mercredi 14 décembre 2016

Lumière sur le phare de Ras el-Tin


En 1303, suite à un tremblement de terre, le célèbre Phare d’Alexandrie s’effondre, après quelque seize siècles de bons et loyaux services. Pour suppléer la fonction utilitaire de ce célèbre édifice, il faudra attendre les projets audacieux du “fondateur de l’Égypte moderne”, Méhémet Ali. Soucieux de : "ramener l'Égypte à son antique splendeur", le vice-roi ordonne la construction de quatre phares dans le périmètre d’Alexandrie pour aider les navigateurs dans leur approche des côtes égyptiennes : Mex High, El-Agami, Ras el-Tin et Mex Old, les trois premiers étant toujours fonctionnels. Suivront, au début du XXe siècle, deux autres phares, également fonctionnels jusqu’à ce jour : Mex Low et celui de Montazah Palace.

"Chacun sait que toute la plage de l'Égypte est extrêmement basse, commente en 1840 Antoine B. Clot-Bey, et qu'on peut à peine l'apercevoir de jour à trois lieues de distance ; aussi l'impossibilité où se trouvent souvent les navires de s'éloigner à temps des côtes amène de fréquents naufrages. L'établissement d'un feu de premier ordre était donc vivement réclamé par les intérêts du commerce et de l'humanité."
Flèche : emplacement du phare

Laissons-nous donc guider par l’un de ces repères lumineux : le phare de Ras el-Tin (le "Cap des figuiers"), auquel Clot-Bey fait directement référence, et que d’aucuns pensent avoir été construit à l’emplacement de l’un des obélisques d’Alexandrie (nous n’avons pas été en mesure de confirmer ou infirmer cette donnée).

Ce "Grand Phare" est construit en 1842 par Mohamed Mazhar Pacha, tout juste de retour de France où il a étudié le génie et les mathématiques durant dix années. Il sera opérationnel en 1844. Il prend place dans un projet de rénovation du port d’Alexandrie, compte tenu du souhait de Méhémet Ali de créer une Marine puissante et bien équipée. Il marque l'entrée du port occidental de la ville, dans le quartier général de la Marine égyptienne, non loin du Palais présidentiel de Ras el-Tin, ces zones n’étant accessibles aujourd’hui, est-il besoin de le préciser, que sur autorisation spéciale limitée.

Formé d'une tour cylindrique en pierre de 49 m de haut et de 9.30 m de diamètre, il comporte une surélévation de 6 m pour accueillir la lanterne et une galerie. Le sommet peut être atteint par un escalier en spirale et, depuis 2000, par un ascenseur.
Les premières photos du phare indiquent qu'il a été construit en pierres apparentes qui, probablement lors de la rénovation de 1919, ont été crépies et peintes en bandes horizontales noires et blanches. Il était initialement entouré par un fort, vraisemblablement détruit lors d’un bombardement britannique d'Alexandrie en 1882.


En 1847, l’égyptologue britannique Sir John Gardner Wilkinson le décrivait comme étant dans une bonne position pour les navires en provenance de l'Europe, mais, poursuivait-il, Méhémet Ali avait commis une erreur de ne pas l’équiper d’une lumière tournante, ce qui aurait pu être réalisé avec un peu plus de dépenses…

Le mécanisme lumineux qui, tout logiquement, sera installé au sommet de la tour est ainsi décrit par la Société royale d’archéologie d’Alexandrie, en 1926 : "La lanterne prismatique a 24 faces tournantes à l'éclairage de vapeur de pétrole et à révolution, les éclats ayant lieu de 20 en 20 secondes ; ils sont visibles à une distance de 20 milles." Une autre source, sans doute non moins “lumineuse”, précise le fonctionnement en ces termes : "Trois éclats blancs, toutes les 30 secondes."
photo "panoramio"

Un détail, toutefois, offusque Clot-Bey : "Il est seulement à regretter qu'on songe à adopter le système vicieux d'éclairage anglais, tandis qu'en Angleterre on commence à lui substituer celui de France, plus avantageux sous tous les rapports. Il faut espérer que Méhémet Ali, éclairé par l'opinion des personnes instruites, renoncera à cette idée et couronnera un travail si remarquable par l'introduction de la belle découverte de Fresnel."

Soixante-cinq années plus tard, le voeu de l’ancien directeur-général du service médical en Égypte, panégyriste de Méhémet Ali, se réalise d’une certaine manière : en 1905, lors d’une restauration du phare, celui-ci est en effet équipé d’un mécanisme d’éclairage mis au point par la société - française - Sauter, spécialiste des techniques appliquées en matière de signalisation maritime et de l’application des “travaux sur la perception des lumières brèves à la limite de leur portée”.

En dépit de ces performances et perfectionnements techniques, nous sommes encore loin du prestigieux édifice dont pouvait et peut encore s’enorgueillir la ville d’Alexandrie : le célèbre “Pharos” qui avait une hauteur de 135 m et un rayon de visibilité sur environ 50 km, même s’il ne s’agit sans doute ici que d’estimations. 

Riche d’un tel patrimoine, passé et plus récent, Alexandrie ne pourrait-elle pas elle aussi se réclamer, à plusieurs titres, de l’appellation de "Ville Lumière" ?

Marc Chartier

sources :
Amicale Alexandrie Hier et Aujourd'hui 
Aperçu général sur l'Égypte, volume 2, par Antoine B. Clot-Bey, 1840 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire