samedi 1 octobre 2016

Un pilier-djed pour l'éternité d'Amenhotep II

Pilier-djed - bois peint - XVIIIe dynastie
provenant de la tombe d'Amenhotep II (KV 35) découverte en mars 1898 par Victor Loret
Musée de la momification - Louqsor - JE 32548-JE 32570a - CG 24436

En mars 1898, Victor Loret poursuit ses fouilles dans la Vallée des Rois… Quand soudain, rapporte John Romer ("Histoire de la Vallée des Rois"), au milieu des débris "les ouvriers repérèrent un ouchebti au nom d'Aménophis II, le fils de Thoutmosis III, dont Loret venait d'ouvrir la tombe. Dans la mesure où de nombreux objets appartenant à Aménophis II avaient envahi les marchés d'Egypte et d'Europe, il ne pouvait guère s'attendre à trouver le monument intact"…

Si le mobilier funéraire a, effectivement, été "malmené", la découverte de la demeure d'éternité d'Amenhotep II - KV 35 - dépassera ce qu'il pouvait imaginer !

Elle s'avéra receler, dans ses entrailles, pas moins de 17 momies royales ! Elles y avaient été mises à l'abri des violeurs de sépultures lors des temps perturbés qui secouèrent la ville de Thèbes aux environs de 1100 av. J.-C. (XXIe dynastie). Elle sera dénommée "seconde cachette" afin de la dissocier de la première, la "cachette de Deir el-Bahari" (DB 320) révélée au Service des Antiquités, en 1881, par un membre de la famille Abd el-Rassoul.
En février-mars 1898, l'égyptologue Victor Loret découvre la tombe d'Amenhotep II 
à droite, statue en calcaire du pharaon au Musée égyptien du Caire

Ici, se trouvait rassemblé un aréopage de pharaons : Thoutmosis I, Amenhotep III, Merenptah, Séthy II, Siptah, Ramsès IV, Ramsès V, Ramsès VI, Amenhotep III, et probablement Sethnakht. Elle abritait également des momies féminines, dont celle de la "Young Lady (KV35YL) qui est sans doute celle de Nefertiti" (Marc Gabolde) et celle d'une "elder woman" qui "pourrait être la dépouille de la reine Tiyi".

Le matériel funéraire que livrera l'hypogée d'Amenhotep II est très important : accessoires, vêtements, aliments, bijoux, maquettes, sculptures, statues, documents écrits, barques, etc. Le sol de la chambre funéraire "disparaissait sous une épaisse couche d'objets brisés, statuettes funéraires en bois et en albâtre, poteries, vases, guirlandes…" (John Romer). Le récit qu'en fait Gaston Maspero est tout aussi édifiant : "Le sol était caché par une litière de débris, statuettes en bois du roi et de diverses divinités, d'ouchebtis, de croix ansées, et d'un pilier Djed de bois et de faïence bleue, et mille autres objets…"

Ce sont plus de : "deux mille pièces qui furent retirées du monument, quelques-unes étaient fracassées en mille fragments ; de bon nombre d'entre elles, il ne restait que d'infimes parcelles" (John Romer).

Dans son étude très documentée "Development of the burial assemblage of the Eighteenth dynasty Royal Tombs", Nozomu Kawai répertorie les amulettes qui accompagnaient ce pharaon  dans sa demeure d'éternité : "22 croix ankh en faïence, un sceptre ouas en faïence, 100 symboles en forme de fruits en faïence, 19 têtes de serpent en faïence, 39 croix ankh et 36 piliers Djed en bois. Les objets rituels provenant de la même tombe comprennent 11 bâtons en faïence avec des yeux oudjat, des boomerangs en bois, des 'bâtons de serpent' et des haches en bois appelées 'nw'..."
Planche présentant le pilier-djed CG 24436 dans le
"Catalogue général des antiquités égyptiennes du Musée du Caire - Fouilles de la Vallée des Rois (1898-1899)"
de Georges Daressy

Les trente-six piliers-djed seront répertoriés, par Georges Daressy, dans le "Catalogue général des antiquités égyptiennes du Musée du Caire - Fouilles de la Vallée des Rois (1898-1899)", sous les références allant de CG 24436 à CG 24471.

Si les modèles référencés  CG 24436 et CG 24437 semblent assez semblables, les suivants diffèrent par leur état de conservation, et pour beaucoup d'entre eux se résument à la seule partie supérieure…

Celui qui porte le numéro CG 24436 a été trouvé en plusieurs fragments, puis restauré. Il est exposé au Musée de la Momification à Louqsor ; sa référence est inscrite, dessus, en rouge en bas à droite. Si son cartel explique laconiquement sa "fonction", il ne donne malheureusement aucun renseignement sur sa provenance… 
Pilier-djed - bois peint - XVIIIe dynastie - provenant de la tombe d'Amenhotep II (KV 35)
découverte en mars 1898 par Victor Loret - Musée de la momification - Louqsor - JE 32548-JE 32570a - CG 24436


Voici la description qu'en fait Georges Daressy : "Talisman - Bois - Hauteur totale 0 m. 51 cent., hauteur du pied 0 m. 355 mill., largeur moyenne 0 m. 11 cent. larg. du haut 0 m. 21 cent. Signe Djed en bois peint multicolore. Le pied est fait en deux moitiés verticales, le haut en trois pièces. Le pied est peint de bas en haut en bleu, vert, rouge, bleu, vert, chacune de ces bandes étant séparée par un large filet jaune. La partie verte du haut et celle correspondant à une bande jaune qui lui fait suite sont striées transversalement comme s'il y avait là un quintuple lien. La tête est peinte en bleu, rouge, vert, bleu, avec les tablettes séparatives jaunes. L’objet est complet, mais était brisé en cinq morceaux."
Pilier-djed - bois peint - XVIIIe dynastie - provenant de la tombe d'Amenhotep II (KV 35)
 découverte en mars 1898 par Victor Loret - Musée de la momification - Louqsor - JE 32548-JE 32570a -  CG 24436


Le pilier-djed est une amulette osirienne, symbole de stabilité, présente en Égypte depuis les temps les plus anciens.

