samedi 17 décembre 2016

La bague aux chevaux de Ramsès II : quelle allure !

Bague aux chevaux "de Ramsès II" - or cloisonné, cornaline - Nouvel Empire
Département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre - N 728 - Don de Mehemet Ali à la France, 1827

Deux chevaux fougueux s'élancent côte à côte… Le réalisme de leur allure ainsi que leur position légèrement décalée insufflent un sentiment d'action, une vivacité surprenante...  

Leur corps est bien dessiné, sans lourdeur, leurs membres antérieurs et postérieurs sont élancés. L'ossature de la tête est parfaitement rendue et le poitrail se devine musclé. La crinière, d'un beau volume, est joliment ciselée alors que le pelage, lui, se fait plus discret. Le tapis de selle est délicatement travaillé, apportant le relief nécessaire pour le rendu d'un tissu ou d'un cuir… "L'édicule devant lequel ils semblent hennir, quant à lui, demeure difficile à interpréter" reconnaît Christophe Barbotin dans "Des animaux et des pharaons".

Ces deux "montures" sont en or, ne mesurent qu'un petit centimètre et leur 'piste de course' est… le châton d'une somptueuse bague du Nouvel Empire ! 

Ce chaton, de forme presque ovoïde, généreusement bombé, est en outre merveilleusement enrichi, en ses parties supérieure et inférieure, d'une bordure composée d'une vingtaine de petites perles d'or accolées. Ces "grenailles" cernent respectivement six pétales, faits d'or et incrustés de pierre colorée. La cornaline est majoritairement lacunaire aujourd'hui, mais on peut, avec plaisir, se laisser aller à imaginer l'effet initial que devait rendre ces chevaux foulant un sol de fleurs or et orange.

Le "corps" de la bague est composé de trois anneaux, joints, qui lui confèrent une belle largeur. Ils se terminent "par deux grands lotus épanouis" qui s'ouvrent sur "l'épaule" du bijou.

Son diamètre de 2,2 cm indique qu'elle était destinée à un homme, et, même si aucune inscription ne le cite "nommément", elle est attribuée à Ramsès II. 
Bague aux chevaux "de Ramsès II" - or cloisonné, cornaline - Nouvel Empire
Département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre - N 728 - Don de Mehemet Ali à la France, 1827

Elle se trouve au Louvre à Paris et on ne peut qu'être surpris que, face à un bijou d'une telle originalité, voire même unique en son genre, Jean-François Champollion, n'y consacra qu'une description laconique dans sa "Notice descriptive des Monuments égyptiens du Musée Charles X, 1827" : "Bague en or dite 'aux chevaux', Nouvel Empire, règne de Ramsès II, XIXe dynastie, don de Mehemet Ali en 1827".

Dans sa "Notice sommaire des monuments égyptiens exposés dans les galeries du musée…", publiée en 1855, Emmanuel de Rougé l'interprétera comme : "un souvenir des deux chevaux de Ramsès II ; ce prince les avait consacrés au Soleil, en souvenir de sa victoire, au retour de sa première campagne en Asie".

Quant à Sylvie Guichard, elle donne, sur le site du musée, cette intéressante interprétation : "Il est convenu aujourd'hui, et même plaisant, d'y voir l'attelage qui sauva le pharaon lors de la célèbre bataille de Qadech. Un passage d'un texte connu sous le nom de 'Poème de Pentaour', d'après le nom du scribe qui l'a recopié, atteste de l'attachement particulier que le roi portait à ses chevaux. Ce texte est le récit romancé de la bataille où s'affrontèrent Ramsès II et l'armée hittite, sur les bords de l'Oronte, en l'an cinq de son règne, le neuvième jour du troisième mois d'été. Ce brillant épisode du règne de Ramsès II est connu par neuf versions gravées sur les murs des grands temples, en particulier Abou Simbel, et sur deux papyrus. On y raconte, en particulier, que le roi dut son salut et la victoire à ses courageux chevaux dont les noms sont même cités : 'Victoire à Thèbes' et 'Mout est satisfaite'"...
Bague aux chevaux "de Ramsès II" - or cloisonné, cornaline - Nouvel Empire
Département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre - N 728 - Don de Mehemet Ali à la France, 1827

On ne peut oublier le jugement, plutôt sévère, que porta, sur ce bijou, Gaston Maspero dans "L'archéologie égyptienne" :  : "L'art de l'orfèvre, parvenu au degré de perfection dont témoigne l'écrin d'Ahhotpou (Ahhotep), ne s'y maintint pas longtemps. Les modes changèrent, la forme des bijoux s'alourdit. La bague de Ramsès Il au Louvre, avec ses chevaux posés debout sur le chaton, le bracelet du prince Psar, avec ses griffons et ses lotus en émail cloisonné, sont d'un dessin moins heureux que les bracelets d'Ahmos. Celui qui les a exécutés était, sans contredit, aussi habile que les orfèvres de la reine Ahhotpou ; mais il avait le goût moins fin et l'esprit moins inventif. Ramsès Il était condamné, ou bien à ne jamais porter sa bague, ou bien à voir les petits chevaux qui l'ornaient, s'écraser et tomber au moindre choc."

