samedi 29 octobre 2016

De Thèbes au Louvre : cette cuiller à fard a toute une histoire

"Cuiller à fard" en forme de jeune fille portant un vase - bois de caroubier, couvercle en tamaris - XVIIIe dynastie
acquise à Thèbes par Emile Prisse d'Avennes entre 1827 et 1844 - puis dans les Collections Guizot et Thiers 
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 8025 bis
reproduite ici par Émile Prisse d'Avennes

Le Louvre possède plusieurs très beaux spécimens de ces "cuillers à fard" pour lesquelles les artisans de l'antiquité ont laissé libre cours à leur riche et subtile imagination. 

Si la nature les a fortement inspirés - canard, poisson, gazelle, nymphea papyrus -, ils ont aussi reproduit des silhouettes féminines, comme celles de nageuses souvent représentées, ou encore comme cette jolie jeune femme qui porte une lourde charge. 

Dans son très riche et très documenté ouvrage Les objets de toilette égyptiens au Musée du Louvre, l'égyptologue Jeanne Vandier d'Abbadie présente cette cuiller, particulièrement belle et touchante, sous le n° 30 - n° d'inventaire E8025 bis : "Jeune fille nue tournée vers la droite. Le buste légèrement incliné, elle porte sur son épaule une grande amphore qu'elle soutient de sa main droite. Elle tient dans sa main gauche un sac oblong décoré de fleurs de lotus. Deux grosses fleurs de lotus sont posées à la base de l'amphore ; cette base est décorée, ainsi que le petit socle qui se trouve sous les pieds du personnage, de pétales de fleurs. La jeune fille porte une boucle d'oreille, un large collier et une ceinture autour des hanches. Ses cheveux, retenus à la hauteur de la tempe par un bandeau, sont resserrés dans une tresse qui tombe sur sa poitrine. Une partie de l'amphore forme le cuilleron, l'autre partie, tournant autour d'un pivot, sert de couvercle. Les yeux et les cheveux sont colorés en noir, les lèvres et la ceinture gardent les traces de couleur rouge et les fleurs des traces de couleur verte."
"Cuiller à fard" en forme de jeune fille portant un vase - bois de caroubier, couvercle en tamaris - XVIIIe dynastie
acquise à Thèbes par Emile Prisse d'Avennes entre 1827 et 1844 - puis dans les Collections Guizot et Thiers 
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 8025 bis - photo du musée

Ce motif de l'adolescente nue est relativement fréquent : "sur des objets de toilette, tels que les cuillères en bois, pots à cosmétiques ainsi que bols en faïence. Les objets sont souvent de provenance inconnue mais leur état de conservation laisse à penser qu'ils doivent provenir de tombes. Les jeunes femmes qui portent souvent des bijoux et une ceinture autour des hanches sont dépeintes comme des danseuses, des musiciennes ou encore des servantes et les lotus qui ornent leur jeunesse peut avoir pour objectif d'assister symboliquement le défunt dans son rajeunissement."

Il est intéressant de souligner que, dans "Notice descriptive des Monuments égyptiens du Musée Charles X", publié en 1827, Jean-François Champollion présente ce qu'il dénommait alors "cuillères à parfums" ou "cuillères boîtes" dans la catégorie "Ustensiles et instruments du culte public ou privé". Ipollito Rosellini estimait également que : "ces cuillers pouvaient servir aux usages sacrés, comme aux usages domestiques".

Cette cuiller d'une hauteur de 31,5 cm et d'une largeur de 7 cm, est en bois clair de caroubier, alors que le couvercle du cuilleron est en tamaris. Elle date de la XVIIIe dynastie et a été achetée à Thèbes par Émile Prisse d'Avennes. 