La définition de Georges Posener dans son "Dictionnaire de la civilisation égyptienne" débute ainsi : "Sorte de fétiche préhistorique de nature encore mal définie" et se termine par ces mots : "Le pilier Djed servit de modèle à d'innombrables amulettes, éléments de colliers, talismans protégeant les vivants, signes propitiatoires (ndlr : qui ont pour objet de rendre propices) reproduits sur les murs des temples, enfin bijoux protecteurs des défunts."
Pilier-djed - bois peint - XVIIIe dynastie - provenant de la tombe d'Amenhotep II (KV 35) 
découverte en mars 1898 par Victor Loret - Musée de la momification - Louqsor - JE 32548-JE 32570a - CG 24436

Voici un extrait de la définition qu'en donne Jean-Pierre Corteggiani dans "L'Égypte ancienne et ses dieux" : "On y voit le plus souvent un tronc d'arbre ébranché, mais les exemplaires les plus anciens pourraient bien être des gerbes de céréales stylisées suggérant l'existence d'antiques rites agraires ; quoi qu'il en soit, ce pilier au pied aussi évasé que la tête, surmonté au-dessus d'une multiple ligature, par quatre éléments plats qui semblent emboîtés les uns dans les autres, fut assimilé à l'épine dorsale d'Osiris : c'est ce qu'indique la 'Formule du pilier-Djed en or'… du chapitre 155 du Livre des Morts où il est précisé que tout défunt enterré avec cette amulette suspendue au cou par de la fibre de sycomore est assuré d'être 'un bienheureux éminent dans l'empire des morts' et c'est ce qui en fait un symbole conférant la stabilité et la durée, notions exprimées en égyptien par le signe hiéroglyphique correspondant."

Quant à Isabelle Franco, dans son "Dictionnaire de mythologie égyptienne", elle précise que "les quatre barres horizontales évoquaient les vertèbres cervicales".
Signes Ankh, Ouas et Djed sur les murs du temple d'Hatshepsout à Deir el-Bahari

Et enfin, pour conclure, nous citerons les mots de Christiane Ziegler qui décrit ce pilier dans son livre "Pharaons - Catalogue de l'exposition présentée à l'IMA en 2004-2005" : "On retrouve son image associée à celles de la vie (ânkh) et de la puissance (ouas), comme motif prophylactique dans le décor de nombreux objets funéraires. Notre exemplaire est en bois peint, matériau qui rappelle peut-être l'origine végétale du symbole osirien."

marie grillot

sources :
Victor Loret, Le tombeau d'Aménophis II et la cachette royale de Biban el-Molouk, n°3, pp.91-97, Bulletin de l’Institut Égyptien, BIE, Le Caire, 1899
https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/bie1898/0109/image,info,text_ocr
Georges Daressy, Catalogue général des antiquités égyptiennes du Musée du Caire N° 24001-24990 - Fouilles de la Vallée des Rois (1898-1899), Fasc. 1, 1902 (p. 163)
https://ia801301.us.archive.org/16/items/DaressyValleeRois1902/Daressy_Vallée_Rois_1902.pdf
Gaston Maspero, Guide du visiteur au Musée du Caire, 1902, Institut français (Le Caire) 
https://archive.org/details/guidemuseecaire00masp/page/n6/mode/2up
Gaston Maspero, Ruines et paysages d'Égypte, Éditeur E. Guilmoto, Paris, 1910
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1062073.r=gaston+maspero
Georges Posener, Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Fernand Hazan, 1959
Nozomu Kawai, Development of the burial assemblage of the Eighteenth dynasty Royal Tombs
https://www.jstage.jst.go.jp/article/orient1960/35/0/35_0_35/_pdf
Isabelle Franco, Dictionnaire de mythologie égyptienne, Pygmalion 1999
John Romer, Histoire de la Vallée des Rois, Vernal - Philippe Lebaud, 1991
Isabelle Franco, Dictionnaire de mythologie égyptienne, Pygmalion 1999
Nicholas Reeves, Ancient Egypt, The Great Discoveries, Thames & Hudson, 2002, Les Grandes découvertes de l'Egypte ancienne Editions du Rocher, 2001
Nicholas Reeves, Richard H. Wilkinson, The Complete Valley of the Kings, The American University in Cairo press, 2002
Pharaons - Catalogue de l'exposition présentée à l'Institut du monde arabe à Paris, du 15 octobre 2004 au 10 avril 2005, IMA, Flammarion, 2005
Jean-Pierre Corteggiani, L'Egypte ancienne et ses dieux, Fayard, 2007
Pierre Tallet, Frédéric Payraudeau, Chloé Ragazzolli, Claire Somaglino, L'Egypte pharaonique, histoire, société, culture, Armand Colin, 2019
Theban Mapping Projet - KV 35 
https://thebanmappingproject.com/tombs/kv-35-amenhetep-ii

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