"Si c'est de mon lointain village du Nord que j'ai reçu ma nourriture première, c'est l’Égypte qui a fait éclater les limites de l'homme jeune que j'étais alors - celles du cœur comme celles de l'esprit -, c'est par l’Égypte que j'ai été mis en communication avec la Méditerranée, toute d'intelligence et si humaine, avec un Moyen-Orient qui restera pour moi la terre divine par excellence, avec la mystérieuse et si attachante Afrique qui monte au jour, avec ces terres d'escale qui jalonnent la planète jusqu'à l'Orient-extrême de leurs philosophies et de leurs sagesses. De l’Égypte, en définitive, je tiens mon accomplissement."
Par ces mots, empreints de lyrisme et d’intime reconnaissance, l’écrivain, poète et intellectuel français Fernand Leprette clôt, lors de son allocution pour son départ à la retraite, le 25 juin 1955, un séjour de trente-six années passées dans son pays d’adoption : l’Égypte.
Né le 6 janvier 1890 à Saint-Hilaire-lez-Cambrai (Nord), il y connaît une enfance paysanne, avant de rejoindre Lille et Douai pour ses études. Au cours de la Première Guerre mondiale, il combat dans l'infanterie et l'aviation. Jamais il n’oubliera les champs de bataille, labourés par les obus, et leurs tranchées boueuses.
Pour échapper à ces visions d'horreur, il décide en 1919 de se rendre en Égypte, où il sera détaché comme professeur de français dans les écoles du gouvernement égyptien, à Alexandrie tout d’abord, puis au Caire.
Durant le voyage, il fait la connaissance du journaliste, imprimeur, conférencier et écrivain Morik Brin (de son vrai nom Mauric-Rocher), son futur collaborateur et ami. Avec lui, il lance en 1921 une petite revue littéraire - les "Cahiers de l’Oasis" - qui paraîtra jusqu’en 1923. Ce périodique se donne : "la tâche spéciale d’étudier les caractères de l’âme française contemporaine ; mais elle (ouvre) largement son champ d’investigations, (accueille) toutes les dépositions, étant persuadée que les peuples ont intérêt à se connaître et que la paix universelle est à ce prix. (...) Ceux qui assument la tâche de rédiger cette revue (...) pensent que la Vie, création incessante, est tournée vers l’avenir où se projette un idéal de justice et de liberté, seul capable de susciter leur enthousiasme. Et c’est à côté des bâtisseurs de l’avenir qu’ils viendront, modestement, mais résolument, prendre leur place."
Leprette participe également aux activités de l'Association des Amis de la Culture Française en Égypte fondée en 1925 et dirigée par Morik Brin, ainsi qu’à la vie intellectuelle égyptienne en écrivant pour des journaux francophones, dont la "Semaine égyptienne" pour laquelle il rédige des critiques d'art. Est-il besoin de le rappeler ? L’Égypte est alors sous tutelle anglaise...
En 1929, il est appelé au ministère de l'Instruction publique en qualité d'Inspecteur de l'enseignement du français. Dès lors, jusqu’à sa retraite, il mènera de front ses fonctions dans l'enseignement et sa carrière artistique et intellectuelle, en s’imprégnant du : "spectacle d'une Égypte en pleine mutation” et en “œuvrant tout particulièrement pour le dialogue entre les différentes cultures qui se croisent dans le pays". Il deviendra ainsi ami d’écrivains français venus en Égypte à son invitation (Georges Duhamel, André Gide, Jules Romains...), mais également de nombreux écrivains égyptiens, dont Georges Henein, Taha Hussein, Tawfiq al-Hakim.
Dans son recueil poétique "Chansons de Béhéra", publié en 1935, il traduit les impressions et souvenirs que lui ont laissés ses déplacements administratifs en Égypte, comme professeur, puis inspecteur au ministère de l'Instruction Publique.
En 1939, dans son nouvel ouvrage "Égypte, terre du Nil" : "le delta égyptien, la campagne, les petites gens y occupent bien plus de place que les milieux cosmopolites urbains". L’auteur adopte en outre un ton contestataire, les récits des voyageurs occidentaux ayant, selon lui, fait leur temps. L'Égypte, pense-t-il, n'est guère connue que par les trouvailles des égyptologues et arabisants ou par les récits des voyageurs qui passent ! Il lui a donc semblé plus intéressant et plus utile de : "faire entendre la voix du voyageur qui est resté, a pris le temps de plonger aux racines profondes du pays, et pour qui le pittoresque s'est comme dilué dans une atmosphère devenue transparente".
La retraite venue, Fernand Leprette quitte définitivement l’Égypte. À Boulogne-sur-Seine, il continue de s’occuper de littérature jusqu’à sa mort en 1970.
Depuis 1999, la Bibliothèque Sainte-Geneviève (Paris) est dépositaire d’un "fonds Leprette" qui regroupe l'ensemble des documents réunis par l'intellectuel tout au long de sa vie : monographies, périodiques, archives, manuscrits, correspondance éditoriale et personnelle, notes manuscrites et coupures de presse relatives à l’enseignement du français et à la vie littéraire et intellectuelle francophone en Égypte.
"Je revenais, le coeur saignant, de la bataille
Après avoir jeté, fané, le roseau vert,
Après avoir conduit mes vaines funérailles,
Et nul ne comprenait ce que j’avais souffert.
Pauvre et triste barbare au jeune corps en ruines
Fatigué de porter l’illusion d’agir,
L’ultime illusion, que rongeait la vermine,
Je m’en venais vers toi qui daignais m’accueillir."
Ces vers sont extraits du poème "Ton accueil" où l’on peut, à juste titre, reconnaître l’Égypte. Après les tristes brumes de son pays d’origine, enrobées de nostalgie, et surtout l’enfer d’une guerre meurtrière, Fernand Leprette a découvert, dans la vallée du Nil, de nouveaux horizons faits de soleil, de lumière, de chaleur, de couleurs, d’hospitalité amicale… Féerie de l’Orient ! Magie de l’Égypte !
Marc Chartier
sources :
Wikipedia
Les cahiers de l'Oasis, n° 1
La presse anarchiste ("L'Oasis")
Manuscrits et archives de la Bibliothèque Sainte-Geneviève
"La Semaine égyptienne, de 1926 à 1939 ou la littérature comme ailleurs" , par Daniel Lançon
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