Dame Nay est sculptée, en ronde bosse, dans un bois que l'on a longtemps assimilé à une essence conifère mais qu'une analyse de la xylologue Victoria Asensi Amoros a révélé, en 2016, être du buis.
Une grande douceur, une infinie féminité se dégagent de cette statue, un sentiment d'élégance aussi… C'est une noble dame que l'on imagine menue (mais peut-être cette impression est-elle due à la hauteur de la statue : 31 cm ?) et soucieuse de son apparence. Elle est représentée dans la position "conventionnelle" de la marche, jambe gauche légèrement avancée. Les pieds sont nus et les orteils, bien dessinés, reposent sur un socle épais réalisé en perséa.
Le regard est immédiatement attiré par son imposante perruque noire ornée d'un bandeau de couleur or qui lui ceint la tête, comme une couronne. Les cheveux, soigneusement tressés, descendent de façon très disciplinée, jusque sous les épaules. Dans "L'Art égyptien au Louvre", Florence Maruéjol nous rappelle les phases de la toilette et du coiffage : "Après s'être lavés, maquillés, enduits d'onguents et de parfums l'Égyptien et l'Égyptienne se font coiffer. Habituellement, ils portent des perruques bouclées, plus ou moins longues selon la mode de l'époque. Servantes ou serviteurs s'appliquent à former les boucles à l'aide d'épingles en bois en prenant tout le temps nécessaire"…
Son charmant visage, aux joues rondes est animé par des yeux étirés, cernés de kohol et surmontés de sourcils fins. Son nez est bien dessiné et ses lèvres ourlées semblent esquisser un sourire. Un collier d'or à plusieurs rangs orne son cou.
Elle est vêtue d'une robe, longue et moulante, qui ne cache rien de ses formes. Ce vêtement est agrémenté d'un liseré blanc qui semble prendre naissance sous la poitrine, puis descend jusqu'aux chevilles.
Le bras droit est pendant le long du corps. La main n'est pas totalement fermée, un petit espace circulaire demeure qui laisse penser qu'elle devait tenir un objet, aujourd'hui disparu. Le bras gauche est replié sous la poitrine et elle tient, dans sa main, une fleur de lotus qui trouve en partie la place de s'épanouir entre les seins. Ses poignets sont ornés de larges bracelets d'or.
Jean-François Champollion la présente très succinctement, sous la réf. G. 85, dans sa "Notice descriptive des Monuments égyptiens du Musée Charles X, 1827" : "Bois dur - Une femme nommée Naï, debout, vêtue d'une longue tunique à franges, chevelure nattée". Quant à Gaston Maspero, il nous apporte ces informations dans "Essais sur l'art égyptien" : "La statuette est peinte en rouge sombre" écrit-il avant de préciser : "deux inscriptions gravées, puis peintes en jaune sur le socle, nous enseignent le nom de la femme et celui de l'individu qui dédia la statue. L'une, tracée sur le plat, est ainsi conçue : à Phtah Sokar-Osiris, dieu grand, prince de l'éternité, pour qu'ils donnent toute sorte de choses bonnes et pures au double de la dame Nay, juste de voix, parfaite. L'autre est tracée sur le côté droit, elle dit : c'est son frère qui fait vivre son nom, le domestique Phtah-Mai". Ce frère, 'auditeur de justice', ne jouissait donc pas d'un rang très élevé ce qui fait dire à Maspero que : "la finesse du monument qu'il consacre à la mémoire de sa sœur n'en est que plus remarquable".
Ainsi, après que cette statuette ait été commandée par cet homme attristé par la perte d'une sœur aimée, après qu'elle ait été sculptée, polie, peinte, par un artisan - extrêmement talentueux du Nouvel Empire -, après qu'elle ait été déposée dans sa demeure d'éternité, avec certainement une intense émotion, quelle est la personne qui l'a sortie d'un si long oubli, rendant possible le fait que son nom soit à nouveau prononcé et qu'ainsi, elle revive ? Etait-ce un habitant de Gournah ? Ou bien Giovanni Battista Belzoni ou encore Giovanni Athanasi qui travaillaient pour le consul anglais Henri Salt dans les nécropoles thébaines ?
