Cédric Gobeil, devant une aquarelle de Howard Carter |
Cédric Gobeil est, depuis le 1er octobre 2016, le nouveau directeur de l'Egypt Exploration Society où il succède à Chris Naunton.
Ce jeune docteur en égyptologie d'origine québécoise est déjà riche d'un long et beau parcours professionnel. Après de brillantes études à l'Université du Québec à Montréal, il y a ensuite assumé des postes dans la recherche et l'enseignement. En 2008, alors qu'il a rejoint La Sorbonne à Paris, il soutient brillamment sa thèse sur un sujet on ne peut plus engageant : "Modes et domaines d'expression de la joie au quotidien en Égypte ancienne".
La même année, il intègre l'IFAO où il travaille sur de nombreux sites des missions françaises : Coptos, Balat-Ayn Asil… Il est également très actif dans le "Great Hypostyle Hall Project" au temple de Karnak. Il est ensuite nommé directeur de la mission archéologique française à Deir el-Medina, un endroit auquel il est particulièrement attaché. Il y a d'ailleurs découvert, il y a peu, une "momie tatouée" qui a fait la "une" des journaux.
Désormais à la tête d'une historique et prestigieuse institution, malgré un emploi du temps bien "chargé", Cédric Gobeil a accepté de consacrer du temps à "Égypte actualités", afin de nous permettre de mieux le connaître et de mieux appréhender le rôle qu'a, aujourd'hui, l'Egypt Exploration Society. Qu'il en soit sincèrement remercié !
Égypte actualités : Cédric, vous voici directeur de la plus ancienne société d'égyptologie mondiale : l'Egypt Exploration Society, créée en 1882 par Amelia Edwards (romancière) et Reginald Stuart Poole (British Museum). Elle s'appelait, à l'origine, l'Egypt Exploration Fund et son but était de lutter contre la dégradation des monuments en subventionnant notamment le service de conservation des antiquités. Son rôle a été immédiatement reconnu… et efficace?
Cédric Gobeil : Les archives de l’EES comptent des dizaines de milliers de documents que les chercheurs internationaux peuvent venir étudier pendant toute l’année. Plusieurs de ces documents sont en fait des lettres échangées entre les différentes personnalités de l’époque impliquées dans le travail de terrain en Égypte, dont Petrie, Naville, Amelia Edwards elle-même, etc. Le contenu de ces lettres montre que l’EES (EEF à ce moment) a été très tôt reconnu comme le seul organisme britannique capable de poursuivre officiellement l’exploration des monuments et leur conservation, au même titre que ce que faisaient les Français ou les Allemands. Très vite, à travers et grâce à l’EEF, fondé en 1882, la Grande-Bretagne fut reconnue comme l’un des intervenants majeurs en égyptologie, ce qu’elle est encore d’ailleurs.
Le bureau de Londres de l'EES |
ÉA : Pouvez-vous nous expliquer quelle est, aujourd'hui, l'organisation de l'EES : sa gouvernance, ses "trustees", son équipe, ses implantations ? Elle est basée à Londres et a, je crois, un bureau au Caire ?
CG : Le bureau principal de l’EES est à Londres dans le beau quartier de Bloomsbury. Quatre personnes y sont employées à temps plein : moi-même le directeur, Carl Graves notre responsable développement et responsable des archives, Jan Geisbusch notre responsable des publications, et Joe Shah notre responsable des finances. Au Caire, nous possédons un bureau dans les locaux du British Council où travaille un employé, Essam Nagy, responsable du lien entre le bureau de Londres et le ministère des Antiquités en Égypte. Nous cinq sommes chapeautés par un conseil d’administration, le Board of Trustees, composé d’une quinzaine de membres incluant des égyptologues, des avocats, des financiers, des professeurs, autant de domaines utiles au bon fonctionnement de notre société.
Cédric Gobeil et Essam Nagy, au Caire |
ÉA : Quelles sont ses principales activités : préserver les sites ? Financer des fouilles ? Sur quels critères? Sur quels chantiers ? Uniquement en Égypte ?
CG : L’EES finance la recherche et les fouilles partout en Égypte et au Soudan depuis 135 ans. Le travail de terrain est notre priorité absolue et doit pouvoir apporter de nouvelles informations sur la culture égyptienne et soudanaise. Durant la première moitié de l’existence de la société, l’accent était mis sur l’exploration des sites, mais depuis quelques décennies, nous nous efforçons d’inclure la mise en valeur des sites dans nos projets afin de pérenniser les monuments mis au jour pour les générations futures. La stratégie de recherche récente de l’EES s'est surtout concentrée sur le développement de l’archéologie du paysage, les changements environnementaux et l'interaction humaine dans le delta du Nil, la vallée du Nil, et le Soudan. Tout notre travail sur le terrain est principalement financé par la générosité de nos membres et donateurs.
ÉA : L'EES emploie-t-elle ses "propres" égyptologues ? Ou fait-elle appel à des chercheurs sur des thèmes précis ? Met-elle en place de nombreuses collaborations avec des missions internationales aussi ?
