lundi 23 mai 2016

L'Égypte ancienne côté jardins

Le jardin de Nebamon, fragment de paroi peinte (prob. TT 146), XVIIIe ou XIXe dynastie, British Museum, BM 37983 - photo Yann Forget

De l’art de vivre dans l’Égypte ancienne…
Au pays de Kemet, les habitants de cette "terre noir" savent donner des couleurs plus vives et une atmosphère de fraîcheur à leur environnement quotidien en enjolivant celui-ci avec des jardins verdoyants.

L’exemple vient d’en haut, puisque le pharaon fait aménager des espaces verts aux abords immédiats des temples et palais de son royaume. Y poussent arbres fruitiers, arbres d’ornement, lotus et papyrus, au milieu desquels sont installés des bassins alimentés par l’eau du Nil pour l’irrigation. Les plantes fleuries feront leur apparition plus tard. 
El-Kab - photo Marie Grillot

Pour diversifier et enrichir le choix des végétaux à leur disposition, les pharaons prennent l’habitude d’importer, via : "des tributaires étrangers ou par quelque ambassade”, “toutes sortes de belles fleurs et de plantes bizarres", ou bien d’en rapporter dans leurs bagages lors de leurs lointaines campagnes. 

Les tombes thébaines de la XVIIIe dynastie témoignent de cette luxuriance.

Ainsi la reine Hatchepsout (XVIIIe dynastie) fait venir des plants d'arbres à encens pour orner son jardin en terrasses. De même Thoutmôsis III, célèbre pour ses activités militaires, prend soin, au cours de ses expéditions, de s’approvisionner en essences rares et en plantes luxuriantes : arbres à Oloban de Pount, Grenade, etc.

"L’élément exotique, écrit Nathalie Beaux, est donc pour les Égyptiens un produit précieux, rare ou une merveille, une curiosité qui peut éventuellement faire l’objet d’une acclimatation. Leur goût pour l’un et l’autre et les expéditions militaires ou pacifiques permettaient essentiellement d’importer à moindre coût, et en grande quantité, mais aussi de rassembler, au fil des hasards, des découvertes, des marchés et des cadeaux, un 'cabinet de curiosités'." (Le cabinet de curiosités de Thoutmosis III : plantes et animaux du "Jardin botanique" de Karnak, 1990)
Le "Jardin botanique" - Karnak

Comme si la verdure environnante ne lui suffisait pas pour entretenir le souvenir de ses campagnes, Thoutmôsis III fait graver dans la pierre du temple Akh-menou à Karnak des bas-reliefs représentant toutes sortes de faune et de flore : ce "Jardin botanique" : "est peut-être la représentation magnifiée et sublimée du jardin sacré du temple d'Amon, où animaux et oiseaux avaient l'habitude de se côtoyer, protégés par un enclos, dans la douce fraîcheur d'une végétation luxuriante". (Wikipedia)

Imitant leur souverain, notamment à partir du Moyen Empire, de nombreux riches propriétaires et dignitaires de la cour s’enorgueillissent de posséder eux aussi, outre leur somptueuse résidence de luxe, un jardin clos ombragé, planté de palmiers, sycomores, figuiers, Perseas, saules et autres arbres.
Bassin et jardin dans la tombe de Rekhmiré - photo Marie Grillot

L’aménagement respecte une conception standard. Au centre, un bassin rectangulaire, orné de lotus et de papyrus, où se prélassent des poissons colorés et où peuvent s’abriter des oiseaux aquatiques. Tout autour, des rangées d’arbres et arbustes alternant avec des parterres fleuris. Le bassin comporte un escalier pour permettre aux jardiniers d’y recueillir l’eau d’arrosage. Il est souvent entouré de murs et colonnades où s’entrelacent les ramifications de pieds de vigne.