Ce que nous pouvons affirmer c'est qu'elle faisait partie de la "première collection Salt", constituée entre 1819 et 1824, qui arriva à Livourne - en Italie - fin 1825 - début 1826.
Jean-François Champollion souhaite ardemment que cette riche et importante collection soit acquise par la France mais Charles X est difficile à convaincre... Il revient donc à la charge, fait appuyer sa requête par des personnes influentes (comme les "Noailles, Saint Priest, Férussac" ou encore "le Dauphin et le fils de Doudeauvillle" cités notamment par Alain Faure dans "Champollion, le savant déchiffré"), une commission est même créée… Mais le souverain hésite … Finalement, afin de se faire une juste opinion, il : "confia au Duc de Blacas, qui repartait comme ambassadeur en Italie la mission d'évaluer les antiquités égyptiennes entreposées à Livourne. Son rapport confirma le jugement de l'enthousiaste Jean-François : cette nouvelle collection, certes inférieure à celle de Turin par le nombre et la dimension des objets qui la composaient, constituait néanmoins une occasion unique pour la France de former un véritable musée égyptien. Malgré toutes les intrigues des ennemis des frères Champollion, Charles X se rallia à l'opinion de son ambassadeur et ratifia l'achat de la collection en février 1826 au prix demandé de 250.000 francs" précise Jean-Jacques Fiechter dans "La moisson des Dieux".…
Le 15 mars 1826, Jean-François Champollion, mandaté par le roi, arrive à Livourne afin de dresser l'inventaire descriptif des 4014 pièces, parmi lesquelles "Dame Nay".
Son travail terminé, il attendra : "la venue du vaisseau chargé de transporter la lourde marchandise d'antiquités vers Paris. Le 24 juin au soir, la gabarre 'La Durance' entre dans le port de Livourne. Le 8 juillet au soir, l'embarquement des 17 caisses est terminé. Le 10 juillet, il écrit ces mots à son frère : 'La collection est toute entière à bord de la Durance depuis avant-hier au soir. Elle en a plein son ventre et quoique le chargement soit très fort, le commandant Maulas, bon garçon, vrai main, dans la force du terme, répond qu'il transportera le tout au Havre sans encombre" (Karine Madrigal, "Champollion"). Jacques-Joseph Champollion s'y rendra fin août afin de surveiller le "débarquement" des précieuses antiquités, tout comme il veillera à leur chargement sur une péniche afin qu'elles puissent, par la Seine, rejoindre Paris ou Jean-François les réceptionnera fin novembre 1826.
C'est après ce long périple que la belle thébaine - enregistrée N 871 au Département des antiquités égyptiennes - est devenue … parisienne !
marie grillot
sources :
Statue de "Dame Nay" - Département des Antiquités égyptiennes - N 871
http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=11784&langue=fr
Lettres de Champollion le jeune. Lettres écrites d'Italie / recueillies et annotées par H. Hartleben, E. Leroux Paris, 1909, p. 365
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k116409/f421.item.r=colosse.texteImage
Gaston Maspero, Essais sur l'art égyptien, E. Guilmoto Editeur, Paris, 1912
https://archive.org/details/essaissurlartg00maspuoft
https://archive.org/stream/essaissurlartg00maspuoft/essaissurlartg00maspuoft_djvu.txt
Charles Boreux, Guide-catalogue sommaire, 2, Salles du premier étage, salles Charles X, Musée du Louvre, Département des Antiquités égyptiennes, Paris, Musées Nationaux, 1932, p. 486-487, pl. LXVIII g
Jean Lacouture, Champollion, une vie de lumières, Grasset, 1988
Florence Maruéjol, L'Art égyptien au Louvre, Musée du Louvre, Paris, Scala, 1991, p. 55
Alain Faure, Champollion, le savant déchiffré, Fayard, 2004
Sylvie Guichard, Jean-François Champollion, Notice descriptive des monuments égyptiens du musée Charles X, Editions Khéops, Louvre Editions, 2013, p. 187, G. 85
Karine Madrigal, Champollion, ellipses, 2024




Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire