mercredi 1 juin 2016

Le "bel aqueduc" du vieux Caire

L'aqueduc du Caire - Aquarelle de David Roberts (1796-1864)

Le Caire, lit-on dans le vol. 6 de la "Bibliothèque historique et militaire", édité en 1842 : "est dominé par une citadelle placée sur un mamelon qui commande toute la ville. Elle est séparée du Mokattam par un vallon. Un aqueduc, ouvrage assez remarquable, porte de l'eau à la citadelle. Il y a, à cet effet, au vieux Caire une énorme tour octogone très haute qui renferme le réservoir où les eaux du Nil sont élevées par une machine hydraulique, et d'où elles entrent dans l'aqueduc. La citadelle tire aussi de l'eau du puits de Joseph, mais cette eau est moins bonne que celle du Nil". 

Pour faire face aux besoins en eau de la Citadelle, occupée notamment par de nombreux militaires, Saladin (Ṣalâḥ ad-Dîn Yûsûf) fait en effet creuser un puits qui portera son nom : “Bir Yûsûf”. Quoique vitale, l’eau qui sort de cette précieuse source est toutefois en quantité insuffisante. De surcroît, elle est un peu trop salée, comparée à celle, si appréciable, du Nil. La décision est donc prise de compléter l’approvisionnement par la construction d’un aqueduc alimenté par les eaux du fleuve.
L'aqueduc du Caire

Le projet de cette construction est attribué à Saladin lui-même. Mais il est surtout l’oeuvre des sultans al-Nasir Muhammad ibn Qalawun (souverain d’Égypte de 1293 à 1341), Qaytbay (1468-1496) et Qansuh al-Ghouri (1501-1516). 

Concernant ce dernier souverain, André Raymond écrit : "Pour entretenir ses plantations, Ghûrî décida de démolir le vieil aqueduc du Vieux-Caire et de le refaire à neuf. Les ingénieurs placèrent le point de départ au débarcadère du Fourrage : on y construisit un puits communiquant avec le Nil ; six roues à eau ('sâqiyya'), mues par des boeufs, faisaient monter l’eau dans la canalisation. L’aqueduc, bâti sur des arcs reposant sur des piliers, se dirigeait vers l’est en reprenant le tracé de l’aqueduc de Nâsîr, rattrapait le mur de Saladin, obliquait ensuite vers le nord-est et aboutissait à l’Hippodrome et à la Citadelle".
L'aqueduc du Caire

Dans son ouvrage "Le Caire et ses environs : caractères, moeurs, coutumes des égyptiens modernes" (1883), Henry de Vaujany décrit ainsi l’ouvrage : “L'aqueduc qui conduisait autrefois l'eau à la Citadelle a sa prise sur le petit bras du Nil qui sépare le Vieux-Caire de l’île de Raoudah. Une citerne placée au centre d'une grande et massive tour hexagone communiquait avec le fleuve par un canal souterrain. Ce bâtiment, aujourd'hui hors d'usage, est divisé en plusieurs étages contenant diverses salles que les Français utilisèrent à l'époque de l'expédition pour en faire un poste militaire d'observation. La partie supérieure, à laquelle on arrive par des plans inclinés extérieurs, est terminée par une plate-forme au milieu de laquelle était un vaste bassin alimenté par six saqiehs qui élevaient l'eau d'une profondeur de vingt-cinq mètres. L'aqueduc se dirige vers la Citadelle en suivant une ligne brisée sur une longueur de 3.200 mètres jusqu'au Bab-el-Qarâfeh, où se trouve un second bâtiment semblable au premier, également pourvu de saqiehs qui élevaient l’eau jusqu'à un autre réservoir placé à 20 mètres au-dessus de l’aqueduc. L'eau s'écoulait de nouveau et venait alimenter un troisième réservoir établi à 320 mètres du précédent, un peu au-delà du Bab-el-Arab, et à une hauteur de 20 mètres ; de ce point un canal de 300 mètres creusé dans le roc conduisait l'eau dans l'intérieur de la Citadelle où elle était encore élevée une dernière fois à 20 mètres, pour s'écouler ensuite par des rigoles sur différents points de la forteresse. Il résulte des chiffres donnés plus haut que la longueur totale de l'aqueduc dépassait 3.800 mètres et que l'eau, après avoir passé successivement par les diverses machines élévatoires, arrivait à une hauteur de 85 mètres au-dessus du niveau moyen du Nil".

Un détail technique ajouté par Henry de Vaujany dans sa relation : "Les pierres employées pour sa construction furent enlevées, suivant l'usage, aux monuments funéraires de Memphis". Pourquoi aller chercher au loin des matériaux de construction alors que l’on en a à portée de main ou presque ? Les pyramides de Guizeh en savent quelque chose !