CG : L’EES fait appel à des égyptologues œuvrant dans le milieu universitaire ou muséal britannique. À ces derniers, s’ajoutent un certain nombre d’intervenants extérieurs, britanniques ou non, spécialisés dans un domaine particulier ou une technique particulière utile aux sujets étudiés sur le terrain. À ce titre, l’EES travaille en partenariat avec de nombreuses autres institutions internationales sur des projets en Égypte et au Soudan. Citons par exemple le site de Tell el-Basta où l’EES travaille en collaboration avec l’Université de Göttingen.
ÉA : L'EES organise-t-elle des conférences ? des manifestations ? Publie-elle également des revues, des ouvrages ?
CG : Annuellement, l’EES organise environ une dizaine de conférences à Londres, dont deux journées d’études articulées autour d’un thème central. La société est également responsable d’une série de cinq cours hebdomadaires dispensés dans ses locaux de Londres et du Caire. Elle rejoint ainsi à la fois le public anglais et égyptien. Afin de rendre compte de nos travaux et de ceux de nos collègues, nous publions annuellement un volume du "Journal of Egyptian Archaeology" (JEA) et deux numéros de la revue "Egyptian Archaeology" (EA).
ÉA : L'EES doit avoir une riche bibliothèque, de magnifiques archives. Avez-vous eu le temps de vous consacrer à leur consultation ? Et si oui, quels sont les ouvrages les plus rares, les plus intéressants ?
CG : La bibliothèque de l’EES, qui compte près de 22.000 notices, est une collection accumulée au fil du temps et ne figurait donc pas dans la formation d’origine de la société. Elle a surtout été constituée récemment grâce au legs du professeur Ricardo Caminos, dont elle porte le nom aujourd’hui. Mes fonctions actuelles ne me permettent cependant pas d’en profiter comme je le voudrais… Nos archives comptent plus de 30.000 références et incluent des plans, des dessins, des photographies, des plaques de verre, des cahiers de notes, des journaux de fouilles, etc. Toutefois, les documents les plus extraordinaires que nous possédons sont sans doute une série d’aquarelles originales peintes par le célèbre Howard Carter, toutes réalisées avant sa découverte de la tombe de Toutankhamon.
ÉA : Vous succédez à des égyptologues prestigieux, comme Edouard Naville, ou bien encore Matthew Flinders Petrie… Cela suscite, j'imagine, beaucoup d'émotion… et cela met "la barre très haute" ?
CG : En effet. J’avais déjà été dans cette position lorsque j’ai pris la tête du chantier de Deir el-Medina en 2011. Cette fois-ci, c’est plus qu’un simple chantier, c’est une institution entière. Cela force au respect. J’ai pour mission de maintenir le niveau et le cap donné par mes prédécesseurs et cela ne peut se faire qu’avec une équipe solide. J’ai justement la chance d’être entouré par des gens très compétents et c’est nous tous ensemble que nous parviendrons à atteindre nos objectifs.
ÉA : Après plus de deux mois d'activités, comment vous sentez-vous au sein de cette vénérable institution ?
CG : C’est tout un honneur qui m’a été fait. J’ai été, et je suis encore, très flatté de pouvoir me mettre au service d’une si vieille société d’égyptologie et de pouvoir continuer à œuvrer pour les antiquités de l’Égypte. La mise en perspective de nos travaux permet toutefois de garder en tête l’idée que nous apportons notre petite pierre à un plus grand édifice qui n’aura jamais de cesse de se construire.
ÉA : Ce poste à hautes responsabilités signifie-t-il que vous aurez plus de travail administratif et moins, disons, "les mains dans le sable" ? Est-il possible, voire difficile, de "doser" de façon satisfaisante les deux aspects ?
CG : Sans que cela soit une critique - j’adore ce que je fais -, il est vrai que la direction de l’EES m’impose de me consacrer désormais beaucoup plus à la gestion de la recherche qu’à la recherche en tant que telle. Cependant, les activités de la société étant centrées en Égypte, j’ai et j’aurai de nombreuses occasions d’y retourner pour y travailler et même d’y continuer mes propres projets scientifiques, mais avec un peu moins de temps qu’auparavant… Grâce à la connexion à internet, je ne suis jamais trop loin de mon bureau de Londres.
ÉA : Quel est le souhait le plus profond que vous formulez pour le présent et l'avenir de l'institution que vous dirigez ?
CG : Mon souhait le plus cher est d’amplifier la présence et le champ d’action de l’EES en Égypte afin de répondre aux besoins grandissants de l’archéologie égyptienne. Éducation, mise en valeur, étude, et protection, sont les enjeux actuels pour lesquels notre institution doit agir. J’aimerais, en ce sens, que l’EES continue de s’affirmer comme l’une des institutions étrangères incontournables en Égypte.
propos recueillis par marie grillot
site internet de l’EES
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