Le jardin funéraire complète l’inventaire. C’est une version miniature, symbolisée, du jardin des maisons. Le défunt étant traditionnellement enseveli entouré des objets dont il a eu la jouissance durant sa vie terrestre, pourquoi serait-il privé du jardin dont il a apprécié les agréments ? "Vous vous promenez à l'aise sur le bord de votre étang ; votre cœur se réjouit de vos arbres et se rafraîchit sous vos sycomores ; votre cœur est satisfait par l'eau de vos puits que vous avez fait creuser afin qu'ils durent éternellement." (inscription d’un tombeau) 

"Avant la XVIIIe dynastie, écrit Gérard Desnoyers, les modalités du ravitaillement du défunt étaient cherchées dans l’au-delà, dans l’imaginaire d’un pays d’abondance situé “là-bas”. Après la XVIIIe dynastie et, singulièrement, suite à la révolution amarnienne d’Akhenaton du XIVe siècle, elles sont cherchées “ici-bas”, le monde des vivants revêtant des traits élyséens sous l’aspect d’un jardin abondant et fertile dans lequel le défunt trouvera boisson et aliments, mais aussi fraîcheur et plaisir à l’ombrage des arbres qu’il aura lui-même plantés. Apparaît ainsi la figure idéale du jardin funéraire planté du vivant du défunt en accompagnement de l’érection de son tombeau.
Jardin d’abondance et de plaisir dans lequel son ‘ba’, sous la forme d’un oiseau, pourra s’ébattre en sortant au jour, dont le texte suivant (...) peut être considéré comme l’expression classique : Entrer et sortir de ma tombe, que je me rafraîchisse à son ombre, que je boive l’eau de mon bassin, chaque jour, que tous mes membres soient vigoureux, que Hâpy me donne des aliments, des offrandes, des plantes (de toutes sortes) à leur saison. Que je me promène au bord de mon bassin chaque jour, sans cesse. Que mon ‘ba’ se pose sur les branches des arbres que j’ai plantés, et que je me rafraîchisse sous les sycomores et mange le pain qu’ils donnent." (Le jardin, Terre de rêve en suspens entre terre et ciel : ou la source, le mont, l'arbre et l'oiseau (serpent), 2015) 
Fresque de la tombe d'Ipouy à Deir el-Médineh

Pour en revenir à des considérations plus terre à terre, la profession de jardinier, dans l’Égypte antique, y apparaît également dans toute sa rudesse. Entretenir un jardin est alors un travail pénible : il faut non seulement empêcher les oiseaux de picorer les cultures, ou encore désherber, grimper au sommet des palmiers pour les féconder, mais aussi veiller à une irrigation constante, grâce à tout un réseau de canaux, des espaces cultivés. Cette dernière tâche est pénible, que l’eau soit tirée du Nil ou d’un puits.

"Nous avons noté le goût des Égyptiens pour les jardins, écrit Pierre Montet. À la ville comme à la campagne, tout propriétaire voulait avoir le sien et lui faire produire des légumes et des fruits. Le travail de l’arrosage était le plus absorbant. C’est le seul parmi les travaux du jardinage sur lequel nous soyons un peu informés. Le jardin potager était divisé en petits carrés par des rigoles qui se coupaient à angle droit. Pendant longtemps, et encore au Moyen Empire, les jardiniers allaient emplir au bassin les jarres rondes en poterie qui servaient d’arrosoirs, les emportaient suspendues par deux à une palanche et les vidaient dans la rigole qui faisait bénéficier de l’arrosage le jardin tout entier. C’était un travail long et pénible. L’invention du chadouf dut paraître un progrès bienfaisant." ( La vie quotidienne en Égypte au temps des Ramsès, 1946)

De sa configuration ici-bas à celle, sublimée, telle qu’elle est représentée dans le monde des défunts, le jardin "à l’égyptienne" présente des caractéristiques communes, celles, pour reprendre l’expression de Gérard Desnoyers, d’une "terre de rêve en suspens entre terre et ciel".

Marc Chartier

sources :
Joret Charles, Les jardins et les parterres égyptiens in : Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 37ᵉ année, N. 5, 1893. http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1893_num_37_5_70317
https://www.wikiwand.com/en/Gardens_of_ancient_Egypt
http://www.touregypt.net/featurestories/gardens.htm#ixzz453APYgdC
https://www.wikiwand.com/fr/Jardin_botanique_de_Thoutm%C3%B4sis_III
http://www.ac-orleans-tours.fr/fileadmin/user_upload/ia28/doc_peda/Arts_visuels/Art_et_nature/pdf/Jardin_egyptien.pdf


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