à gauche : Pilgrim flask St.Menas - Louvre MN1469
à droite : Abu Mena - ARCWH |
Abou Mena, à 60 km au sud-ouest d’Alexandrie, à 12 km au sud de la gare de Bahig, est un haut lieu de pèlerinage pour l’Église copte orthodoxe.
Issu d’une famille originaire de l’ancienne Nicopolis, ville du Delta, Ménas serait né vers 275 en Phrygie où son père était préfet. Enrôlé dans l’armée romaine sous l’empereur Dioclétien, il est nommé rapidement chef de la cohorte des Rutiliaques, de la ville de Koutayia. Lorsque Dioclétien édicte de nouvelles règles de persécution des chrétiens, Ménas fait don aux pauvres des biens qu’il a hérités de ses parents et se retire dans le désert pour y mener une vie d’ermite.
Après cinq années de solitude, il quitte en 296 sa retraite et entre à Cothyée, en Phrygie, un jour de grande fête où le peuple est rassemblé dans l’amphithéâtre. Il s’avance dans l’arène pour proclamer publiquement sa foi chrétienne. Le préfet fait amener cet inconnu, lui fait subir un long interrogatoire et après l’avoir torturé, il le fait décapiter.
Conformément au souhait du martyr d’être enterré dans son pays, sa dépouille est chargée sur le dos d’un chameau pour être transportée en Égypte. Près du lac Maréotis (Mariout), l’animal s’arrête et refuse obstinément d’aller plus loin. Les caravaniers y voient un signe du ciel : c’est là que le corps de Ménas sera enseveli.
Quelque temps plus tard, un berger constate que l’un de ses moutons, malade de la gale, est guéri après avoir traversé le lieu. Il prend de la terre de cet endroit, y mêle de l’eau et en enduit tous les agneaux galeux ou atteints d’une autre maladie. Ils guérissent tous ! La nouvelle s’étant répandue dans l’ensemble du pays, la fille de l’empereur byzantin, gravement malade, fait le déplacement jusqu’au lieu de la sépulture miraculeuse et est elle aussi guérie.
C’est alors qu’est bâtie la première église (la "chapelle du tombeau"), dédiée à celui qui est désormais considéré comme saint Ménas.
Un four de potier est également construit près de la basilique pour la fabrication de petites fioles en terre cuite servant au transport de l’eau de la source voisine, aux vertus curatives. Elles seront marquées à l’effigie du saint : "La représentation de Ménas est invariable, précise le site internet du Louvre sur sa page consacrée aux ampoules à eulogie : debout, vêtu de la tunique courte à manches longues maintenue à la taille par un ceinturon, les épaules couvertes de la cape militaire et les pieds chaussés de brodequins lacés. Face au spectateur, il lève les bras en signe de prière, flanqué de deux chameaux agenouillés, dans la symétrie la plus stricte. (...) La fabrication, presque "industrielle", des ampoules de saint Ménas marcha bon train aux IVe et Ve siècles : les pèlerins venus des quatre coins de l'Empire achetèrent et disséminèrent cette production."
Autour du sanctuaire et de la source, des maisons, des thermes et des cimetières sont ensuite implantés, permettant l’installation d’une population locale et le déroulement d’un pèlerinage qui connaîtra son apogée du Ve au VIIe siècle.
De 395 à 408, une nouvelle église, beaucoup plus vaste, sur un plan cruciforme, est intégrée par Arcadius aux édifices déjà existants.
"La ville attire les chrétiens du pourtour méditerranéen, lit-on sur le site internet "Unite4Heritage" (...), devenant l'un des principaux centres de pèlerinage. Sa croissance rapide mène à l'aménagement de plusieurs établissements, dont un complexe monastique constitué d'un centre de pèlerinage, d'une basilique, de plusieurs églises, d'un baptistère et d'une nécropole copte. Flanqué d'habitations monastiques, le complexe est relié à des maisons de repos pour pèlerins par un large chemin de procession. La Grande Basilique, construite vers la fin du Ve siècle, demeure la plus grande d'Égypte. (...) La ville dispose également d'un quartier résidentiel avec de grandes maisons de calcaire, des magasins, des ateliers, deux bains publics et sept pressoirs dotés de chambres de stockage souterraines. L'ensemble est protégé par des fortifications imposantes qui indiquent qu'Abou Mena était une zone urbaine développée."
