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Francis Frith, The Convent of Sinai |
"La petite veilleuse, qui tremblotait devant l'icône, finit par s'éteindre, au moment où m'éveillent des cloches sonnant matines, en vibrations d'argent dans un absolu silence.
Puis, je reperds conscience de tout, jusqu'à l'heure où je vois filtrer, au travers du bois de ma fenêtre, un jet de clair soleil.
Ouvrir sa porte est un instant de surprise, d'émerveillement presque, tant le lieu est étrange... Les fantastiques choses, entrevues hier à notre arrivée nocturne, sont là, par ce froid matin, debout et bien réelles, étonnamment nettes sous une implacable lumière blanche, échafaudées invraisemblablement, comme plaquées les unes sur les autres sans perspective, tant l'atmosphère est pure, et silencieuses, silencieuses comme si elles étaient mortes de leur vieillesse millénaire. Une église byzantine, une mosquée, des maisonnettes, des cloîtres ; un enchevêtrement d'escaliers, de galeries, d'arceaux, descendant aux précipices d'en dessous ; tout cela en miniature, superposé dans un rien d'espace ; tout cela entouré de formidables remparts de trente pieds de haut, et accroché aux flancs du Sinaï gigantesque. La longue véranda sur laquelle nos cellules s'ouvrent fait partie elle-même de cet ensemble de constructions sans âge, déjetées, contournées, caduques ; les unes presque en ruine, ayant repris la teinte rouge du granit originel ; les autres toutes blanches de chaux avec un peinturlurage oriental sur leurs bois vermoulus. On a conscience, rien qu'en respirant l'air trop vif, d'être à une altitude excessive, et cependant on est surplombé de partout, comme au fond d'un puits ; toutes les extrêmes pointes du Sinaï se dressent en l’air, escaladent le ciel, sortes de titanesques murailles, découpées et striées, tout en granit rouge, mais d'un rouge de sanguine, sans une tache et sans une ombre, trop verticales et montant trop haut, donnant presque du vertige et de la terreur.
Le peu qu'on voit du ciel est d'une profonde limpidité bleue et le soleil éclaire magnifiquement. (...) Et toujours le même silence inouï enveloppe ce fantôme de monastère, dont l'antiquité s'accentue encore sous ce soleil (...). On sent que c'est vraiment bien là cette 'demeure de la solitude' entourée partout de déserts."
(extrait de "Le désert", 1895)
"Si l’on juge les oeuvres égyptiennes au point de vue de l’art véritable, c’est-à-dire en tant qu’elles expriment l’essence de l’art et qu’elles réussissent à communiquer ses meilleurs sentiments et le sens des choses, elles doivent être considérées comme la manifestation la plus parfaite de l’art réaliste. (...)
L’Égyptien possédait, à un suprême degré, le sens de la force, de la durabilité, de la majesté, de l’harmonie et de l’action réelle, mais atténué par la sympathie et la grâce qui donnent de la cohésion à ces vastes monuments d’une si belle ordonnance. Il a donné corps à toutes les tendances de la vie et les a exprimées dans son art avec une puissance et un réalisme qui impressionnent tous ceux qui contemplent ses productions. L’art égyptien répond donc aussi parfaitement aux exigences de l’art véritable que n’importe quel art postérieur."
(extrait de "Arts et métiers de l’ancienne Égypte", 2e édition, 1915)
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Une journée en Égypte avec… Henry de Vaujany
(extrait de "Alexandrie et la Basse-Égypte", 1885)
Place de Lesseps, photo Hippolyte Arnoux |
"Nulle ville au monde ne peut, comme Port-Saïd, offrir un aspect plus varié de types appartenant à presque tous les pays du globe ; aucun navire n'y passe sans s'y arrêter, et des groupes cosmopolites débarquent un instant pour visiter cette ville plus cosmopolite encore. Ces groupes regardent curieusement les maisons à un ou deux étages, entourées de vérandas, ne sachant peut-être pas qu'hier encore, à la place de ces habitations confortables, il n'y avait que de misérables cabanes, unique abri des travailleurs ; ils s'arrêtent sous les ombrages du square de la place de Lesseps, ne se doutant guère que le prototype des jardins du pays fut une touffe d'herbe renfermée dans une caisse de sapin d'un pied cube, que l'on regardait alors comme un phénomène de végétation ; en voyant des fontaines publiques au coin des principales rues et les tonneaux d'arrosage, ils ne songent guère non plus que cette eau, autrefois apportée de Damiette à dos de chameau et distribuée avec la plus grande parcimonie, était plus précieuse que le vin le plus exquis.
Port-Saïd est une ville toute commerçante ; son nom, qui lui a été donné en l'honneur du vice-roi Saïd-Pacha, signifie également 'heureux' ; c'est d'un bon augure."
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