Le Caire. Vue générale du vieux Caire, aqueduc romain, pyramides

 Photochromie PZ - Photoglob Zurich - 1895


De passage au Caire au début du XVIIIe siècle, le sieur Lucas y va également de sa description du "bel aqueduc" : "(...) j’allai au Caffer (sic) voir le lieu où il y a des saques qui tirent l’eau du Nil, qui vient par un canal qui est sous terre, dans un grand puits, d’où on la fait aller dans un aqueduc qui la conduit au Château du Grand Caire. Ce lieu est un gros bâtiment octogone, construit de pierres de taille, qui a six grandes fenêtres en forme d’arcades longues ; on monte à la terrasse qui est sur cet édifice, par un chemin fort large et fort aisé, et c’est là où il y a six pousaraques (pompes à chapelets(, à chacun desquels est attachée une paire de boeufs, qui font tourner des roues pour faire monter l’eau d’un bassin qui est en bas, à fleur de terre, où elle est conduite par trois autres pompes d’un lieu qui est à 50 pas. L’eau étant montée sur le haut de la terrasse entre dans un grand bassin, d’où elle tombe dans l’aqueduc, qui va la porter dans le Château du Caire. Cet aqueduc a 319 arcades, et l’on peut juger par là de la grande dépense qu’il a fallu faire pour avoir cette commodité".

Le "bel aqueduc" connaîtra malheureusement un déclin anticipé, à cause de cette fâcheuse habitude qu’ont les armées à faire table rase du passé là où elles font progresser leurs troupes conquérantes. Ainsi de l’armée de Bonaparte qui, débarquant au Caire, se presse d’appliquer l’une des règles premières de toute stratégie militaire : "Qui tient les hauts tient les bas !" Une fois certaines arches bouchées, sans doute pour empêcher toute circulation incontrôlable en contrebas, l’aqueduc devient un observatoire et une vraie fortification pour la mise en place de canons. À la décharge, si l’on peut dire, de Bonaparte, seules certaines portions de l’aqueduc subiront une telle désaffectation. La longueur subsistante de l’ouvrage dans sa fonction première est d’environ 3 km. Il est considéré, rappelle Tarek Torky dans "Discover Islamic Art" : "comme l'un des plus beaux de ce type aussi bien en Égypte que dans le monde islamique". 
L'aqueduc du Caire - photo Google Earth

En 2000, le ministre de la Culture égyptien a signé un contrat avec l’Unesco pour la restauration de l’aqueduc. En 2005, le Haut Conseil des Antiquités a lancé un plan de restauration de la tour des norias et de l'aqueduc lui-même.

Puis, après quelques années de mise en veille, le projet a repris. Ainsi, dans son article publié le 19 octobre 2018, Ramadan Al Sherbini, correspondant de "Gulfnews", annonçait : "Le gouvernement égyptien a dévoilé un plan de restauration de l’aqueduc dans le cadre d’un projet ambitieux visant à faire du Caire une ville patrimoniale et une attraction touristique alors que l’industrie touristique en difficulté du pays se remet d’une crise de sept ans". Il rapportait également les propos de Mohammad Abdul Aziz, chef du projet de développement historique du Caire : "L'objectif global est de parvenir à une harmonie architecturale, sociale et économique dans l'ensemble de cette zone, en intégrant la communauté locale à ce développement".

L'aqueduc du vieux Caire - Photo publiée dans le Daily News du 27 décembre 2020 

en illustration de l'article signé Mohamed Bassant


Le 22 juin 2020,  le Docteur Mostafa Waziri s'est rendu sur place afin de faire le point sur l'avancement du projet. Et, tout dernièrement, dans le Daily News du 27 décembre 2020, Mohamed Bassant titrait : "L'aqueduc de la citadelle du Caire sera l'une des principales attractions touristiques de l'Égypte d'ici 2021 - Le ministère du Tourisme va déplacer les occupants des zones entourant le mur historique".

La restaurant de cet ouvrage semble être sur la bonne voie et la suite de l’histoire de cet ouvrage d’art - qui n’a de "romain" que le qualificatif - appartient à ceux qui ont la charge de l’écrire et de la respecter.

Marc Chartier

sources :
http://egyptophile.blogspot.fr/2015/12/le-puits-de-joseph-de-leau-en-citadelle.html
http://whc.unesco.org/fr/soc/2425
http://www.cosmovisions.com/monuCaire.htm
http://www.discoverislamicart.org/database_item.php?id=monument;isl;eg;mon01;27;en
Henry de Vaujany, Le Caire et ses environs : caractères, moeurs, coutumes des égyptiens modernes, 1883
The Edinburgh encyclopaedia”, conducted by D. Brewster, 1830
André Raymond, Le Caire, Fayard, 1993
"Medieval Egypt aqueduct gets new lease of life" - Published:  October 19, 2018, Ramadan Al Sherbini, Correspondent Gulfnews
https://gulfnews.com/world/mena/medieval-egypt-aqueduct-gets-new-lease-of-life-1.2291166
"Cairo Citadel Aqueduct to be one of Egypt’s major tourist attractions by 2021 - Tourism Ministry to move out occupants from areas surrounding historical wall" - Article de Bassant Mohammed  publié dans le Daily News du 27 décembre 2020
https://dailynewsegypt.com/2020/12/27/cairo-citadel-aqueduct-to-be-one-of-egypts-major-tourist-attractions-by-2021/?fbclid=IwAR3xzJ5xlA2-_dIFBovsskOxv1PzEP7YWB7IZ8JBVHpH-NXVuI_U_ugYUAc

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