Né en 1807, cet ingénieur des arts et métiers a fait deux longs séjours en Égypte, le premier entre 1827 à 1844, et le second entre 1858 et 1860. Il y adoptera le nom de Idris-Effendi et y devient l'aquarelliste renommé dont les oeuvres nous font rêver tant les couleurs de l'Égypte nous subjuguent. Parfois qualifié "d'artiste-antiquaire", il ramène de ses voyages des notes, des impressions, des manuscrits, une œuvre graphique impressionnante bien sûr, mais également une collection d'antiquités. 
"Cuiller à fard" en forme de jeune fille portant un vase - bois de caroubier, couvercle en tamaris - XVIIIe dynastie
acquise à Thèbes par Emile Prisse d'Avennes entre 1827 et 1844 - puis dans les Collections Guizot et Thiers 
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - E 8025 bis

"Prisse d’Avennes rapporte ce qui figure parmi les plus belles pièces égyptologiques françaises, la Chambre des Ancêtres de Thoutmosis III sauvée d’une destruction certaine et le papyrus qui porte désormais son nom et qui constitue l’un des plus anciens manuscrits littéraires de l’Égypte ancienne."

Cette cuiller fait partie des objets qu'il a acquis. Il l'a d'ailleurs reproduite  au centre de la planche 48 de "Monuments égyptiens, bas-reliefs, peintures, inscriptions, etc., d'après les dessins exécutés sur les lieux par E. Prisse d'Avennes".

A-t-il vendu - voire offert - ce magnifique artefact ? Ce qui apparaît, c'est que, par la suite, la cuiller a transité par les Collections Guizot, puis Thiers. Ces deux éminents personnages politiques étaient également de fervents amateurs d'art : "Ces hommes destinés aux affaires de l'État, et qui devaient y jouer le premier rôle, avaient commencé leur carrière par écrire sur les peintres et les sculpteurs."

Comment la cuiller se retrouve-t-elle aujourd'hui dans une vitrine du Louvre ? Si, en 1880, le "Legs Thiers" est bien venu enrichir le grand musée parisien, l'inventaire "Collection d'objets d'art de M. Thiers, léguée au Musée du Louvre", rédigé quatre années plus tard par Charles Blanc, n'en fait curieusement pas état… La question demeure donc ouverte...

marie grillot

sources :
Cuiller à fard
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010005246
http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=9957&langue=fr
Jeanne Vandier d'Abbadie, Les objets de toilettes égyptiens au Musée du Louvre, éditions des musées nationaux, Paris, 1972
Rites et beauté, objets de toilettes égyptiens, musée du Louvre, 1993
Parfums et cosmétiques dans l'Egypte ancienne, Le Caire Paris Marseille, ESIG , 2002
Collection d'objets d'art de M. Thiers, léguée au Musée du Louvre -catalogue par Charles Blanc, Musée du Louvre (Paris). Département des objets d'art, 1884 
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6460124k/f251.item
https://bibliotheque-numerique.inha.fr/viewer/1338/?offset=#page=5&viewer=picture&o=bookmark&n=0&q=
James Augustus St John, Oriental album, characters, costumes and modes of life in the valley of the Nile / illustrated from designs taken on the spot by E. Prisse. ; With descriptive lettrer-press by, author of "Egypt and Mohammed Ali", and "Manners and customs of ancient Greece", London, 1848
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b7300479c/f77.item.r=prisse+d'avennes.langFR.zoom
http://www.bnf.fr/documents/dp_visions_egypte.pdf 
Rachel Mairs, Alice Stevenson, Current Research in Egyptology 2005: Proceedings of the Sixth Annual Symposium
https://books.google.fr/books?id=OammAwAAQBAJ&pg=PT105&lpg=PT105&dq=E+8025+Louvre&source=bl&ots=vlNfaCJVQC&sig=5eISxFFZZ936MeXpQg8ahyuCPE8&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiW9um6xLzPAhVgGsAKHWRdBo4Q6AEIQzAI#v=onepage&q=E%208025%20Louvre&f=false
Visions d’Egypte : Emile Prisse d'Avennes, à la BNF Richelieu
http://carpewebem.fr/visions-degypte-emile-prisse-davennes-a-la-bnf-richelieu/

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