Une journée en Égypte avec… Christiane Desroches-Noblecourt
Palmiers et pyramides - photo de Zangaki, 1880 |
"(...) les manuels techniques sur l’art de bâtir, les livres d’enseignement scientifique de l’antique Égypte ont disparu, mais lorsque des témoignages ont pu être épargnés du désespérant naufrage des bibliothèques, on est alors informé du niveau très affirmé des connaissances acquises par les vieux Égyptiens (ce cas se présente très clairement pour la science médicale, par exemple).
Est-il besoin de signaler la splendeur et l’originalité de l’architecture monumentale de ce pays ? Ce qui en subsiste parle de lui-même, bien que, pour l’édification des célèbres pyramides de l’Ancien Empire, les meilleurs de nos architectes et ingénieurs continuent encore à s’efforcer, en sondant les entrailles de la Grande Pyramide, de retrouver les méthodes utilisées par les géniaux architectes.
Il n’est pas nécessaire, non plus, d’évoquer la si haute technicité, alors que nous ne pouvons pas nous-mêmes établir par quel procédé les ouvriers du souverain pouvaient extraire les immenses blocs de diorite (ou de dolérite), pour fournir aux temples les chefs-d’oeuvre de la statuaire ! (...)
Ces gigantesques constructions de pierre, à la mesure d’un peuple de géants, et dont on a peine à évaluer la masse, tant elles sont admirablement proportionnées, avaient été conçues par des bâtisseurs tributaires de leur environnement.
À l’immensité plate du désert qui flanquait de près les deux rives du Nil, les Égyptiens n’avaient pu opposer que des monuments massifs, aux lignes pures et géométriques. Ils érigèrent, alors, avec bonheur, pyramides et pylônes de temples.
Ces formes si particulières convenaient admirablement au seul horizon égyptien, et les modestes copies qu’elles inspirèrent par la suite ne furent guère heureuses.”
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Une journée en Égypte avec… Théophile Gautier
Roue à eau - photo de Zangaki |
"Du côté opposé au lac Mariout s'élevaient, au milieu de jardins d'une végétation luxuriante, les maisons de plaisance des riches négociants de la ville, des fonctionnaires et des consuls, peintes de couleurs gaies, bleu de ciel, rose ou jaune, avec des rechampis blancs ; et, de loin en loin, les grandes voiles des canges allant à Fouah ou à Rosette par le canal Mahmoudieh, dessinaient leurs angles au-dessus de la ligne des cultures et paraissaient cheminer en pleine terre. (...)
Quand s'arrête l'eau amère, l'aspect du pays change, non par transitions graduées, mais subitement : ici l'aridité absolue, là une fertilité exubérante. Partout où l'irrigation peut amener une goutte d'eau, naît une plante. La poussière inféconde devient un terreau productif. Ce contraste est des plus frappants.
Nous avions dépassé le lac Mariout, et de chaque côté du chemin de fer s'étendaient des champs de dourah, de maïs et de cotonniers à divers états de croissance, les uns ouvrant leurs jolies fleurs jaunes, les autres répandant la soie blanche de leurs coques. Des rigoles pleines d'une eau limoneuse traçaient sur la terre noire des lignes que la lumière faisait briller çà et là, alimentées par des canaux plus larges dérivés du Nil. De petites digues de terre battue facilement, ouvertes d'un coup de pioche, retenaient les eaux jusqu'à l'heure de l'arrosement, et, pour l'élever à des niveaux supérieurs, les roues grossières des saqquiehs tournaient, mises en mouvement par des buffles, des boeufs, des chameaux ou des ânes. Quelquefois même, deux robustes gaillards tout nus, fauves et luisants comme des bronzes florentins, debout sur le bord d'un canal, balançant comme une escarpolette une corbeille de sparterie imperméable suspendue à deux cordes dont ils tenaient les extrémités, effleuraient la surface de l'eau et l'envoyaient dans le champ voisin avec une dextérité étonnante.
Des fellahs, en courte tunique bleue, labouraient tenant le manche d'une charrue primitive, attelée d'un chameau et d'un boeuf à bosse du Soudan. D'autres ramassaient le coton et les râpes de maïs ; ceux-ci creusaient des fossés, ceux-là traînaient des branches d'arbres en manière de herse sur les sillons, quittés à peine par l'inondation. C'était partout une activité qui ne s'accorde guère avec la traditionnelle nonchalance orientale."
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Une journée en Égypte avec... Amelia B. Edwards
Temple de Karnak - photo de Zangaki |
"La célèbre Salle Hypostyle de Séti Ier... C’est un lieu qui a été souvent décrit et peint ; mais rien de tout cela n’a pu transmettre autre chose qu’une impression pâle et dégradée de l’ensemble. Il est impossible de le décrire à l’aide des mots en en donnant une image reconnaissable. Les proportions sont trop grandes ; l’effet trop grandiose ; on est trop écrasé par le sentiment de sa propre petitesse et de sa faiblesse, de sa propre incapacité à parler. C’est un lieu qui oblige à se taire, et qui semble vous laisser non seulement sans mots, mais aussi sans idées. Et ce n’est pas seulement la première impression. Plus tard dans l’année, quand nous nous amarrâmes près du temple à notre retour, nous passâmes de longues journées dans les ruines : je me suis alors rendu compte que je n’avais jamais rien à dire dans la Grande Salle. D’aucuns peuvent mesurer la circonférence de ces immenses colonnes, d’autres grimper ici et là pour découvrir de nouveaux points de vue ou vérifier l’exactitude de Wilkinson et Zincke. Quant à moi, je ne pouvais que regarder et me taire.
Cependant, regarder c’est déjà quelque chose, si on peut au moins retenir ce qu’on voit ; et la Grande Salle de Karnak restera photographiée dans quelque recoin obscur de ma conscience tant que j’aurai de la mémoire."
(extrait de "A Thousand Miles up the Nile" - traduction proposée par Sarga Moussa, dans Le voyage en Égypte, Robert Laffont, 2004)
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