"Nous arrivons à la gare du chemin de fer du Caire. Un chemin de fer en Orient, cela fait frémir ! Quoi, retrouver ici l'insipide uniformité des services publics d'Occident !
Rassurons-nous : l'Orient n'en fera jamais qu'à sa guise, et saura toujours transformer d'une façon neuve et piquante ce qu'on lui apportera de tout fait, de parisien ou d'anglais.
Point de sonnettes, de barrières, de voyageurs parqués, ni d'employés galonnés au verbe impératif et terrifiant. Un vaste hangar, ouvert à tous les vents, reçoit pêle-mêle pachas, fellahs, bagages et la multitude de ceux qui ne partent pas, mais sont là comme ils seraient ailleurs, parlant tous à la fois, et se racontant leurs affaires sur le ton de la dispute. Dans un angle obscur, au fond duquel il faudrait désespérer de jamais parvenir, et derrière un simulacre de grillage, une ombre d'employé s'évertue lentement au milieu de monnaies de tous pays et de fellahs qui discutent le prix des places. En même temps les bagages passent par-dessus sa tête pour aller retomber de l'autre côté, s'enregistrer à la grâce de Dieu."
Voilà pour l’ambiance ! Du moins telle qu’elle devait être au début du XXe siècle, si l’on en croit cette description d’Arthur Rhoné, dans "L'Égypte à petites journées : le Caire d'autrefois" (1910).
Quant à la gare elle-même, elle est inaugurée en septembre 1856, sous le règne de Muhammad Saïd Pacha, conjointement à l’achèvement du deuxième tronçon de la ligne de chemin de fer reliant Alexandrie au Caire, treize ans avant l’inauguration du Canal de Suez. Implantée place Bab al-Hadid (qui deviendra ultérieurement Mîdân Ramsès), la "Mahattat Misr" est construite suivant les plans de l’architecte anglais Edwin C. Baines. Le bâtiment sera toutefois de courte durée, car il est détruit, début des années 1890, par un “possible incendie”.
En 1892, est inaugurée une nouvelle gare, qu’Eugène Chautard, en 1914, qualifie de : "vaste et belle construction en style arabe modernisé". "L’identité de son concepteur demeure floue, écrit Camille Abele, dans "Al-Ahram Hebdo" du 7 au 13 décembre 2011, mais l’architecture du nouvel édifice correspond cette fois-ci à des aspirations très différentes. (...) La nouvelle gare est construite dans un style classique islamique, qui rappelle les plus belles heures de l’histoire de l’Égypte, celle de la dynastie glorieuse des Mamelouks. Les façades en faïence bleue et blanche, les deux grandes portes en arche au riche décor ouvragé et la tour-horloge carrée de l’angle sud-ouest qui ornent l’ensemble sont tous issus d’époques variées. Ce style historique, composé d’influences diverses issues du registre architectural islamique, imprime une identité forte au bâtiment. (...) Pour la population égyptienne, c’est (...) un symbole contre l’autorité britannique et la célébration d’une identité et d’une culture propre et indépendante."
Le film "Bab el-Hadid"
Cette construction est un condensé de finesse des décors intérieurs et d’innovations techniques, avec sa structure entièrement métallique et sa grande verrière couvrant les quais. Le jeune cinéaste Youssef Chahine y réalise son célèbre film "Bab al-Hadi" ("Gare centrale") en 1958, trois années après l’installation, sur la place attenante, de l’imposante statue de Ramsès II, à laquelle le réalisateur consacre une scène et qui sera transportée, en août 2006, dans le Grand Musée égyptien.
Peu d’informations, semble-t-il, sont disponibles sur l’histoire de ce bâtiment, qui est mal documenté. Sauf erreur de lecture de notre part, il n’a droit à aucun développement spécifique dans l’ouvrage de référence "Architectes et architectures de l’Égypte moderne - 1830-1950", de Mercedes Volait. C’est d’autant plus dommageable que la gare fera l’objet, de 2007 à 2011, d’importants travaux de rénovation, non pas sur les façades extérieures qui doivent se contenter d’un simple nettoyage, mais dans ses aménagements intérieurs, dont l’aspect originel est totalement modifié, avec l’adjonction d’un faux plafond, de lourdes parois de verres, de colonnes de plastique dorées, d’une pyramide inversée style musée du Louvre à Paris, d’immenses écrans électroniques...
Des spécialistes du patrimoine se sont offusqués de ces innovations, justifiées selon eux par une vision mercantile et qualifiées de "véritable désastre", d' "architecture de cabaret", de "strip-tease grotesque et légèrement vulgaire". D’autres observateurs se plaisent par contre à continuer à voir dans la gare, entièrement remise à neuf, un véritable chef-d’oeuvre architectural, qui aura quand même coûté, à l’Organisme central des chemin de fer égyptiens, 70 millions de LE. Une somme que beaucoup des 3,2 millions d’usagers quotidiens de la gare auraient préféré voir utiliser dans l’amélioration du matériel roulant, des infrastructures du réseau ferroviaire, de la logistique et des conditions de transport.
Mais cela est évidemment une autre histoire...
Marc Chartier
sources :
egyptophile
egyptophile
bibalex
hebdo.ahram
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