jeudi 10 novembre 2016

L'école de taille de pierre de Gournah


Le 4 novembre 2016, le Dr Khaled el-Anani, ministre des Antiquités égyptien, était en visite à Louxor. Son emploi du temps très "serré" ne lui a malheureusement pas permis de visiter l'école de taille de pierre - initiée à Gournah, en 2015, par Marie-Christine Gerber - consul de France à Louxor -, initiative pour laquelle il avait manifesté le plus vif intérêt.
Ainsi, c'est une délégation d'officiels qui est venue sur place en matinée. Elle a pu apprécier, en présence des élèves, la qualité de la formation dispensée.
Dans le discours qu'il a prononcé en fin d'après-midi, au musée de Louxor, devant le ministre, l'ambassadeur de France, M. André Parant, n'a pas manqué de saluer la qualité de ce projet, de sa mise en œuvre, et de rappeler le grand intérêt de cette formation.
C'est grâce à des fonds suisses, apportés par la "Fondazione Teofilo Rossi de Montelera", que cette initiative, très originale, a pu se concrétiser.
Son objectif est double : d'un côté, donner un métier à de jeunes hommes de la région et de l'autre, disposer, sur place, d'une main-d'œuvre qualifiée. En effet, Louxor - avec ses rives est et ouest - constitue un véritable musée à ciel ouvert où les temples succèdent aux temples qui succèdent aux tombes. Chaque année, les missions archéologiques - le plus souvent étrangères - viennent étudier, en étroite collaboration avec leurs homologues égyptiens, ce très riche patrimoine. Si les équipes arrivent avec leurs spécialistes, elles recrutent, sur place, une importante main-d'œuvre locale pour les "simples" travaux de fouilles. Mais aujourd'hui, les fonds dont elles disposent étant en constante régression, l'idée d'employer une main-d'œuvre locale plus qualifiée, telle que les tailleurs de pierre, ne peut que les séduire.
La première "promotion" de tailleurs de pierre s'est terminée en avril 2016, et la seconde vient de débuter fin octobre.
Marie-Christine Gerber a accepté de répondre à nos questions sur la naissance et la concrétisation du projet, puis elle a laissé la parole à l'un des enseignants, Mathieu Kibler, pour la partie pratique.
Nous les remercions bien sincèrement du temps qu'ils ont consacré à “Égypte actualités”.





Égypte actualités : Comment l'idée vous est-elle venue de mettre sur pied cet important projet? Et ensuite, les différentes étapes entre le projet et sa concrétisation ont-elles été longues ? Les financeurs ont-ils été difficiles à convaincre ou l'idée les a-t-elle séduits d'emblée?
Marie-Christine Gerber
Marie-Christine Gerber : J'ai fait l'étonnant constat qu'il n'y avait pas, dans le sud de l’Égypte, d'école existante formant à la taille de la pierre, à la restauration et aux autres spécialités du monde archéologique. Alors que Louxor regorge de sites, il m'est apparu que - même si les missions ont de moins en moins d'argent pour faire fonctionner leurs fouilles (concernant les tailleurs, ils viennent tous de l'étranger et ils demandent des salaires assez conséquents) - les tailleurs trouveraient du travail.
Et ici, avoir un emploi est primordial, car, depuis six ans, avec le manque de touristes, les jeunes sont sans activité, ce qui amène un appauvrissement plus sévère de la population.
Pour toutes ces raisons, la fondation qui nous sponsorise a été rapidement séduite par notre projet.


ÉA : Le choix des trois enseignants Eric Desèvre, Mathieu Kibler et Clément Thienpont s'est-il imposé d'emblée ? Quelle est leur formation ? Ont-ils des cursus différents, et si oui, cela enrichit-il la qualité de l'enseignement ?

MCG : Il nous fallait absolument des enseignants arabophones. Mathieu Kibler, Clément Thienpont et Eric Desèvre le sont ! Et ils ont tous les trois déjà travaillé - et/ou travaillent encore - en Égypte sur des sites archéologiques. Eric Desèvre fait partie de la mission du Ramesseum depuis de nombreuses années, et il a, en plus, un cursus qui lui permet de développer ses capacités de travailleur social.

ÉA : La formation mise en place se déroule sur deux années : deux fois six mois - scindés en quatre mois de cours et deux sur le terrain. Comment avez-vous établi le projet pédagogique ? L'équilibre à trouver entre cours et pratique a-t-il été délicat à "établir" ?

