samedi 20 août 2016

Dans la tombe des trois épouses étrangères de Thoutmosis III : Un pot d'anhydrite et d'or pour les huiles parfumées

Pot à large col et couvercle, portant le nom de Thoutmosis III - anhydrite et feuille d'or - XVIIIe dynastie - env. 1479-1425 av. J.-C.
provenant de la tombe des épouses étrangères de Thoutmosis III - Wadi Gabbanat el-Qurud, Wadi D - Thèbes Ouest
découverte, en été 1916, par des pilleurs du village de Gournah - Metropolitan Museum of Art de New York - 26.8.35a, b - photo du musée


La transparence, la finesse, la douceur, la blancheur de ce pot à large col, à panse ventrue et piédouche, sont rehaussées par la lumineuse présence d'une application de feuille d'or. Elle borde avec légèreté le haut du col, ainsi que le pourtour du pied et du couvercle, accentuant le côté délicieusement délicat et féminin de l'objet.

Ce pot n'est pas en albâtre comme il peut nous sembler de prime abord, mais en anhydrite, une roche sédimentaire que l'on trouvait semble-t-il, en Egypte, dans des carrières proches de la mer Rouge. "L'anhydrite blanche a parfois été confondue avec le travertin ou le calcaire, mais elle s'en distingue facilement par sa plus grande douceur." Est-ce pour cette raison qu'elle a été particulièrement utilisée dans la fabrication de flacons liés à la toilette, à la beauté et aux parfums ? Il s'avère aussi que : "les objets en anhydrite sont peu nombreux, que leur production a été très limitée dans le temps, ce qui est le signe que la ressource était rare et qu'elle a peut-être été épuisée au cours de la XVIIIe Dynastie" (Biri Fay, "Egyptian Duck Flasks of Blue Anhydrite").
Tombe de Menna - TT 69 - Nécropole de Sheikh Abd el-Gournah
Porteuses d'offrandes avec des vases de pierre contenant probablement des onguents, parfums et huiles 

Il était destiné à contenir un liquide rare et précieux. Ainsi le Metropolitan Museum of Art de New York, où il est exposé  sous le n° 26.8.35a, b, indique dans sa fiche descriptive : "Dans les peintures des tombes thébaines datant de la XVIIIe dynastie, les servantes sont parfois montrées, oignant les invités d'huiles parfumées et d'onguents stockés dans des petits pots de pierre de ce style."

Depuis la plus haute antiquité, l'usage d'onguents, de baumes, d'huiles parfumées est très répandu dans les classes aisées de la société. "Utilisées dans la vie de tous les jours, et notamment à l'occasion des fêtes, les substances parfumées avaient aussi une vocation sacrée." Elles avaient également un rôle primordial dans le rituel de l'embaumement.

Le couvercle ainsi que le corps du pot portent, gravé dans la pierre, le cartouche du pharaon Thoutmosis III, "Menkheperrê" (la manifestation de Rê demeure).
Représentation de Thoutmosis III coiffé de la couronne Atef provenant de son temple de à Deir el-Bahari
calcaire peint - XVIIIe dynastie - Musée de Louxor - J. 140.

Ce pot provient - ainsi qu'un nombre important d'autres modèles assez ressemblants -, de la tombe des "épouses étrangères" du pharaon. Menhet, Mertet et Menouay lui avaient été données en mariage afin d'asseoir des relations diplomatiques durables avec leur pays d'origine. Il est difficile de le situer précisément, mais il se pourrait que ce soit la Syrie, ou encore la Palestine.

Elles ont été inhumées, dans une sépulture "commune", la tombe 1 "Wadi Gabbanat el-Qurud, Wadi D", qui se situe sur la rive ouest de Louqsor, au sud de l'actuel monastère copte "Deir el-Mohareb". Cet endroit doit son nom au fait que des tombes de singes y ont été découvertes. "Cette vallée, des plus pittoresques, est bordée de chaque côté par d'énormes falaises creusées dans le calcaire du 'crétacé' qui s'élèvent à des hauteurs vertigineuses" précise Christine Lilyquist dans "The Tomb of Three Foreign Wives of Tuthmosis III".
Pot à large col et couvercle, portant le nom de Thoutmosis III - anhydrite et feuille d'or - XVIIIe dynastie - env. 1479-1425 av. J.-C.
provenant de la tombe des épouses étrangères de Thoutmosis III - Wadi Gabbanat el-Qurud, Wadi D - Thèbes Ouest
découverte, en été 1916, par des pilleurs du village de Gournah - Metropolitan Museum of Art de New York - 26.8.35a, b - photo du musée

La tombe, découverte en été 1916 par des pilleurs du village voisin, se révélera inviolée. Bien que des pluies torrentielles aient causé des dégâts irréversibles sur certains objets, comme ceux en bois par exemple, ils y trouvent un trousseau funéraire d'une richesse incroyable !

