jeudi 24 novembre 2016

Le message de paix de Jean Vérame, "peintre des déserts", sur le plateau de Hallawi

cliché Sinai Horizons
http://www.sinaihorizons.com/

En 1965, il extrait et colorie un millier de pierres d'une plage du Cap-Ferrat (Alpes-Maritimes, France). En 1967, il dresse des pyramides de schiste dans les montagnes de Rute (Alpes-Maritimes) et des monticules de galets dans le Tech-Ceret (Pyrénées-Orientales). En 1968, il peint sur un kilomètre les parois, les plages rocheuses et les galets du lit d'une rivière des Cévennes, hors de l'eau comme sous l'eau. En 1976, il peint sur deux kilomètres et demi la côte du désert des Agriates, en Corse.

Puis il choisit alors pour terrain d’expression des espaces inhabités, désertiques, rocheux, en Égypte (1980-81), au Maroc (1984), au Tibesti (1989).
Jean Vérame - photo Olivier de Felice

Adepte du "land art" - création d’oeuvres artistiques au coeur même de la nature - le peintre sculpteur verrier français Jean Vérame, d’origine belge (il est né à Gand en 1936) : "développe, a-t-on écrit, un art nomade à l'échelle de la planète". "Par divers aspects, poursuit Joëlle Poitral, professeure d’arts plastiques, (sa) démarche inédite se rapproche de celle d’un peintre de paysages dans le sens où le vide du désert pourrait être l’espace vierge d’une toile sur laquelle (il) inscrirait des éléments colorés."

Jean Vérame se rend en Égypte en 1978. C’est l’année des accords de Camp David, mettant un terme à une longue période de conflits entre l’Égypte et Israël. L’artiste souhaite associer son talent à cet événement historique majeur, qui sera suivi, le 26 mars 1979, par la signature officielle du traité de paix israélo-égyptien. Pendant deux ans, il cherchera à convaincre les autorités égyptiennes de l’autoriser à : "poursuivre son rêve artistique". Un rêve non exempt de : "préoccupations politiques ou éthiques", commente Olivier Goetz. Un rêve par lequel il souhaite "célébrer la paix et la liberté", en captant "la vibration naturelle du cosmos"... 

Le président égyptien de l’époque - Anouar el-Sadate - se laisse finalement séduire par le projet de l’artiste. Il lui donne son autorisation officielle.

Jean Vérame a eu le temps de choisir le terrain de son intervention : ce sera le plateau de Hallawi, entre le monastère Sainte-Catherine, dans le Sinaï, et la ville de Dahab, en bordure du golfe d’Aqaba. Il y choisit douze zones de travail, réparties sur 80 km².
photos extraites du site internet de Jean Vérame

Les travaux sont échelonnés sur deux années (1980-1981). Ils sont exécutés dans des conditions parfois difficiles, notamment en hiver. Toute une logistique a dû être mise en place pour faire vivre ce “chantier” peu ordinaire, avec l’acheminement de 16 tonnes de matériel (compresseur, groupe électrogène, vivres, matériel de couchage…) et, bien entendu, l’approvisionnement en peinture : 10 tonnes de peinture, bleue et noire, fabriquée spécialement en Hollande et prise en charge par l’ONU. 

Ainsi, en plein désert, loin de toute âme qui vive : "prenant en compte l’altérité du support naturel qu’il révèle sans en modifier la structure, l’artiste met en évidence les formes existantes et la beauté plastique de cet amas de rochers et de cailloux perdu dans l’immensité du désert". Mieux encore, il a réussi à insuffler à une nature minérale inerte et vierge de tout élément de civilisation humaine un “message” de paix, auquel Hubert Piernet consacrera le film "Sinaï Peace Junction".


Le bleu, couleur dominante de cette "oeuvre" gigantesque, semblait s’imposer. N’est-il pas la couleur de l’ONU ? Et donc de la paix… Un choix que Jean Vérame justifie également par le fait que le bleu (qui "ne fait pas partie des couleurs terre") et le noir "renvoient, selon lui, à la notion d’espace".

Il semble que cette réappropriation artistique du plateau de Hallawi n’ait pas fait l’unanimité, entre autres auprès d’écologistes. Soit ! mais les Bédouins locaux - ils sont quand même les premiers concernés ! - ont beaucoup apprécié, estimant que le bleu est : "une couleur noble et rare, qui protège et chasse les mauvais esprits".
photo extraite de abrahampath.org/

Comme c’est globalement le cas des œuvres peintes réalisées en extérieur, exposées aux éléments, la "Ligne de la paix" est toutefois soumise à l'érosion naturelle. Donc appelée à disparaître, la nature reprenant peu à peu ses droits. Dans un avenir plus ou moins lointain, il n’en restera plus que le souvenir, étayé par les images qu’elle aura pu inspirer. 

"S’appuyant sur l’idée de mobilité, de voyage et de déplacement, conclut Joëlle Poitral, le travail de Jean Vérame recouvre parfois une dimension éthique ou spirituelle quant à la petitesse et à la fragilité de l’homme dans l’univers, comme ici dans le désert où ses œuvres, perdues dans l’immensité, sont exposées à une lente dégradation."

Mais comment douter que, dans le silence reconquis par le désert, le “rêve” qui aura inspiré le travail de l’artiste restera vivant, porteur d’un message qui défie le temps ?

Marc Chartier

sources :
site internet de Jean Vérame
"Snap shots", by Mohamed El-Hebeishy 
TDC, la revue des enseignants
Le Travail De Jean Vérame, texte de Gérard Durozoi, Skira, 195, 118 pages
Nicole Levallois, Les déserts d’Égypte, ACR édition, 1992

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