"Si l’on veut se faire une idée juste des créations de l’ancienne sculpture égyptienne et de ses maîtres, il ne faut point s’en tenir aux colosses, aux sphinx et aux bas-reliefs des temples, qui frappent surtout, il est vrai, les regards du touriste, mais qui ont servi, à peu d’exceptions près, de motifs décoratifs et qui sont exécutés d’une manière conventionnelle. Il vaut mieux chercher à connaître les oeuvres créées par de véritables artistes, en particulier les statues-portraits et les reliefs conservés au musée du Caire, ainsi que les reliefs qui ornent les murs des mastabas, des hypogées et même de quelques temples (surtout ceux des temples thébains de Deir el-Bahri et de Louksor et du temple de Séthos, à Abydos). Même en Égypte, les véritables oeuvres d’art ne se trouvent, il est vrai, que clairsemées. En présence de la grande quantité des monuments conservés, le public non initié aura donc ici plus de peine, que dans tout autre domaine, à distinguer l’oeuvre d’art vraiment remarquable des produits de moindre valeur créés selon la routine du métier, d’autant plus que même les meilleurs artistes n’ont jamais pu se débarrasser de certaines particularités, transmises par la tradition des temps les plus reculés.
Dans la sculpture égyptienne, l’habileté avec laquelle ouvriers et artistes ont su travailler les pierres les plus dures avec des instruments relativement simples, excite notre admiration la plus absolue. Cette extraordinaire supériorité technique se manifeste dans tous les produits de la plastique égyptienne. Mais les véritables oeuvres d’art se distinguent surtout par l’excellente reproduction du visage et le sentiment profond de la nature, qui se reconnaît surtout dans la représentation de la vie animale."
Une journée en Égypte avec… Jean-François Champollion
Statue de Ramsès au temple d'Ibsambul, photo de H. Béchard |
"Le grand temple d'Ibsamboul vaut à lui seul le voyage de Nubie : c'est une merveille qui serait une fort belle chose, même à Thèbes. Le travail que cette excavation a coûté effraye l'imagination. La façade est décorée de quatre colosses assis, n'ayant pas moins de soixante-un pieds de hauteur : tous quatre, d'un superbe travail, représentent Rhamsès le Grand ; leurs faces sont ‘portraits’ et ressemblent parfaitement aux figures de ce roi qui sont à Memphis, à Thèbes et partout ailleurs. C'est un ouvrage digne de toute admiration.
Telle est l'entrée ; l'intérieur en est tout à fait digne, mais c'est une rude épreuve que de le visiter. À notre arrivée, les sables, et les Nubiens qui ont soin de les pousser, avaient fermé l'entrée. Nous la fîmes déblayer ; nous assurâmes le mieux que nous le pûmes le petit passage qu'on avait pratiqué, et nous prîmes toutes les précautions possibles contre la coulée de ce sable infernal qui, en Égypte comme en Nubie, menace de tout engloutir. (...)
La première salle est soutenue par huit piliers contre lesquels sont adossés autant de colosses de trente pieds chacun, représentant encore Rhamsès le Grand : sur les parois de cette vaste salle règne une file de grands bas-reliefs historiques, relatifs aux conquêtes du Pharaon en Afrique ; un bas-relief surtout, représentant son char de triomphe, accompagné de groupes de prisonniers nubiens, nègres, etc. de grandeur naturelle, offre une composition de toute beauté et du plus grand effet.
Les autres salles, et on en compte seize, abondent en beaux bas-reliefs religieux, offrant des particularités fort curieuses. Le tout est terminé par un sanctuaire, au fond duquel sont assises quatre belles statues, bien plus fortes que nature et d'un très bon travail. Ce groupe, représentant Ammon-Ra, Phré, Phtha, et Rhamsès le Grand assis au milieu d'eux, mériterait d'être dessiné de nouveau."
(extrait de "Lettres écrites d'Égypte et de Nubie en 1828 et 1829")
Une journée en Égypte avec… Jean-Philippe Lauer
"Depuis près de 5.000 ans que les pyramides de Guizeh, telles trois gigantesques bornes, dressent leurs passes imposantes à la limite géographique précise où la vallée du Nil s’ouvre en éventail pour former son delta, elles n’ont cessé de susciter auprès d’innombrables visiteurs les sentiments les plus vifs d’admiration, d’étonnement ou parfois même d’indignation. De nos jours, plus que jamais, bien rares sont les voyageurs qui, touchant le sol de l’Égypte, ne tentent l’impossible pour atteindre le Caire dans le dessein d’emporter au moins, si le temps de l’escale ne permet pas d’aller jusqu’au pied même des pyramides, la vision lointaine de leurs fameuses silhouettes géométriques. Cette vision est, d’ailleurs, l’une des plus belles impressions que l’on puisse en garder ; cela surtout si l’on a la chance de les apercevoir à l’aurore quand, teintées de rose ou de bleu suivant l’orientation de leurs faces, elles surgissent des brumes de la vallée, qu’elles semblent déchirer de leurs pointes, soit vers le soir lorsqu’elles reflètent les tons si ardents du soleil couchant sur le désert, ou quelques minutes plus tard au crépuscule, quand leurs triangles assombris se profilent sur un ciel tout embrasé.
À ces impressions pouvait s’ajouter autrefois en été, et ces dernières années encore au début de l’automne, le spectacle vraiment féerique de l’inondation du Nil. (...)
Cependant, si vives que soient ces impressions données par la vue panoramique des pyramides dans leur cadre grandiose, particulièrement aux saisons et aux heures plus belles, ce n’est pas tant cette émotion d’ordre purement artistique qui est recherchée par les voyageurs, que celle encore plus profonde généralement éprouvée en présence de ces impérissables témoins des premiers âges de l’Histoire, en même temps les plus vastes monuments que l’homme ait jamais construits. En effet, depuis leur création, ces édifices étonnants, classés par les Grecs au nombre des sept merveilles du monde, n’ont-ils pas cessé de symboliser l’Égypte, terre mystérieuse entre toutes, où d’innombrables vestiges de la civilisation réputée la plus ancienne semblent nous relier aux origines mêmes de l’humanité ? Et pour ressentir pleinement ce choc inoubliable, c’est bien au pied même des pyramides qu’il faut se rendre, si possible par nuit étoilée ou mieux encore par clair de lune. Leur masse énorme semble alors presque illimitée ; leurs faces et leurs arêtes s’estompent et se perdent à l’infini dans le ciel."
(extrait de "Le problème des pyramides d’Égypte", 1952)
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