Avec l’arrivée de l’Islam au VIIe siècle, le centre de pèlerinage commence à péricliter, mais tant bien que mal, l’église restera active jusqu’au XIIe siècle, en dépit des pillages et destructions que le site doit subir, notamment au temps d’el-Mamoun, fils d’Haroun el-Rachid. "Selon le témoignage d’un voyageur arabe, la grande basilique était encore debout en l’an 1000. Des lumières brillaient nuit et jour dans le sanctuaire et il coulait toujours un petit filet de ‘la merveilleuse eau de saint Ménas qui chasse la douleur'." Mais à partir du XIIIe siècle, "les vestiges de cette grande cité ont été enterrés sous les sables du désert".
En 1905, le site est redécouvert par l’Allemand Karl Maria Kaufmann. Des fouilles, conduites par P. Grossmann, sont menées sous l’égide de l’Institut allemand d’archéologie et le Musée copte du Caire.
En 1979, il est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco et, depuis 2001, sur la liste du patrimoine mondial en péril de ce même organisme. “En péril” : c’est en effet le cas du site d’Abou Mena, menacé et dégradé à la suite de travaux effectués par l’État égyptien dans le cadre d’un projet d’irrigation. Le chantier a eu pour effet d’augmenter de 5,5 m le niveau de la nappe phréatique, seules 40 pompes étant en état de fonctionnement sur les 170 installées. En outre, de nombreuses citernes autour du monastère se sont effondrées.
"Un programme de mise en valeur des terres pour le développement agricole de la région, financé par la Banque mondiale, a causé depuis dix ans une élévation spectaculaire de la nappe phréatique. Le terrain local, exclusivement argileux, est dur et capable de supporter des bâtiments lorsqu’il est sec mais il devient semi-liquide en cas d’excès d’eau. La destruction de nombreuses citernes disséminées autour de la ville a entraîné l’effondrement de plusieurs structures de couverture. D’énormes cavités souterraines se sont ouvertes dans la région nord-ouest de la ville. Le risque d’effondrement est tel que les autorités ont été obligées de remplir de sable la base de certains des bâtiments les plus menacés, y compris la crypte d’Abou Mena avec la tombe du saint, et de les fermer au public. Par ailleurs, on a construit une grande route bordée de trottoirs pour pouvoir circuler à l’intérieur du site." (unesco.org)
Les responsables de l’aménagement de cette partie de territoire, en liaison avec l’Unesco, entendent prendre les mesures efficaces pour préserver ce qui représente une part du patrimoine culturel national. Des décisions adoptées récemment ont en effet dans ce sens : le ministère des Antiquités égyptien a fait appel à une entreprise privée pour le drainage de la nappe phréatique, avec un contrat de maintenance des pompes. Coût des travaux : 3 millions de L.E.
De miraculeuse qu’elle était, l’eau d’Abou Mena est paradoxalement devenue aujourd’hui une menace pour son sanctuaire. Mais il serait bien sûr désinvolte d’y voir un quelconque signe des temps… D’ailleurs, de nouveaux bâtiments, construits à proximité des anciens lieux de culte dédiés à saint Menas, ont été inaugurés en 2005.
Marc Chartier
sources :
E. M. Foster, Alexandrie, Quai Voltaire, 1990
“Abu Mina, The Ancient Christian Pilgrimage Site”, by Jimmy Dunn
http://www.touregypt.net/featurestories/abumina.htm#ixzz46BdsUxq4
http://www.arcwh.org/fr/abou-mena
http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/ampoules-eulogie
http://hebdo.ahram.org.eg/NewsContent/1136/32/97/17774/Une-nouvelle-chance-pour-AbouMina.aspx
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