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| Tombe de Pasaba - TT279 - El-Assasif - photo Marie Grillot |
Le poisson a sa place dans la mythologie de l’Égypte ancienne. Il y est représenté par l’oxyrhynque : ce "brochet du Nil", lié aux déesses Hathor, Isis et Thouéris, est vénéré dans la région du XIXe nome de Haute Égypte, tout en ayant la sinistre réputation d’avoir avalé le pénis d’Osiris dont le corps a été dispersé en 14 morceaux par son frère Seth. Le mulet, qui remonte de la Méditerranée jusqu’à la Première Cataracte sur le Nil, est le héraut de Hâpy, personnification divine du Nil. Le tilapia, dont certaines espèces présentent la particularité d’incuber leurs oeufs dans la bouche, est associé au dieu Atoum qui prit sa semence dans sa bouche pour engendrer le monde. Hatméhyt est la déesse poisson de la ville antique de Mendès, dans le delta du Nil : elle est représentée avec un poisson sur la tête (un dauphin ? un Schilbe mystus ? un Barbus bynni ?).
Du caractère sacré du poisson naît son interdit, mais celui-ci n’est en réalité imposé qu’aux prêtres et au roi, car les bords du Nil, le Delta, les marécages, les canaux et certains lacs sont très propices à la pêche qui contribue largement, après les céréales, à l’alimentation du peuple. Cette activité est donc pratiquée pour répondre aux besoins de la vie quotidienne, puis, progressivement, à des fins de loisirs, notamment pour le pharaon et les notables de la société. Les produits de la pêche faisaient également l’objet de commerce ou de troc, le poisson étant proposé soit frais, soit séché pour être mieux conservé.
Les techniques de pêche, que l’on voit reproduites sur les murs de certaines tombes, sont, en fonction du matériel utilisé, soit collectives, soit individuelles.
La pêche à la senne, pratiquée surtout dans les marais : "pour le compte des maisons des nobles et des grands fonctionnaires" précise Guillemette Andreu, nécessite une dizaine d'hommes, deux barques et un chalut fusiforme en lin, muni de flotteurs en bois ou en liège d’un côté et de lests en argile de l’autre. Le filet est tiré entre les deux embarcations, puis remorqué jusqu'à la berge, les pêcheurs progressant dans l'eau pour encercler le banc de poissons captif.
Technique plus simple, la pêche à la nasse s’effectue avec un piège en osier en forme de bouteille ou à deux compartiments, aussi bien en eau profonde que sur les rivages du fleuve. "Du côté du goulot, on dispose un bouchon ou un noeud coulissant tandis que l’autre extrémité est obturée par un rideau de tiges souples qui laissent passer le poisson et se referment aussitôt après."(G. Andreu) Le piège est placé "stratégiquement" sur l’itinéraire de migration des poissons, ou bien à proximité de la végétation submergée où les poissons se sont réfugiés.
De tous les systèmes de pêche (et de chasse) connus, le plus ancien est sans doute le harpon. Les pêcheurs y ont recours pour les poissons de grande taille… et pour chasser les redoutables hippopotames qui représentent pour eux une menace très fréquente. Sur cette technique de pêche, Guillemette Andreu apporte la précision suivante : "(elle) est un privilège réservé à la classe sociale la plus élevée, celle des courtisans ou des grands propriétaires du pays. Ils la pratiquaient comme un divertissement sportif qui leur permettait d’oublier leurs soucis lors de leurs sorties à la campagne."
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| Tombe de Mérérouka - Saqqarah |
La technique la plus légère, utilisée surtout pour subvenir aux besoins personnels, est la pêche à l’épuisette ou la pêche à la ligne. En fibres de lin, la ligne est équipée d’un ou de plusieurs hameçons en bois, ivoire ou os (plus tard en métal) et lestée avec de l’argile ou du plomb. Comme appâts, le poissons ont au menu du pain rassis, des insectes, de petits morceaux de dattes ou de viande… ou même de petits poissons, mais surtout pas - ô sacrilège ! - de la même espèce. Un maillet de bois, le cas échéant, met fin à une prise plutôt longuette ou difficile.
Les tombes, semble-t-il, ne révèlent pas l'utilisation de cannes ou de flotteurs de pêche au cours des dynasties les plus anciennes. Par contre, ce matériel fera son apparition par la suite, bien qu’il soit difficile d’apprécier la période exacte de cette nouveauté.
L’élevage du poisson est une pratique ancienne en Égypte : elle remonterait à 2000 ans av. J.-C. Mais le pays est alors peu peuplé et ses réserves halieutiques sont très abondantes. Il n’est donc alors nul véritable besoin d’avoir recours à cette pratique. Il n’en est évidemment plus de même dans l’Égypte contemporaine, avec ses 90 millions d’habitants, où l’on s’intéresse de plus en plus à l’aquaculture. Mais ceci est une autre histoire...
| Tombe de Mérérouka - Saqqarah |
Pour habituelle, voire indispensable qu’elle soit, la pêche n’en est pas pour autant une sinécure, sauf évidemment lorsqu’elle est pratiquée comme loisir. Les conditions de travail des pêcheurs sont rudes. De nombreux dangers guettent le pêcheur : les crocodiles qui se prélassent dans les eaux du Nil, guettant sournoisement leurs proies ; les hippopotames aux dimensions impressionnantes ; les parasites aquatiques, tout aussi nuisibles, voire davantage, que les pachydermes, à l’origine de ce mal endémique qu’est la bilharziose. La noyade, finalement, n’est pas exclue des risques encourus par les pêcheurs qui, bien que vivant sur les rives du Nil, ne savent pas nécessairement nager.
En dépit de ces risques encourus, comme rien ne peut être totalement banal dans l’Égypte ancienne, la pêche : "immémoriale et quotidienne (...) se transforme sur le plan du mythe et du rite. Elle sait rendre à un dieu mutilé son intégrité vitale (...). Et quand, dans un hypogée thébain, les bourgeois défunts prennent délicatement à la ligne les beaux chromis, fastes entre les poissons, on se demande si ce jeu confortable ne cache pas une pêche du bonheur éternel." (Jean Yoyotte, Dictionnaire de la civilisation égyptienne)
Marc Chartier
sources :
Guillemette Andreu, Images de la vie quotidienne en Égypte au temps des pharaons, Hachette, 1992
https://www.wikiwand.com/fr/M%C3%A9tiers_dans_l'%C3%89gypte_antique
http://therockyriver.com/fishing-in-ancient-egypt/
https://ema.revues.org/1081
http://www.osirisnet.net/tombes/nobles/menna69/menna_08.htm




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