Bijoux, ceintures, perruques, vases canopes, sandales en or, vases, miroirs, objets de toilette, etc., d'un luxe inouï, accompagnaient les trois épouses pour leur "éternité"…

Les pilleurs partagent alors entre eux le butin mais les moyens de l'écouler sont restreints. Aussi, une grande partie des artefacts se retrouvera-t-elle quelques mois plus tard en vente chez un antiquaire bien connu sur la place de Louqsor, Mohamed Mohassib.

Howard Carter s'intéresse de près à cette découverte ; il servira d'ailleurs d'intermédiaire entre le revendeur et le Metropolitan Museum of Art de New York. Ayant mené à bien les tractations,  les pièces partent vers les Etats-Unis... Elles  vont enrichir, par leur présence et leur beauté, le département égyptien du musée, tout nouvellement créé. 
Pots provenant de la tombe des épouses étrangères de Thoutmosis III - Wadi Gabbanat el-Qurud, Wadi D - Thèbes Ouest
découverte, en été 1916, par des pilleurs du village de Gournah - Metropolitan Museum of Art de New York  - photo du musée

Au cours des années suivantes, à de multiples occasions, d'autres objets provenant - ou "pouvant provenir" - de la tombe, se retrouveront sur le marché des antiquités. Le musée - par le biais de ses généreux donateurs - tiendra sa ligne de conduite et mettra alors tout en oeuvre pour les acquérir, de façon à reconstituer le fabuleux trésor des trois épouses étrangères de Thoutmosis III…

marie grillot

sources :
Wide-necked jar and lid naming Thutmose III
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/547632
Thomas Garnet Henry James, Howard Carter, The path to Tutankhamun, TPP, 1992
Christian Leblanc,Reines du Nil, Bibliothèque des introuvables,  2009
Christiane Ziegler, Reines d'Egypte, Somogy éditions d'art, Grimaldi Forum, 2008
Christine Lilyquist, James E. Hoch, A. J. Peden, The Tomb of Three Foreign Wives of Tuthmosis III, The Metropolitan Museum of Art, New York, 2003
https://books.google.fr/books?id=V1Aj5LRDGdcC&pg=PA186&lpg=PA186&dq=Lila+Acheson+Wallace+Fund+gift+MMA&source=bl&ots=0SIdBmdzGB&sig=24knFvBc9hJcphaPweeFHKiSxpI&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjhnuHav4fNAhVHWhoKHbOeB8UQ6AEIHDAA#v=onepage&q=Lila%20Acheson%20Wallace%20Fund%20gift%20MMA&f=false
https://archive.org/stream/TheTombofThreeForeignWivesofTuthmosisIII/TheTombofThreeForeignWivesofTuthmosisIII_djvu.txt
Cyril Aldred Jewels of the Pharaohs ed Thames & Hudson Ltd. Londres, 1978
http://uu.diva-portal.org/smash/get/diva2:232265/FULLTEXT01.pdf
Biri Fay, Egyptian Duck Flasks of Blue Anhydrite,  Metropolitan Museum Journal, 33, New York, pp. 23-48, 1998,
Paul T. Nicholson, Ian Shaw, Ancient Egyptian Materials and Technology, Cambridge University Press, 2000
https://books.google.fr/books?id=Vj7A9jJrZP0C&pg=PA320&lpg=PA320&dq=hippopotamus+ivory+ancient+egypt&source=bl&ots=zu-3lexGEr&sig=k0SLNqWaNjmt0kWRzuvBnIZR_ao&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjavrHH0L_dAhWtzIUKHTDbBFUQ6AEwC3oECAQQAQ#v=onepage&q=hippopotamus%20ivory%20ancient%20egypt&f=false

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