Des faucons, des lions ou tigres, des bouquetins ou antilopes, des chats ou chacals, des uraeus ailés, des vautours, des fleurs, des croix, des clochettes, … Cela ressemble presque à un "inventaire à la Prévert"… Tous ces éléments, en or repoussé, se retrouvent dans ce merveilleux collier "ousekh" de la reine Ahhotep I.
Empreint de finesse et d'élégance, il est en tous points digne d'une souveraine ! Emile Vernier le décrit, précisément et méthodiquement, dans son catalogue "Bijoux et orfèvreries", sous la référence CG 52072 :
"Un collier ouaskhit composé de quatorze rangs de petites pièces. Ces rangs ont pour point de fixation deux têtes de faucons et un rang horizontal de vingt petites pièces qui sont des demi-perles entourées d'un listel plat ; elles sont seules dans leur genre et elles seront nommées perle dans la suite de la description.
Les quatorze rangs sont composés ainsi qu'il suit, en commençant par les rangs intérieurs :
1 - Huit pièces de métal uni et plat; elles ont la forme de fers de lance, et la partie opposée à la pointe est pourvue d'un maillon de charnière.
2 - Vingt perles.
3 - Des lions poursuivant des bouquetins, onze pièces, cinq lions, six bouquetins.
4 - Vingt-huit perles.
5 - Dix-huit chats (?).
6 - Trente-six perles.
7 - Dix-neuf uraeus ailés.
8 - Sorte de lacis de corde, dix-huit pièces.
9 - Quinze vautours.
10 - Vingt-sept pièces semblables au n° 8.
11 - Seize antilopes, quatre bouquetins.
12 - Dix lions et quatre bouquetins.
13 - Trente-quatre petites croix
14 - Quarante et une clochettes ou schémas de lotus. Ces pièces sont, avec les têtes de faucons, les seules qui ont deux faces; elles sont munies d'un anneau qui indique des pendeloques. Toutes les autres possèdent un ou plusieurs anneaux placés dans les cavités données par les reliefs quand on regarde les objets au revers.
En tout 336 pièces".
Il apporte, en outre, une importante précision : "Ce collier a été constitué par tâtonnements successifs. Il n'y a pas de certitude quant à la place exacte des éléments; il est même assez difficile de comprendre le rôle joué par les têtes de faucons."
Quant à Gaston Maspero, il le présente ainsi, sous le n° 3564, dans le "Guide du visiteur au musée de Boulaq", 1883 : "Un des chapitres du Livre des Morts ordonnait de déposer sur la poitrine de la momie un large collier d'une forme particulière (ouoskh). Toutes les pièces réunies sous le numéro 3564 faisaient partie d'un collier de ce genre que portait la reine Ahhotpou. Les deux agrafes sont formées chacune d'une tête d'épervier; les rangs sont composés de cordes enroulées, de fleurs à quatre pétales en croix, d'antilopes poursuivies par des lions, de chacals accroupis, d'éperviers, de vautours et d'uraeus ailées. Toutes les pièces sont en or repoussé. Elles étaient cousues sur le maillot de la momie au moyen d'un petit anneau soudé par derrière".
Ce collier a été reconstitué, "ré-enfilé", sans certitude aucune que le résultat soit conforme à son aspect initial… Nous remarquons par ailleurs, sur les différents dessins ou photos, qu'au cours des années, le positionnement des pièces et pendeloques a été modifié.
L'imposant cercueil de bois doré de la reine Ahhotep I a été découvert, le 5 février 1859, couché à même le sable, dans un trou de 5 à 6 mètres de profondeur à Dra Abou el-Naga, sur la rive ouest de l'ancienne Thèbes.
Victor Gustave Maunier, prêteur sur gage, photographe et antiquaire à Louqsor, a ainsi informé le directeur des travaux d'antiquités d'Egypte : "Mon cher Monsieur Mariette, j'ai le plaisir de vous donner avis que vos reys de Gourneh ont trouvé à Dra Abou-Naggi, une magnifique boîte de momie … au couvercle entièrement doré … les yeux sont en émail enchâssés dans un cercle d'or ; sur la tête est un serpent uréus en relief, malheureusement le tête du serpent manque, elle devait être en or à en juger à la richesse de la boîte…". La momie de la reine y reposait, accompagnée d'un magnifique trousseau funéraire.
