samedi 5 novembre 2016

Une mission espagnole sur les traces du vizir Amenhotep-Huy


Francisco Jose Martin Valentin et Teresa Bedman, responsables de la mission
de l’Institut d’études sur l’Égypte ancienne de Madrid - photo marie grillot


En ce mois d'octobre 2016, la nécropole d'Assassif, sur la rive ouest de Louqsor, est écrasée d'un lourd soleil… Entre la maison de fouilles de la mission polonaise et le temple de Deir el-Bahari, un nuage de poussière signale l'activité intense d'un chantier de fouilles. Des dizaines d'ouvriers se passent, de main en main, des sacs de cuir noir emplis de déblais. Leur travail est rythmé par un chant, repris en cœur et donnant la cadence.

Forte de 38 spécialistes, et de 'gournawis' recrutés sur place, la mission de l’Institut d’études sur l’Égypte ancienne de Madrid est arrivée le 10 octobre, pour une saison de fouilles de trois mois. 

Elle poursuit les travaux débutés il y a quelques années déjà, dans la Tombe en Assassif nº -28-, d'Amenhotep-Huy, vizir durant le règne de Amenhotep III (1391 - 1353 av. J.-C.). 

Francisco Jose Martin Valentin et Teresa Bedman, responsables de cette mission, ont à cœur de restituer, par leurs recherches et leurs études, l'histoire de ce haut personnage et d'enrichir les données sur la période durant laquelle il a "régné".
statue d'Amenhotep III - musée de Louxor 

Le rôle de ce vizir, nous le verrons, a été vraisemblablement très important car il s'inscrit dans la période charnière si particulière de la corégence entre le pharaon et son fils, Amenhotep IV, futur Akhénaton.
Statue d'Amenhotep IV - Akhenaton

Francisco José Martin Valentin a accepté de répondre aux questions d' "Égypte actualités" et nous le remercions vivement. 

Égypte actualités : Après avoir longtemps fouillé la tombe de Senenmout à Deir el-Bahari (TT 353), vous vous consacrez à Amenhotep-Huy et à sa demeure d'éternité. Depuis quand - et comment - tentez-vous de "redonner vie" à ce haut personnage ?
Francisco José Martin Valentin - photo marie grillot

Francisco José Martin Valentin : Nous avons débuté nos fouilles en 2009 et commençons donc notre neuvième saison. Cette tombe a été référencée par Herbert Eustis Winlock qui a fouillé la plaine d'Assassif. Puis elle a été numérotée AT nº -28- par Friederike Kampp dans le "Catalogue des nécropoles thébaines". En 1978, Andrew Gordon de l'Université de Californie l'a identifiée comme étant celle d'Amenhotep-Huy. Cette tombe, inachevée, n'avait cependant jamais été fouillée jusqu'à présent. Elle était enfouie sous les déblais provenant principalement des excavations entreprises dans le secteur environnant, principalement dans la tombe de Khérouef (TT 192) toute proche.
Nous axons nos travaux dans deux directions : le nettoyage, qui constitue un travail immense tant les m³ de déblais à évacuer sont importants, et la reconstitution de la chapelle.

ÉA : Que savez-vous, aujourd'hui, d'Amenhotep-Huy ? Que révèlent vos travaux ?

FJMV : Amenhotep-Huy était un personnage très important. Il a tout d'abord - vraisemblablement - été, vizir (tchaty) du nord, puis a été nommé vizir du sud. On peut assimiler son rôle à celui d’un Premier Ministre du roi. 
Son arrivée à Thèbes est datée de l'année 30 du règne d'Amenhotep III, année du jubilé du pharaon (fête de heb sed). Il serait resté à Thèbes 5 ans et aurait commencé la construction de sa tombe l'année 28. Les travaux semblent avoir été arrêtés deux années plus tard. Ce qui explique l'état non abouti dans laquelle elle se révèle aujourd'hui.
L'étude de ce personnage peut nous apprendre beaucoup car il a exercé ses fonctions dans une période très particulière : celle de la corégence des pharaons Amenhotep III et Amenhotep IV, un moment éminemment important. Une période où le culte d'Amon sera délaissé pour celui d'Aton, où Thèbes sera délaissée pour Akhetaton.
Vue générale de la tombe d'Amenhotep-Huy AT nº -28-
photo I.E.A.E. ( Instituto de Estudios del Antiguo Egipto)

ÉA : La tombe est restée inachevée, les travaux ont été stoppés. Peut-on, actuellement, déterminer pourquoi ? 

FJMV : La tombe est très grande, sa cour a une superficie de plus de 480 m². Dans la chapelle de 380 m² se trouvaient trois rangées de dix colonnes. Seules deux sont restées debout, ce qui permet actuellement la restauration des autres par anastylose.
Nous ne sommes pas en mesure de dire de façon certaine pourquoi le chantier fut arrêté… Ce que l'on sait, c'est qu'Amenhotep-Huy était clairement "un homme d'Amon" et la nouvelle religion prônée par le futur pharaon ne pouvait pas lui convenir. Peut-être a-t-il refusé de se plier et a-t-il subi des persécutions parce qu'il n'a pas voulu adopter le culte d'Aton ?

ÉA : Nous n'oublions pas qu'en 2015, votre mission a fait la "une" des journaux avec une belle découverte. 

FJMV : Effectivement, nous avons retrouvé, caché dans la roche, le sarcophage, très bien conservé, d'un grand prêtre d'Amon Re de la XXIIe dynastie. La momie reposait encore à l'intérieur. Mais curieusement, parfois, une simple inscription peut nous apporter, à nous égyptologues, beaucoup plus. Et c'est le cas pour cette tombe. Sur quatre colonnes nous avons retrouvé des informations et des cartouches confirmant la présence concomitante au pouvoir d'Amenhotep III et Amenhotep IV. Cela constitue une véritable découverte qui nous permet de mieux dater la période de la corégence
intérieur de la tombe d'Amenhotep-Huy - AT nº -28-
photo I.E.A.E. ( Instituto de Estudios del Antiguo Egipto)

ÉA : L’Institut d’études sur l’Égypte ancienne de Madrid est un institut privé, reconnu par le gouvernement égyptien, qui donne des cours d'égyptologie à Madrid d'une part et, d'autre part, a réussi à constituer une mission composée de grands spécialistes. Quels sont-ils ? 

FJMV : Notre mission archéologique comprend 38 professionnels : égyptologues, archéologues, restaurateurs, anthropologues, architectes et épigraphistes. Nous recevons également l'aide de l'architecte de la Mission archéologique française de Thèbes Ouest. Nous travaillons aussi, bien sûr, avec des ouvriers locaux, parmi lesquels notre reis Mohamed Salem, et l'un de ses fils, qui est notre sculpteur, Mahmoud Salem, ainsi qu'avec Ahmed Bagdahdi, directeur de restauration dans notre équipe. Il se consacre actuellement à la reconstitution des colonnes. Deux sont déjà refaites et nous donnent une idée de ce que la tombe aurait pu être...
membres de la mission 2016
photo I.E.A.E. ( Instituto de Estudios del Antiguo Egipto)

Une grande partie de l'histoire d'Amenhotep-Huy reste encore à écrire… Et nous pouvons être assurés que la mission de l’Institut d’études sur l’Egypte ancienne de Madrid y travaille avec un grand professionnalisme et une immense compétence.

propos recueillis par marie grillot

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