MCG : C'est un travail collectif, c'est ensemble, avec ma collègue Véronique Nesveda, avec les tailleurs - futurs enseignants -, que nous avons travaillé au projet éducatif et pédagogique. Nous avons mis au point un processus de formation sur papier qui a été immédiatement approuvé par nos sponsors.
Nous y avons conjugué une dimension supplémentaire. Étant 
kinésithérapeute - physiothérapeute, Véronique veille à ce que les postures de travail soient correctes et corrige les gestes et les positions afin que les corps ne souffrent pas, ou le moins possible.




ÉA : Les élèves sont indemnisés de leurs frais de déplacements et perçoivent un petit salaire pendant leur stage. Est-ce une motivation supplémentaire ou, tout simplement, la base de leur motivation ?

MCG : Les élèves sont défrayés pour leurs déplacements, ils sont nourris. Ils perçoivent un salaire uniquement pendant la période de stage "pratique". Ils sont motivés pour acquérir un savoir-faire, un métier…

ÉA : La partie pratique, sur le "terrain", se déroule au temple du Ramesseum, au sein de la MAFTO dirigée par le Docteur Christian Leblanc : une collaboration étroite et indispensable pour concrétiser un savoir-faire 'in situ' ?

MCG : Dès le départ, le Docteur Christian Leblanc a soutenu notre projet. Il a ensuite tout mis en oeuvre pour recevoir nos élèves ‘in situ’. Cela veut dire toutefois qu'il a dû chercher des fonds pour assurer un salaire correct à ces 10 jeunes pendant 2 mois. Durant cette période, c'est Eric Desèvre, tailleur de pierre "attaché" à la mission française, qui les prend en charge sur le chantier.

ÉA : Tailler la pierre c'est non seulement manier les ciseaux, l’équerre et autres outils, mais c'est aussi savoir lire des plans, avoir des aptitudes au dessin, avoir des notions d'architecture. Le recrutement de la dizaine d'élèves devait forcément intégrer leurs capacités à gérer ces bases ?
Mathieu Kibler
Mathieu Kibler : Le recrutement des élèves a eu lieu en septembre. Un test d’admission a été fait afin de nous assurer que tous les futurs apprentis savaient lire et écrire et qu’ils avaient quelques bases de géométrie.
En effet, la taille de pierre est un métier qui nécessite de la dextérité dans le maniement des outils, de la rigueur et de la patience. Le dessin technique et la lecture de plans sont aussi essentiels à la réalisation d’ouvrages en pierre.


ÉA : Les anciens Égyptiens entretenaient un rapport particulier avec la pierre. Est-ce que cela se révèle également vrai de nos jours ?

MK : Beaucoup d’élèves de la première promotion avaient déjà travaillé sur des chantiers de restauration archéologique, certains d’entre eux faisaient de la sculpture ou travaillaient dans des fabriques d’albâtre et de basalte. Je pense donc qu’ils étaient tous sensibles à la pierre.
La rive ouest de Louxor est un musée à ciel ouvert. Les habitants côtoient de près ou de loin ce patrimoine architectural exceptionnel. Je crois que cet environnement ne laisse personne insensible à la pierre.


ÉA : La première promotion terminée en avril dernier a-t-elle donné de bons résultats ?




MK : Sur les neuf élèves de la première promotion, nous avons "pris" le meilleur élément en tant que "prof stagiaire" : il enseigne donc, avec nous, à l’atelier, et nous continuons à perfectionner sa formation en taille et en dessin technique.
Deux autres jeunes viennent d’être embauchés sur le temple de Medinet Habou par la Mission américano-égyptienne. Ils ont ainsi intégré l’équipe des tailleurs de pierre dirigé par Frank Helmoz.
Les autres étudiants retournent au Ramesseum, soit en tant qu’ouvriers qualifiés, soit en tant que chefs de poste pour certains. Ils pourront ainsi conseiller et retransmettre ce qu’ils ont appris à la nouvelle promotion lors de leur stage "chantier école" qui débutera mi-novembre.


ÉA : La nouvelle promotion vient de débuter et les fonds vous sont assurés jusqu'à fin 2017. Mais après ? Quel souhait pouvez-vous formuler pour la pérennité de cette école ?

MCG : Nous souhaitons former des ouvriers "locaux" afin qu'ils puissent former, enseigner, à leur tour. Nous oeuvrons clairement dans un but de transmission du savoir.
L'un des élèves de la première promotion est, cette année, associé à l'enseignement. C'est une grande satisfaction, pour lui bien sûr, mais pour nous aussi !
Dans l'absolu, nous aurons réussi notre challenge lorsqu'ils n'auront plus besoin de nous…


Propos recueillis par Marie Grillot – novembre 2016

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