Auguste Mariette ordonne alors que l'ensemble lui soit renvoyé : "tout de suite à Boulaq par un vapeur spécial ; malheureusement, avant réception de cette lettre, le gouverneur de la province avait fait ouvrir le cercueil, par curiosité ou par zèle malentendu, on ne sait trop... On avait jeté comme de coutume la toile et les ossements pour ne conserver que les objets ensevelis avec la momie" est-il relaté dans "Mémoires et fragments de Théodule Devéria". Ce proche collaborateur de Mariette, qui était près de lui lors de ces incroyables évènements, poursuit ainsi son récit : "Munis d'un ordre ministériel conférant le droit d'arrêter tous les bateaux chargés de curiosités, et de les transborder sur notre vapeur, nous partîmes hier matin pour croiser sur le Nil, aussi haut que le manque d'eau nous permettrait d'aller. A peine arrivés au terme de ce que le Samanoud pouvait faire de route, nous aperçûmes venant à nous le bateau qui portait le trésor enlevé à la momie pharaonique. Au bout d'une demi-heure les deux vapeurs s'abordaient. Après force pourparlers accompagnés de gestes un peu vifs, M. Mariette propose à l'un de le jeter à l'eau, à un autre de lui brûler la cervelle, à un troisième de l'envoyer aux galères et à un quatrième de le faire pendre, etc,... On se décida enfin à mettre à notre bord, contre reçu, la boîte contenant lesdites antiquités". Un douloureux constat sera fait, ainsi relaté plus tard par Gaston Maspero : "la momie fut déshabillée dans le harem du moudir et une partie des objets qu'elle portait disparut dans l'opération" … Cependant, ce qui a été sauvé représente pas moins de deux kilos d'or : "de somptueux bijoux (colliers, bracelets, couronnes, diadèmes), un miroir, un éventail, des poignards, des haches, etc…
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| Auguste Mariette, égyptologue ( Boulogne-sur-Mer, 12 février 1821 - Le Caire, 18 janvier 1881) |
C'est, on imagine avec une immense fierté que, quelques semaines plus tard, Auguste Mariette pourra présenter le trésor aux : "membres du tout jeune Institut égyptien (ndlr nom "transitoire" de l'Institut d'Egypte) lors de sa première véritable première séance ; puis, à Paris, le 26 août 1859, à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. "Ils provoquèrent suffisamment de curiosité chez l'empereur Napoléon III pour que ce dernier décide de les faire photographier" !
Quelques années plus tard, en 1862, certaines pièces du trésor d'Ahhotep seront présentes à l'Exposition universelle de Londres. Puis, en 1863, lorsque, Boulaq accueillera le premier musée d'antiquités égyptiennes, bracelets, colliers, armes, barques, seront enfin exposés dans les vitrines, pour le plus grand plaisir des visiteurs.
En 1867, plusieurs artefacts retourneront à Paris afin d'être présentés dans le Pavillon égyptien de l'Exposition universelle …
marie grillot
sources :
Auguste Mariette-Bey, Album du musée de Boulaq comprenant quarante planches, photographiées par MM. Delié et Béchard, Editeur Mourès, Le Caire, 1872
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8626090c/f15.image.r=auguste+mariette.langFR
Gaston Maspero, Guide du visiteur du musée de Boulaq, édition 1883, TYP. Adolphe Holzhausen, Vienne, 1883
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6305105w.texteImage
Gaston Maspero, L'archéologie égyptienne, A. Quantin Editeur, Paris, 1887
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k331686/f309.item.r=chaîne%20au%20scarabée%20d'ahhotep.texteImage
Mémoires et fragments de Théodule Devéria, Gaston Maspero, Gabriel Devéria, Editions Leroux, Paris, 1896
https://archive.org/details/mmoiresetfragme00maspgoog/page/n14/mode/2up
Gaston Maspero, Égypte, Collection Ars Una, 1912
Émile Vernier, Catalogue du musée du Caire - Bijoux et orfèvreries - Fascicule 3, IFAO, Le Caire, 1925
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57740426/f28.item.r=en%20or%20%C3%A9pais
Jean Leclant, Mariette Pacha et le patrimoine archéologique de l'Égypte, Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 125ᵉ année, N. 3, pp. 487-496, 1981
DOI : https://doi.org/10.3406/crai.1981.13870
www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1981_num_125_3_13870
Elisabeth David, Mariette Pacha, 1821-1881, Pygmalion, 1994
Claudine Le Tourneur d’Ison, Mariette Pacha, Plon, 1999
Isabelle Franco, Dictionnaire de mythologie égyptienne, Pygmalion 1999
Francesco Tiradritti, Trésors d'Egypte - Les merveilles du musée égyptien du Caire, Gründ, 1999
Des dieux, des tombeaux, un savant : en Egypte sur les pas de Mariette pacha, Somogy, éditions d'art, 2004
Christian Leblanc, Les reines du Nil, Bibliothèque des introuvables, 2009




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