Mais ne laissons pas ces mots ternir notre admiration… Intéressons-nous plutôt aux "chemins empruntés", depuis l'antiquité, par ces étalons pour passer d'Egypte en France…
Bernardino Drovetti, Charles X, Méhémet Ali

En 1825, Bernardino Drovetti, fils de notables italiens, bonapartiste de la première heure, est consul général de France en Égypte. En témoignage de sa reconnaissance au roi de France Charles X, qui l'a maintenu à son poste malgré son "passé politique", il intervient auprès de Méhémet Ali dont il est très proche, afin de trouver des cadeaux à la hauteur des relations qu'ils souhaitent instituer entre les deux pays. 

C'est ainsi qu'il a la "géniale" idée de lui offrir ... une girafe vivante pour son Jardin des Plantes ainsi que ... "quarante-deux précieux bijoux égyptiens", parmi lesquels se trouvait cette bague… 

Il est à noter que la provenance qui lui était initialement attribuée - à savoir le Sérapeum - semble ne plus pouvoir être acceptée aujourd'hui. En effet, le Sérapeum n'a été découvert par Auguste Mariette qu'en novembre 1851, soit plus d'un quart de siècle plus tard… 


Si le lointain passé de cette bague demeure encore incertain, une nouvelle page de son histoire s'est écrite au XIXe siècle.
Pierre Martinet - Attaque du Louvre en 1830
Photo (C) RMN-Grand Palais / Agence Bulloz.

En juillet 1830, lors des Trois Glorieuses, alors que la France se soulève pour déposer Charles X, les insurgés envahissent les rues de Paris et menacent le Louvre. Jean-François Champollion, qui est alors conservateur de la division des antiquités égyptiennes, est tétanisé par ce qui peut arriver à ses précieux objets et œuvres d'art. Il tente d'organiser leur sauvegarde, mais les mesures de protection s'avéreront malheureusement insuffisantes. 
Bague aux chevaux "de Ramsès II" - or cloisonné, cornaline - Nouvel Empire
Département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre - N 728 - Don de Mehemet Ali à la France, 1827
(C) Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Christian Decamps

Ainsi dans "La moisson des dieux", Jean-Jacques Fietcher raconte que les pilleurs n'épargnèrent pas "les galeries du Musée égyptien, fracturant les vitrines, brisant les objets et en emportant d'autres. Les bijoux fournis par Drovetti furent les premiers volés, mais bien d'autres pièces précieuses disparurent ainsi, à tout jamais."

Et il poursuit ainsi : "Le jour même du pillage, un véritable 'souk aux voleurs' s'était tenu sur la place du Châtelet, où l'on vendait principalement les armes anciennes enlevées au musée de l'Artillerie, mais aussi bien d'autres pièces de valeur. Champollion et Dubois avaient été autorisés à accorder une indemnité aux personnes qui rapporteraient des objets 'enlevés' qu'elles auraient achetés 'de bonne foi'. C'est ainsi que le Musée égyptien récupéra pour 600 francs un collier et différentes autres pièces…".
Bague aux chevaux "de Ramsès II" - or cloisonné, cornaline - Nouvel Empire
Département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre - N 728 - Don de Mehemet Ali à la France, 1827

Et notre bague, que devient-elle dans ce tourbillon révolutionnaire ? Dans quelles mains est-elle arrivée ? Le destin lui fut propice. C'est un honnête citoyen, un certain "M. Lebon, horloger, qui rapporta à la Direction du Musée une bague en or ornée de deux chevaux en relief, qui lui avait été remise par un de ses apprentis". 

Les chevaux avaient ainsi gagné une nouvelle victoire ! Ils étaient revenus au Louvre ... où ils demeurent exposés, dans l'Aile Sully (salle 641), sous  le numéro d'inventaire N 728.  

marie grillot

sources :
Bague aux chevaux
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010011417
Jean-François Champollion, Notice descriptive des monumens égyptiens du Musée Charles X, Paris, Imprimerie de Crapelet, 1827, p. 83, K. 290 à 292
Emmanuel de Rougé, Notice sommaire des monuments égyptiens exposés dans les galeries du musée du Louvre, Imp. Simon Raçon et Comp., Paris, 1855, p. 63
https://books.google.fr/books?id=O9FyMPDIlCQC&pg=PA64&dq=bijoux+égyptiens+musée+du+louvre&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiiyuKGs4ntAhUixYUKHXI5CVsQ6AEwAnoECAkQAg#v=onepage&q=BAGUE&f=false
Gaston Maspero, L'archéologie égyptienne, A. Quantin Editeur, Paris, 1887, p. 314
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k331686/f315.image.r=chevaux
Jean-Jacques Fiechter, La moisson des Dieux, Julliard, 1994
Guillemette Andreu, Marie-Hélène Rutschowscaya, Christiane Ziegler, L’Egypte au Louvre, Hachette, Paris, 1997, p. 145
https://books.google.fr/books?id=VWcOCgAAQBAJ&pg=PT183&dq=bague+aux+chevaux+louvre&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjtvvint87QAhWDQBQKHUlBAQ0Q6AEIRDAE#v=onepage&q=bague%20aux%20chevaux%20louvre&f=false
Hélène Guichard, Des animaux et des pharaons, le règne animal dans l'Egypte ancienne, catalogue exposition itinérante Louvre-Lens, Madrid, Barcelone, Paris, Somogy éditions d'art, 2014, p. 173


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