samedi 19 novembre 2016

Le scribe assis : d'un mastaba de Guizeh à... l'aéroport du Caire



Certes il ne sera jamais aussi connu que le scribe accroupi dit "de Morgan", exposé au musée du Caire, découvert par l'égyptologue français le 31 janvier 1893 à Saqqarah.

Certes, il ne sera jamais aussi admiré que le scribe découvert par Auguste Mariette au nord de l'allée de sphinx du Sérapeum, le 19 novembre 1850, et acquis par le musée du Louvre en 1854.

Mais il faut reconnaître que ce scribe - exposé depuis décembre 2015 au musée de l'aéroport du Caire (hall de transit du terminal 3) - mérite amplement de figurer à leurs côtés, tant sa beauté est saisissante et sa facture parfaite.

Il provient du cimetière ouest de la nécropole de Guizeh, précisément des mastabas LG 20 - 21, référencés par Karl Richard Lepsius. Mais il ne sera découvert que plus d'une centaine d'années plus tard, au cours de fouilles plus précises menées en 1949-1950-1951 par l'égyptologue égyptien Abdel Moneim Abou-Bakr de l'Université Farouk Ier d'Alexandrie.

Les mastabas LG 20 - 21 sont les demeures d'éternité de Persen - scribe royal et surveillant des ouvriers de pharaon - d'Irukachufu - surveillant de la pyramide de Khéops - et de Neshut, épouse de Persen.

à g.: “Scribe accroupi” - musée du Louvre (Paris)
à dr. : Scribe - musée des Antiquités égyptiennes - le Caire

Le scribe, d'une hauteur de 46,5 cm, est assis "en tailleur”. Il est en calcaire peint et dans un remarquable état de conservation. Son corps est traité en ocre-rouge et son attitude est empreinte d'une intense concentration.

Ce qu'exprime si bien Gaston Maspero dans la "Gazette des beaux-arts : courrier européen de l'art et de la curiosité" (1893 - 1) à propos des scribes des musées du Caire et du Louvre, lui correspond tout autant : "Le mouvement et l'attitude professionnels sont saisis avec une vérité qui ne laisse rien à désirer : ce n'est pas seulement un scribe que nous avons devant nous, c'est le scribe tel que les Égyptiens le connaissaient dès le début de leur histoire."

Il tient la tête haute et porte une perruque à : "rangs de petites boucles étagées". Le visage est jeune, plutôt rond et d'une symétrie parfaite. La ligne des sourcils, bien dessinée, est marquée par un trait de couleur noire. Les yeux sont incrustés de cristal et donnent à son regard, comme saisi dans une intense réflexion, une incroyable puissance, une formidable impression de vie. Cette impression se trouve renforcée par les "traits de kohl" qui cernent les yeux, accentuant encore la profondeur de expression…

Le nez est fin ; les lèvres pleines sont surmontées d'une fine moustache noire. Le cou, large et court, est orné d'un collier à plusieurs rangs de couleur turquoise, dont la peinture s'est estompée à certains endroits.

Son corps est athlétique, les épaules larges et joliment modelées. Les seins sont renflés et l'aréole est marquée d'un cercle brun sombre, presque noir.

Les bras sont tenus le long du torse alors que les avant-bras sont tendus pour tenir le papyrus. Le rouleau, tout comme le court pagne dont il est vêtu, sont traités dans un ton clair. Il est tenu par la main gauche et déroulé entre les genoux. La main droite est refermée pour tenir un calame disparu depuis des siècles.

Quelques signes du texte, tracés en noir, sont encore visibles dans la partie supérieure du 'document'. Les jambes, repliées, semblent musclées et les pieds viennent reposer sous les genoux.

Dans "Fouilles et travaux en Égypte 1950-1951" (Orientalia 21, 1952), le Professeur Jean Leclant donne des précisions sur la découverte de cette statue : "En dehors de nombreux fragments de linteaux, rouleaux, stèles, avec noms et titres, trouvés dans le sable, au cours des déblaiements, il convient surtout de signaler la découverte d'un splendide scribe assis, jambes en tailleur, sur un socle peu épais. En contraste avec le brun rouge de la chair, se détache le tablier blanc du scribe ; il déroulait de la main gauche un rouleau blanc sur lequel se reconnaissent encore des traces d'inscriptions, à l'encre. Coiffé de la perruque à bouclettes, il a le regard vif et avisé, une fine moustache peinte en noir souligne sa bouche ; un large collier vert couvrait sa poitrine. La musculature est rendue avec discrétion, mais fermeté ; le bras droit, qui écrivait, est légèrement crispé par l'effort. Près du scribe ont été trouvés quatre tout petits pots et vases en albâtre."

La statue ne porte aucune inscription qui nous apprendrait le nom de notre personnage. Mais il devait être important car, comme l'explique Gaston Maspero dans le même article que cité précédemment :  "il arrivait que Pharaon, voulant récompenser les services rendus par quelqu'un de son entourage, lui accordait une statue, une stèle, une tombe entière que les architectes royaux construisaient aux frais du trésor".

Ce scribe est daté de la Ve dynastie. Gaston Maspero, dans ses fructueuses recherches, est : "parvenu à constater l'existence soit à Memphis même, soit dans le village ancien de Saqqarah, de deux ateliers principaux de sculpteurs et de peintres, à qui la clientèle des derniers temps de la Ve dynastie confiait le soin de décorer les tombes et de tailler les statues funéraires. Chacun avait son genre particulier, ses traditions, ses modèles dont il ne s'écartait pas volontiers. Les commandes se répartissaient entre eux dans des proportions inégales, selon qu'il s'agissait de statues isolées ou de bas-reliefs. Je ne me rappelle pas avoir remarqué des différences de style sensible, entre les tableaux qui couvrent les murs d'un même mastaba : on s'adressait pour ce genre de travail à l'un ou l'autre des deux ateliers, qui se chargeait à lui seul de l'entreprise. Pour les statues au contraire, on avait recours aux deux à la fois. La besogne ainsi divisée allait plus vite et l'on avait plus de chance de l'achever pour le jour des funérailles. Je ne veux point dire qu'il n'y eût alors que les deux ateliers dont je parle. J'ai cru trouver la trace de plusieurs autres écoles, mais peut-être avaient-elles une vogue moindre, peut-être le hasard des fouilles ne leur a-t-il pas été favorable jusqu'à présent..."

Saurons-nous jamais qui était "notre" scribe et de quel atelier il provient ?

marie grillot

sources :
gizapyramids.org
Études et Mémoires d'Egyptologie n° 5, Les scribes dans la société égyptienne de l'Ancien Empire, Patrizia Piacentini, Cybele, 2002
Patrizia Piacentini, "Les scribes dans la société égyptienne de l'Ancien Empire"  
“Fouilles et travaux en Égypte 1950-1951”, Jean Leclant, Orientalia 21, 1952
wikipedia 

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