait avec Gaston Maspero - qui était alors à la tête du Service des Antiquités - lui avaient permis d'obtenir, dès 1902, la concession de la nécropole royale, concession qu'il conservera pendant une dizaine d'années.
Située entre les tombes KV3 (attribuée à l'un des fils de Ramsès III) et KV 4 (Ramsès XI) "dans la branche sud-est de l'oued principal de la vallée", elle sera référencée "KV 46". Elle "se compose d'un escalier d'entrée, d'un couloir menant à une descente en escalier et d'une chambre funéraire. Les murs de la tombe n'étaient ni lissés, ni plâtrés ni décorés" (source "Theban Mapping Project"). Elle s'avérera avoir été pillée au moins deux fois dans l'antiquité, voire même peut-être trois...
Gaston Maspero, qui se trouve être de passage à Louqsor, assistera à la découverte. "L'ouverture pratiquée par les voleurs (de l'antiquité) était trop haute et trop petite pour permettre à M. Maspero d'y passer sans risquer de se blesser. Avec nos seules mains nues nous enlevâmes les assises supérieures. Après avoir introduit nos têtes et nos bougies dans la salle, M. Maspero et moi vîmes alors briller de l'or sur des meubles que nous ne pûmes identifier. Ce spectacle nous encouragea à tenter d'entrer sans plus attendre. Je parvins à escalader le mur et me retrouvai dans le chambre sépulcrale. Avec beaucoup de difficultés nous aidâmes M. Maspero à franchir l'obstacle puis M. Weigall nous rejoignit" ("The tomb of Iouiya and Touiyou : the finding of the tomb").
James Edward Quibell nous livre ce merveilleux récit : "Imaginez-vous entrer dans une maison qui est demeurée fermée pendant tout l'été, imaginez-vous la pièce étouffante, l'apparence figée et silencieuse des meubles, avec ce sentiment de déranger les occupants fantomatiques des chaises vides, et ce désir d'ouvrir les fenêtres, afin de laisser à nouveau entrer la vie. C'était peut-être cela que nous ressentions le plus fort, alors que nous étions vraiment abasourdis et regardions autour de nous les reliques de la vie d'il y a plus de trois mille ans, presque aussi intactes que lorsqu'elles honoraient le palais du prince Yuaa. Trois fauteuils furent peut-être les premiers objets à attirer notre attention... Des coffrets, d'une fabrication exquise, se trouvaient dans diverses parties de la pièce, certains reposant sur des pieds délicatement ouvragés… Là, dans le coin le plus éloigné, placé sur le haut d'un bon nombre de grands pots blancs, se tenait le char léger que Yuaa avait possédé de son vivant."
Les momies du couple avaient été sorties de leurs cercueils afin d'être plus facilement dépouillées de leurs bijoux. "Les corps étaient si bien conservés qu'il semblaient simplement endormis et prêts à s'éveiller d'un moment à l'autre. Le vieux couple fixait les visiteurs d'un air paisible…".
La tombe livrera un magnifique mobilier funéraire, des bijoux, des scarabées et des sceaux, de la vaisselle, des instruments de musique, des statues…
Référencés de 51001 à 51191 au "Catalogue Général des Antiquités Egyptiennes du Musée du Caire - Tomb of Yuaa and Thuiu" publié en 1908, ce sont ainsi près de 200 artefacts qui sont présentés et décrits
Cet ensemble était, il faut le reconnaître, "un peu à l'étroit" dans la salle 43 du musée de Tahrir : avec le départ du trésor de Toutankhamon vers le Grand Egyptian Museum, il dispose désormais d'un véritable espace qui permet sa réelle mise en valeur …
L'histoire - et "l'éternité" même - réservent des surprises … Les arrière-grands-parents de Toutankhamon s'installent ainsi dans la place laissée vacante par ... leur arrière-petit-fils …
marie grillot
sources :
Theodore Monroe Davis, Gaston Maspero, Percy Edward Newberry, Howard Carter, The Tomb of Iouiya And Touiyou, London, Archibald Constable and Co.. Lt, 1907
https://archive.org/stream/tombofiouiyatoui03davi/tombofiouiyatoui03davi_djvu.txt
https://archive.org/details/tombofiouiyatoui03davi
James Edward Quibell, Tomb of Yuaa and Thuiu, Impr. de l'Institut français d'archéologie orientale, Le Caire, 1908
https://archive.org/details/tombofyuaathuiu00quib
John Romer, Histoire de la Vallée des Rois, Vernal - Philippe Lebaud, 1991
Nicholas Reeves, Richard H. Wilkinson, The complete Valley of the kings, The American University in Cairo Press, 1996
Mohamed Saleh, Hourig Sourouzian, Catalogue officiel du Musée Egyptien du Caire, Verlag Philippe von Zabern, 1997
Francesco Tiradritti, Trésors d'Egypte, Les merveilles du musée égyptien du Caire, Gründ, 1999
National Geographic, Les Trésors de l'Egypte ancienne au musée égyptien du Caire, 2004
Christian Leblanc, Reines du Nil, La bibliothèque des introuvables, 2009
Pierre Tallet, 12 reines d'Egypte qui ont changé l'histoire, Pygmalion, 2013
Christiane Ziegler, L'or des pharaons - 2500 ans d'orfèvrerie dans l'Egypte ancienne, Catalogue de l'exposition de l'été 2018 au Grimaldi Forum de Monaco, Hazan, 2018
Theban Mapping Project
http://www.thebanmappingproject.com/sites/browse_tomb_860.html
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