Deux belles gazelles, fines et racées, ornent fièrement ce diadème d'un "design" exceptionnel. Placées en son centre, les cornes élégamment dressées, elles semblent conscientes du fait que leur présence apporte à cette parure son incroyable originalité.
Les gazelles apparaissent comme ornements décoratifs au cours de la XVIIIe dynastie. Dans "Jewels of the Pharaohs", Cyril Aldred précise que, à cette époque "il est devenu à la mode d'employer, pour décorer les diadèmes des princesses et de celles qui n'ont pas tout à fait le rang des reines (ndlr : épouses secondaires, épouses étrangères), des têtes de gazelle à la place de l'uraeus ou du vautour, attributs des principales reines".
Le couple de gazelles 'protomé" ou "protome' (nom donné à ce type de motif décoratif qui représente la partie antérieure d'un animal) est ainsi, sans conteste, l'élément autour duquel se décline la parure.
Le diadème est composé d'un premier bandeau d'or arrondi d'une largeur de 3 centimètres environ. De son centre, juste au-dessus des deux gazelles, un second bandeau d'or de la même largeur, part, vers l'arrière du crâne et en épouse la forme.
L'extrémité de ce dernier, ainsi que les deux extrémités du bandeau horizontal sont ornées d'une petite tête de félin façonnée au 'repoussé'. Le "repoussé" est une technique employée par les orfèvres leur permettant de "travailler à froid, à l'envers, une feuille ou une fine plaque de métal, de manière à faire ressortir une image ou un ornement, à l'aide de divers outils".
Le bandeau "supérieur" est orné de deux rosettes, alors que, sur le bandeau frontal, elles sont au nombre de quatre, disposées par deux, de chaque côté des gazelles.
Les six rosettes (d'un diamètre de 2,3 cm) sont cloisonnées et s'épanouissent en douze joyeux pétales, colorés par des incrustations de cornaline, de verre opaque turquoise et d'une autre substance tirant vers le blanc. Les rosettes étant dissemblables, il semble que l'ordre des couleurs ait été aléatoire.
Sous les gazelles, on remarque la présence de sept petits anneaux : ils devaient être destinés à recevoir des ornements frontaux, aujourd'hui disparus.
Dans son ouvrage "Reines d'Egypte", Christiane Ziegler présente ce diadème. Voici une partie de la description qu'elle en fait : "Le modelé exquis des têtes d’animaux, qu'on identifie comme des Gazella dorcas, et le rythme coloré des fleurs stylisées, qui se détachent sur l'or uni du bandeau, composent une parure d'une grâce sans équivalent. On a retrouvé très peu de diadèmes et celui-ci demeure unique par son thème, bien que le décor des tombes et des temples du Nouvel Empire présente quelques exemples voisins". Elle suggère en outre que : "il se peut que le motif décoratif de la gazelle ait été importé dans l’orfèvrerie égyptienne par des femmes d’origine étrangère".
Quant à Christine Lilyquist, dans "The Tomb of Three Foreign Wives of Tuthmosis III", elle précise que : "La construction et les indications d'usure de cet objet, ainsi que les représentations anciennes de diadèmes de gazelles, indiquent que cet élément n'a pas été créé pour la tombe". On en déduit donc qu'il s'agit bien là d'une parure "portée du vivant" et qu'il a bien orné la perruque de l'une des épouses étrangères du pharaon Thoutmosis III…
Il est exposé au Metropolitan Museum of Art de New York. Sa provenance est ainsi indiquée "Purchased in Luxor with other objects presumed to be from western Thebes, Wadi Gabbanat el-Qurud, Wadi D, Tomb 1, 1919, one rosette purchased 1921" et "Purchase, George F. Baker and Mr. and Mrs. V. Everit Macy Gifts, 1920".
La tombe 1 "Wadi Gabbanat el-Qurud, Wadi D" se trouve sur la rive ouest de Louqsor, au sud de l'actuel monastère copte "Deir el Mohareb". Cette vallée doit son nom au fait que des tombes de singes y ont été découvertes.
C'est en été 1916, au cœur de ce wadi encaissé entre de hautes falaises ocre rose, que des habitants de Gournah (le village le plus proche) ont mis au jour la "Tombe des épouses étrangères de Thoutmosis III".
L'hypogée se révèle inviolé, et même si les pluies torrentielles ont abîmé de nombreux artefacts, les pilleurs n'en reviennent pas des trésors qu'ils découvrent !
Pour leur éternité, Menhet, Mertet et Menouay étaient entourées d'un trousseau funéraire exceptionnel et identique pour chacune d'elles. Il était composé de bijoux, ceintures, perruques, vases canopes, sandales en or, vases, miroirs, objets de toilette, etc …
Les "pilleurs", qui étaient au nombre de 8 ou 9, se partageront le fabuleux butin. Certains iront même jusqu'à "ré-enterrer" quelques pièces trop importantes afin de pouvoir les vendre lorsque les temps se feraient plus difficiles.
Cependant, des mois plus tard, la majeure partie des artefacts se retrouvera en vente chez Mohamed Mohassib, un antiquaire bien connu sur la place de Louqsor.
Howard Carter en est informé et se montre très intéressé… Au cours de l'été 1918, grâce à l'argent avancé par Lord Carnarvon, il engage, pour son mécène, des tractations pour l'acquisition de ces pièces. Il semblerait toutefois que cet achat ait été réalisé pour le compte du Metropolitan Museum of Art de New York qui souhaite voir cette collection enrichir son tout nouveau département d'antiquités égyptiennes.
Le musée aura à cœur, dans les années suivantes, d'acquérir - notamment auprès d'autres "antiquaires" de Louqsor - les divers artefacts provenant - ou supposés provenir - de la tombe qui se trouveront sur le marché.
A ce titre, nous ne pouvons qu'évoquer les questionnements de Christine Lilyquist sur la conception du diadème : "L'aspect actuel reflète-t-il donc une seule étape de conception, les mains de différents artisans ou un assemblage de pièces de fabrication disparate? La fabrication est-elle tout à fait ancienne ou partiellement moderne ?" Le mystère demeure…
marie grillot
sources :
Diadem with a Pair of Gazelle Heads
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/553269?searchField=All&sortBy=Relevance&ft=26.8.99&offset=0&rpp=40&pos=1
T.G.H. James, Howard Carter, The path to Tutankhamun, TPP, 1992
Christian Leblanc, Reines du Nil, La bibliothèque des introuvables, 2009
Christiane Ziegler, Reines d'Egypte, Somogy éditions d'art, Grimaldi Forum, 2008
Lilyquist, Christine, James E. Hoch, A. J. Peden, The Tomb of Three Foreign Wives of Tuthmosis III, The Metropolitan Museum of Art, 2003
https://archive.org/details/TheTombofThreeForeignWivesofTuthmosisIII/mode/2up
Cyril Aldred, Jewels of the Pharaohs, Editions Thames & Hudson Ltd. Londres, 1978.
Åsa Strandberg, The Gazelle in Ancient Egyptian Art
http://uu.diva-portal.org/smash/get/diva2:232265/FULLTEXT01.pdf
Herbert Eustis Winlock, The treasure of three Egyptian princesses, Metropolitan Museum of Art New York, 1948
http://libmma.contentdm.oclc.org/cdm/ref/collection/p15324coll10/id/194865
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